Près de trois ans après l’occupation du gymnase de Cachan par des sans-papiers qui réclamaient leur régularisation, la Bourse du travail du 3e arrondissement de Paris est le théâtre d’un étrange conflit.
Avant hier, vers midi, 200 à 300 sans pap’ qui occupaient depuis 14 mois la Bourse du travail, dont dispose la CGT (en co-gestion avec la CFDT, FO, la CFE-CGC, l’Unsa et Solidaires) ont été délogés par des nervis du syndicat, a admis Patrick Picard, secrétaire général de l’Union départementale de Paris. « Sans l’accord ni de la préfecture ni de la mairie de Paris », aux dires d’un autre responsable syndical. La préfecture assure elle avoir « assistée » l’intervention sans pénétrer dans le bâtiment. Derrière ce déménagement musclé se cache en réalité une sourde et intense rivalité avec l’association Comité Sans Papiers 75, le CSP75. Partisans de l’occupation. Ce qui fut l’occasion de régler quelques comptes.
Les délogés de la veille emplissaient toujours ce matin le bitume proche de la place de la République. 250 à 300 familles principalement maliennes et sénégalaises. Sous un fatras d’affaires, de matelas, de vêtements en vrac. Avec l’évacuation totale du siège syndical, la plupart d’entre eux cherchent un difficile repos. Le mot d’ordre est toujours à l’unité derrière un slogan (« cas par cas, on n’en veut pas, régularisation de tous les sans-papiers »), dont on devine aisément qui est le principal visé. Bernard Thibault et son organisation accusée de « trahir » leur cause.
« Nous avons dormi là cette nuit et nous ne partirons pas », clame Sissoko, un des délégués des occupants de la rue Charlot. « CGT collabo ! », scandent des membres du CSP75, qui soutiennent les occupants depuis le 2 mai 2008. Quant à Philippe Nattier, président de SOS Sans Papiers et proche du CSP75, véritable bête noire de la Ceget’, il se dit « prêt à faire un nouveau coup de force si on nous le demande ». Et d’occuper de nouveau les locaux de la Bourse du travail, « grâce à quelques gens à l’intérieur de la CGT sensibles à nos revendications ».
L’animosité entre les deux organisations, CSP75 et CGT, n’est pas récente. Elle est même le cœur du coup de force opéré par le service d’ordre du syndicat, au moment où les collectifs défilaient comme chaque mercredi vers la place du Châtelet. D’un côté, les uns comprennent mal la décision politique de la CSP75 de venir occuper la Bourse et de s’en prendre à des « alliés ». De l’autre, les collectifs posent la question « mais où iraient les sans-papiers ? ». Avec comme aiguillon : l’occupation comme moyen de pression sur le ministre de l’Immigration Eric Besson pour négocier d’autres régularisations.
Au-delà de ce point de fixation, c’est la méthode et la gestion du dossier des régularisations qui les divise. Le son de cloche de la CGT est de dire qu’ils soutiennent les sans-papiers en lutte sur leur lieu de travail. Donc en grève. Donc syndiqués pour faire appliquer l’article 40, qui autorise la régularisation des sans-papiers embauchés ou titulaires d’une promesse d’embauche. Par une politique du cas par cas soumise aux conditions strictes du gouvernement. Avec « 2000 régularisations à la clé » selon un dirigeant cégétiste.
Le collectif CSP75, lui, n’a qu’un slogan : « régularisation de tous les sans-papiers. » En accusant la CGT d’abdiquer aux règles prescrites par Sarkozy. Et de ne pas s’intéresser aux isolés qui ne peuvent se mettre en grève. L’occupation depuis 14 mois est la réponse à la « prise en otage du mouvement des sans-papiers », selon un membre du collectif. En affirmant qu’ils ne bougeraient pas jusqu’à ce que la CGT accepte de les représenter à la préfecture.1000 dossiers que le collectif voulait voir traiter, la préfecture renvoyant les demandes vers le syndicat seule légitime à pouvoir négocier.
Dommage, qu’en pareil cas, les dommages collatéraux concernent les principaux intéressés. Vous savez, les sans…
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Le communiqué CGT ne résoud pas tout. Voici en effet un autre point de vue, d’un commentateur, syndiqué, selon qui :
"Le communiqué de la CGT commence déjà par un grossier mensonge ; au 2 mai 2008 (début de l’occupation) et pendant plus d’un mois seuls les couloirs (réservés prioritairement aux femmes et aux enfants) et la cour intérieure servaient de dortoirs ; les trottoirs de la BdT et la petite place à côté aussi ! mais jamais le fonctionnement des bureaux syndicaux n’a été entravé. Je me souviens encore d’une nuit que j’ai passé à évacuer la flotte des bâches qui couvraient la cour ! Le seul refuge pour dormir de mes camarades sans papiers dont certains, travailleurs isolés, partaient à 5 h du mat’ pour bosser ; je me souviens aussi de cette arrogance des petits blancs du syndicat et des assocs à leur botte qui me faisait crisper les poings ; je me souviens aussi de mes camarades de la CSP75 qui gardaient espoirs que les camarades français de ces asssocs et syndicats allaient enfin être à leurs côtés dans cette lutte commune à TOUS les travailleurs vers la liberté de circulation.
Un autre gros mensonge "Les délégués ont l’air d’avoir la mémoire courte et oublient les actes importants réalisés par la CGT et ce, malgré cette occupation de locaux syndicaux qui empêche de nombreux travailleurs de pouvoir se réunir pour organiser des luttes avec leur syndicat." Les actes importants, comme le dépôt des dossiers de la CSP75, ce n’est pas "malgré" mais à cause de l’occupation de la BdT que la CGT y est allée ; c’est contraints et forcés par cette occupation que les responsables syndicaux et leurs toutous associatifs ont accompagné les délégués de la CSP75 à la préfecture le 3 juillet ; d’ailleurs, le délai de deux mois écoulés en dit long sur leur bonne volonté à les soutenir ! Quant à "cette occupation de locaux syndicaux qui empêche de nombreux travailleurs de pouvoir se réunir pour organiser des luttes avec leur syndicat.", de quelles luttes parle t-on et de quel syndicats ??? S’il s’agit des grèves de sans papiers qui faisaient rage dans toute l’Ile de France, la pilule est amère quand on sait l’isolement et le manque de coordination qui régnaient à l’époque dans les entreprises en grève !!! La direction cégétiste tant à Montreuil qu’à Paris ont laissé sans directive et désemparés leurs propres militants qui assuraient courageusement le soutien aux camarades grévistes. Quant aux résultats immédiats obtenus par nos camarades de la CSP75 et l’ironie du mail CGT, c’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité !!!
Tout cela a été dit et redit et la question maintenant est de savoir si, enfin, par l’écrit et l’action, les travailleurs français vont laisser leurs syndicats continuer à se déshonorer et à les déshonorer ! Je ne peux que saluer le communiqué de l’OPAC CGT de Paris qui soutient sans ambiguïté nos camarades de la CSP75 mais où sont les autres, tous les autres, les "tous ensemble" du 1er mai ? Les syndicats s’étaient déjà déshonorés à la BdT Stalingrad contre le 9ème Collectif, vont-ils pouvoir récidiver impunément ?
A chaque syndiqué d’y répondre ou cette "conscience de classe" dont il se targue ne serait-il que que le masque de leur inconscience crasse des enjeux pour le présent comme pour l’avenir. Le choix de chacun sera lourd de conséquence et regarder ailleurs, quand se commet l’irréparable, serait la pire des solutions !!!"
Communiqué de l’UD 75 CGT :
" Les syndicats CGT de Paris ont contribué à mettre un terme à l’occupation de l’annexe Eugène Varlin, rue Charlot, de la Bourse du travail de Paris investie depuis le 2 mai 2008 par des travailleurs sans-papiers, sur l’initiative de la Coordination 75 des collectifs de sans-papiers.
Dès le début de cette occupation, les délégués de la Coordination des sans-papiers 75 ont interdit tout contact entre ces travailleurs sans-papiers et la CGT, ses militants et les autres syndicats. Ces délégués ont cultivé l’idée que cette occupation de la Bourse du travail permettrait la régularisation des travailleurs sans-papiers isolés. C’est volontairement qu’ils ont conduit dans une impasse ces travailleuses et ces travailleurs qui, comme d’autres, auraient pu faire le choix de s’organiser dans les syndicats pour mener des luttes collectives à l’entreprise.
C’est parce que nous ne pouvions laisser perdurer cette occupation stérile que le mouvement syndical parisien a décidé de sortir ces femmes et ces hommes de cette impasse, et ce, sans faire appel aux forces de l’ordre.
L’intransigeance des responsables de la Coordination 75 a été constatée à plusieurs reprises à l’occasion des nombreuses réunions qui, sur l’initiative de la CGT, ont rassemblé les Unions départementales CGT, CFDT, FO, FSU et Solidaires, les associations de soutien aux travailleurs immigrés (Ligue des droits de l’homme, Autre monde, GISTI, RESF, CIMADE …) et la coordination 75 des sans-papiers.
Les syndicats et les associations ont réalisé des actes concrets :
participation de la coordination 75 à la délégation qui a été reçue par le représentant du Préfet à l’occasion de la manifestation du 11 juin 2008 organisée par la CGT devant la Préfecture de police de Paris,
par courrier en date du 23 juin 2008, à la demande de la coordination, les syndicats et les associations ont saisi le ministre de l’Immigration d’une demande de rencontre au sujet des travailleurs isolés en difficultés pour obtenir des contrats de travail de leurs employeurs (1300 dossiers ont été recensés),
le 3 juillet 2008, à l’occasion d’une nouvelle manifestation à l’initiative de l’UD CGT de Paris, la Coordination a fait partie de notre délégation et date a été prise avec les représentants du Préfet de police de Paris pour la remise de leurs dossiers. Deux réunions à la Préfecture ont suivi, en présence et avec l’appui du secrétaire général de l’Union départementale CGT de Paris.
Ils ont formulé des propositions
parrainage par les syndicats des dossiers relevant de la régularisation par le travail, y compris ceux des travailleurs individuels qui ne peuvent pas se mettre en grève,
appui par les associations des dossiers des travailleurs non déclarés, sans contrat de travail ni bulletin de salaire,
appui par le réseau RESF des dossiers des familles ayant des enfants scolarisés,
étude de tous les dossiers par les associations et les syndicats, dans le cadre d’un travail en commun avec la Coordination des sans-papiers afin d’évaluer pour chacune des personnes concernées les chances objectives de régularisation afin de réduire au maximum les risques encourus et procéder à la construction collective des dossiers.
Toutes ces propositions, pourtant très constructives et d’ordre pratique, ont été refusées par la Coordination au motif qu’il s’agissait de « leurs dossiers ». Qui peut comprendre une occupation motivée par un besoin d’aide et le refus de toute proposition ? Plus fondamentalement, comment comprendre que la coordination 75 des sans-papiers porte préjudice au mouvement syndical, et en particulier à la CGT, tout en faisant soi-disant appel à son soutien ?
Ces derniers mois, nous avons même entretenu des contacts réguliers avec le Haut Conseil des maliens de France avec lequel plusieurs réunions de médiation ont eu lieu. A plusieurs reprises nous avons pensé que nous arriverions à trouver une issue positive par la signature d’un engagement pour des luttes communes et la construction d’un rapport de force unitaire, mais en vain !
Que signifiait donc cette occupation qui, au fil des jours, était devenue un « squatt » dont nous ne voyions pas la fin ? Qui avait intérêt à cette occupation mise en œuvre deux semaines après la grande grève des salariés sans-papiers déclenchée, le 15 avril 2008, dans plusieurs dizaines d’entreprises d’Ile de France ? Qui gênons-nous et à qui faisons-nous de l’ombre ?
En tout état de cause, s’avérant sans effet sur les pouvoirs publics et le patronat, s’avérant surtout sans issue et paralysant l’activité des syndicats par la spoliation de la majeure partie de leurs locaux (sept salles de réunions, deux imprimeries, entrave à l’accès normal du site aux salariés et syndicats parisiens…), cette pression insensée sur le mouvement syndical, et la CGT en particulier, ne pouvait durer. C’est pourquoi, les syndicats CGT de Paris ont décidé d’y mettre fin avec la certitude d’avoir tout tenté par le dialogue.
La lutte se poursuit
La CGT, qui se bat quotidiennement aux côtés des travailleurs sans-papiers, comme aux côtés de tous ceux qui luttent dans ce pays, ne pouvait continuer à être prise pour cible. Elle devait retrouver la plénitude de ses moyens et faire cesser cette pression inadmissible parce que totalement injuste. Les responsables du désespoir des sans-papiers sont, eux, les véritables adversaires, mais ils sont ailleurs ! Il s’agit de ceux qui ont la culture du résultat et appellent à faire du chiffre en remplissant centres de rétention et charters et de ceux qui, trop souvent, profitent de l’existence d’une « armée » de travailleurs sans-papiers et sans droits, donc exploitables à merci : gouvernement et patronat !
La lutte commencée à Paris, en février 2008, avec les salariés sans-papiers du restaurant « La grande Armée » a permis la régularisation de plus de 2000 salariés.
La CGT poursuivra son combat pour la régularisation de tous les autres."
Ceux qui crachent sur la cgt à tout va feraient mieux de se poser les bonnes questions :
Si la violence avec laquelle les sans-pap’ ont été évacués de la bourse du travail ainsi que le reformisme de la CGT sur certains points sont critiquables, il faut se demander :
_Pourquoi la coordination sans-papiers 75 fait-elle payer des pseudos "frais d’inscriptions et de dossiers" aux sans-pap’ précaires ? _Pourquoi elle n’a pas plutôt occupé la préfecture, le conseil régional, la mairie ou même les locaux du medef ? _Pourquoi la CSP 75 a toujours fait échouer toutes les négociations durant un an ?
Les motivations de la CSP 75 sont bien plus "anti-cgtistes" que progressistes. A la télé on parle de la brutalité de la cgt etc … encore une belle action anti-syndicaliste ! On doit bien rire au ministère de l’immigration…
Jules
J’ai du mal à comprendre pourquoi l’Etat arrête de pauvres péquins isolés qui hébergent ou aident des sans-papiers alors qu’on laissent mariner des centaines de bougres à la Bourse du Travail depuis plus d’un an sans broncher. Il y a là une flagrante intention de laisser pourrir la situation pour nuire à la CGT. Confédération du travail, la CGT est tout à fait dans son rôle lorsqu’elle exige la régularisation de travailleurs exploités dont le patronnat se sert pour instaurer une concurrence déloyale entre salariés. Il en va de la sauvegarde de notre système de protection du salarié que la libéralisation à outrance met tous les jours en danger.
Taper sur la CGT, c’est faire le jeu des gangsters de l’économie et de la finance.
Je ne suis pas syndiquée.