« Aujourd’hui Sport » a rejoint « Le 10 Sport » au cimetière des quotidiens sportifs low cost… Tandis que « L’Équipe » n’en finit pas de reporter sa révolution.
Sorti en kiosque le même jour que Le 10 Sport, Aujourd’hui Sport (AS) aura rendu les armes trois mois après son concurrent. Un sursis que les mauvais esprits diront uniquement destiné à ne pas trop aggraver la présomption que le clone (même prix, même nombre de pages, même format) n’a été mis sur rails que pour riposter à l’arrivée du challenger [1]. Quoi qu’il en soit, du 3 novembre au 30 juin, il n’aura fallu que sept mois pour revenir à la situation de départ et rendre à L’Équipe son monopole sur la presse quotidienne sportive.
Vendus cinquante centimes d’euros, les deux rivaux sur ce créneau n’ont pas trouvé de clientèle suffisante pour durer, plafonnant à 35.000 et 30.000 exemplaires diffusés en moyenne pour respectivement Le 10 et AS. À eux deux additionnés, ils n’ont donc pas atteint le seuil de rentabilité fixé à 80.000 pour chacun… Le contexte économique a pesé : entre la crise de la presse payante et la crise tout court, il leur a été aussi défavorable que possible. Reste la question de ce qu’ils pouvaient espérer avec le contenu proposé.
Du côté d’Amaury, les projets antérieurs sur la réplique au lancement (finalement annulé) d’un Bild à la française et sur la réforme de L’Équipe ont permis de sortir un journal qui a immédiatement dépassé son concurrent sur le plan des contenus et du professionnalisme. Adossé à l’infrastructure du groupe, Aujourd’hui Sport a « fait le métier » et disposait de quelques coups d’avance. Le 10 Sport, handicapé par une maquette initiale ratée, a manqué d’épaisseur et versé régulièrement dans un certain infantilisme. Il n’a parfois manqué qu’Olivier Rey, même si l’édito du patron valait son pesant de cacahouètes au bar.
Entre les mains du lecteur, les deux tabloïds ont témoigné de l’influence des médias internet dans la présentation et les formats, mais ils ont surtout affiché une ressemblance frappante avec les quotidiens gratuits : beaucoup d’entrées sur chaque page, une iconographie envahissante et une lecture accélérée. Pour peu de valeur ajoutée. Car, en définitive, l’effort réel pour varier le menu n’a pas abouti à une cuisine plus intéressante : les recettes étaient connues et elles ont donné dans le light – à l’image d’articles particulièrement courts ou de la pipolisation du contenu. Côté liberté de ton, humour ou sens critique, les progrès ont été très marginaux (lire « Canards boîteux »). Dommage, car l’occasion était belle de rénover un peu les standards, plutôt que de bien marketer un produit sans faire avancer les choses sur le plan du journalisme.
Le modèle du low cost éditorial semble donc avoir vécu : Robert Lafont, qui a une nouvelle fois reporté (à septembre) la sortie de Le Foot – peut-être pour laisser ses concurrents s’éliminer et en tirer les leçons - annonce un quotidien « de qualité, totalement différent », vendu 75 centimes d’euro. En attendant, L’Équipe a renoué avec la solitude sur son marché et bénéficiera peut-être un jour – si ses dirigeants franchissent le pas d’un changement de format – du laboratoire qu’aura constitué Aujourd’hui Sport. On aura une pensée pour les quelques dizaines de journalistes pigistes que l’expérience laisse sur le carreau, expérience qui aura surtout consisté à « tester un marché », selon l’expression de Jean Hornain, directeur général du Parisien et d’AS [2].
Mais pour autant, tout n’est pas rose dans les nouveaux locaux du quotidien sportif de Boulogne-Billancourt. L’érosion des ventes (-7,8% en 2007, -3,6% en 2008) et des résultats financiers inquiète Marie-Odile Amaury. La patronne du groupe a lancé une opération « plus de bonheur, moins de sujets qui fâchent » dont témoigneraient la gestion du Tour de France par Amaury Sport Organisation et les consignes données à la rédaction.
Le journal connaît aussi des changements brutaux en interne : l’an passé, Christophe Chenut (directeur général du groupe L’Équipe) et Claude Droussent (directeur des rédactions) avaient été priés de quitter le navire. Rémy Dessart, qui avait pris la suite de Michel Dalloni en tant que directeur de la rédaction, aura fait long feu : il a été remplacé par Fabrice Jouhaud, secondé par Gérard Ejnès. Le football prend le pouvoir, pour la première fois dans l’histoire du journal (lire La Face cachée de L’Équipe, de David Garcia). Le choix n’est pas étranger à l’urgence de regagner des lecteurs, dont on a pu constater la saison passée qu’elle avait encouragé des élans racoleurs (lire « À titre exceptionnel »). Paquebot dont le sillage a englouti les deux chalutiers venus faire des bords près de lui, L’Équipe doit quand même changer. On n’est pas certain que le changement se produise dans le sens espéré.
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[1] Michel Moulin a déposé un recours pour entrave à la concurrence devant l’Autorité de la concurrence, accusant le groupe Amaury de plagiat et d’abus de position dominante sur le marché de la publicité. Des perquisitions aux sièges de L’Équipe et du Parisien se sont déroulées le 19 mai dernier.
[2] En janvier, Aurore Amaury (fille de Marie-Odile et présidente d’Aujourd’hui Sport) assurait : « Nous sommes déterminés à prospecter ce marché jusqu’au bout. (…) Nous avons un socle d’acheteurs suffisamment intéressant pour continuer et se donner du temps » (Le Figaro Économie, 22 janvier).