Alors que le Tour de France entame ce mardi sa troisième étape pyrénéenne, Lance Armstrong reste cantonné aux profondeurs du classement. Mais pour la com’, les journalistes de France 2 fournissent le maillot jaune.
Attendu comme un outsider de ce Tour de France 2010, Lance Armstrong aura passé l’essentiel de l’épreuve dans les profondeurs du classement. Si l’objectif sportif (au moins un podium) est d’ores et déjà raté, le champion américain est parvenu depuis son "come-back" de l’an dernier à changer son image auprès du public hexagonal qui l’avait souvent conspué pendant ses succès. Un retournement de popularité servi par le service public… Malgré le calvaire du cycliste, symbole du dopage des années 90, les journalistes de France 2, diffuseur de la Grande Boucle, s’échinent à éviter de contrarier leur historique poule aux oeufs d’or.
L’interview de dimanche dernier sur Stade 2 (extraits ci-dessous) illustre le rapport de connivence qui sévit depuis des années entre le service public et le cycliste sept fois vainqueur du Tour.
En dépit d’une nouvelle dégringolade au classement (Armstrong termine l’étape avec une quinzaine minute de retard sur les leaders), le présentateur Lionel Chamoulaud annonce la venue de l’Américain en plateau : « Il nous a promis de passer nous voir et Armstrong tient toujours ses promesses ». « Chic, l’Américain va enfin répondre aux accusations de dopage qui s’accumulent ces derniers jours » (Floyd Landis, Greg Lemond, George Hincapie, les révélations du New York Times…), se dit le téléspectateur bien naïvement. L’attente sera longue. Après moultes courbettes, éclats de rire mutuels, excès de modestie inhabituelle de la part d’Armstrong, vient enfin la question toute en doigtée de Lionel Chamoulaud :
La réponse d’Armstrong ? En gros, Lemond est un obsédé qui passe son temps à l’attaquer, alors que lui a d’autres chose à faire. Une relance on ne peut plus timide : « Vous avez la même réponse à faire à Floyd Landis, également, qui n’arrête pas de faire des déclarations et d’attaquer ? » Et le Tour est joué. « On y reviendra », conclut Chamoulaud avant de lancer une "surprise". Sur les 18 minutes d’entretien (à voir en intégralité sur le site de Stade 2), Stade 2 réussit l’exploit de ne pas dépasser les 60 secondes sur le fâcheux sujet.
Oh, il y aura bien Michel Drucker (la fameuse "surprise") qui demande à son copain Lance si « ce n’est pas le Tour de trop » après avoir salué son « exploit hallucinant » de l’an dernier (3ème)… Mais rien qui ne viendra troubler le chant des cigales autour de l’animateur de Vivement Dimanche. « Dans 15 jours, je viendrai peut-être boire un verre chez vous », s’amuse Armstrong, « Lance m’a fait beaucoup de cadeaux », se souvient avec tendresse Drucker. Chamoulaud passe les plats en évitant toujours les moindres bosses et lance la vidéo d’une victoire émouvante de l’Américain : « Votre ami Jean-René Godart (autre journaliste emblématique du Tour) a retrouvé les images ». Drucker tient, pour conclure, à saluer le présentateur de Stade 2 de l’avoir mis en contact avec Armstrong en juin 2009 : « Je vous remercie pour ce moment inoubliable », « vous m’aviez appelé pour me dire qu’il cherchait à faire une émission ». Drucker ne prend même pas la peine de cacher le coup de communication du coureur qui préparait alors son retour avec l’aide du service public.
Consultants et journalistes sportifs ne s’embarrassent pas pour servir la soupe aux copains champions idolâtrés sans que l’on n’évoque un conflit d’intérêt ou des retours d’ascenseur. La campagne de réhabilitation de Lance Armstrong avait ainsi débuté fin 2008 quand le cycliste avait accordé un "entretien exclusif" pour Stade 2 dans un hôtel-golf 5 étoiles de Tenerife. « Un joli coup pour France 2, l’Américain ayant refusé toute autre interview télévisée durant son séjour espagnol », commentait alors TV Mag. Les heureux élus ? Lionel Chamoulaud et "l’ami" Jean-René Godart. « Lance m’avait promis de nous accorder un entretien avant Noël. Et, quand Lance promet quelque chose, il s’y tient », confiait Godart, « qui connaît le septuple vainqueur du Tour de France depuis seize ans », ajoutait le magazine télé.
« C’est quelqu’un qui marche à la confiance. Il n’a pas oublié que je suis allé le voir aux États-Unis quand il a été hospitalisé pour son cancer, en 1997 », ajoutait le journaliste. Chamoulaud expliquait, lui, la raison de ce "joli coup" : « Parce qu’Armstrong est un champion qui possède une dimension planétaire et que sa présence sur le Tour de France cet été constitue forcément une bonne nouvelle pour un diffuseur comme France télévisions ». D’après TV Mag, Drucker avait téléphoné à Chamoulaud pour lui dire qu’il acceptait que Stade 2 déborde sur Vivement Dimanche. Mais, après tout, l’amitié ne rime pas forcément avec un manque d’objectivité… Voici donc "le mystère Armstrong" selon Jean-René Godart :
(NB : les plus attentifs peuvent trouver au milieu du sujet élogieux sur le héros, fin stratège, qui combat le cancer et dont les exploits apportent de l’espoir aux enfants… dans le chapitre "L’ombre d’un doute" l’évocation des « rumeurs » de dopage à son sujet. Avec cette conclusion plutôt cocasse : « Accusation fondée ou est-il jalousée ? »)
Quelques jours avant le grand retour, c’est donc Michel Drucker qui obtient un « rendez-vous exceptionnel » à Aspen dont on sait depuis dimanche qu’il s’agissait d’une demande d’Armstrong. « C’est un scoop, vous savez qu’il a une relation tumultueuse et plutôt distante avec les médias », commente le populaire présentateur de France 2 alors que des images le montrant faire du vélo avec Armstrong main sur l’épaule défilent à l’écran…
Le champion s’était épanché sur son combat contre le cancer, son parcours sportif, ses exploits sur le Tour et son enfance (voir le compte-rendu du Point). On est déjà très loin du coureur qui avait promis à sa retraite qu’il reviendrait sur le Tour « pour emmerder les Français » après que L’Equipe ait publié, le 23 août 2005, une enquête révélant que six de ses échantillons d’urine datant du Tour de France 1999 contenaient de l’EPO. Laurent Fignon, qui n’avait pas encore avoué s’être dopé (il le fera le 14 juin 2009), expliquait le manque de popularité d’Armstrong, non pas pour les soupçons de dopage, mais parce que, comme dans son cas, « en France, quand un champion gagne énormément, on a du mal à l’aimer ».
L’Américain se défend surtout de tout dopage en arguant, comme souvent à l’époque, de ses performances sportives : « Je demeure en tête du Tour de France (alors que j’ai été contrôlé) (…) De 1992 à 2009, ma performance n’a jamais changé. Si j’étais préoccupé par les soupçons, si j’étais dopé et que je m’arrêtais parce que j’avais peur, alors ma performance aurait chuté ». Après coup, Drucker se félicitera de cette interview dans L’Equipe Magazine : « Lance a répondu sans langue de bois » (voir le très drôle bêtisier du dopage sur le site cyclisme-dopage.com).
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