Chaud partisan de l’information « sponsorisée » par les annonceurs, l’acquéreur de La Tribune va-t-il y appliquer sa recette miracle ? Grabuge en perspective.
C’est l’homme qui monte dans les médias français. En quelques années, Alain Weill, ancien dirigeant de NRJ, a réussi à bâtir un petit empire comprenant les radios BFM et RMC, la chaîne de télévision d’info en continu BFM TV. Son groupe, baptisé NextRadioTV et monté avec le soutien du Baron Ernest-Antoine Seillière, pèse plus de 360 millions d’euros en bourse. Et comme notre ami détient environ 35 % du capital, on voit qu’il n’a pas trop de problèmes de fins de mois. C’est d’ailleurs sur ses fonds personnels qu’il vient de se lancer à l’assaut du quotidien économique La Tribune, que Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France et intime de Super Sarko, a décidé de vendre pour pouvoir faire main basse sur Les Echos.
Alain Weill a promis qu’il n’y aurait pas de plan social. Un engagement surprenant alors que La Tribune, qui compte environ 200 salariés, perd 13 millions d’euros par an, soit quasiment la moitié de son chiffre d’affaires, et que Bernard Arnault va dépouiller le groupe de ses rares actifs rentables (le magazine boursier Investir et la régie publicitaire notamment). Alors comment Alain Weill va-t-il s’y prendre pour rentabiliser La Tribune en trois ans afin de pouvoir l’apporter à NextradioTV et dégager les fameuses synergies qui plaisent tant aux boursicoteurs ? Ce grand timide ne le dit pas encore mais si on se réfère à son passé, on peut avoir une idée.
Après avoir fait de NRJ une machine à cracher de jolis bénéfices, il a profité de la mise en vente de RMC par le groupe pour prendre ses distances avec Jean-Paul Baudecroux, le grand manitou de la radio musicale, qui aime bien régulièrement faire valser ses cadres dirigeants. À RMC puis à BFM Radio, Alain Weill a appliqué une recette simple : réduire les coûts au strict minimum et obtenir le maximum de recettes de publicité. Ainsi, RMC s’est transformée en une sorte de radio de libre antenne où les auditeurs peuvent intervenir à tout bout de champ. Une idée géniale : plus besoin de journalistes et pas besoin de payer les auditeurs, qui en plus se sentent valorisés. Depuis, la méthode a été reprise par d’autres radios comme RTL et Europe 1.
Mais Alain Weill a poussé le modèle un peu plus loin. Les journalistes, y compris ceux qui sont déjà dans le groupe, qui veulent proposer une émission sur la radio ou la chaîne de télévision BFM, doivent arriver avec un projet bien ficelé, cela va sans dire, mais aussi avec un financement. « Je n’ai pu placer une émission sur BFM Radio que parce que j’avais réussi à convaincre deux entreprises d’être sponsor », assure un journaliste pigiste qui préfère rester anonyme. Grâce à ce modèle et grâce aussi à une politique publicitaire agressive comme on dit dans le milieu (avec des rabais importants en échange d’un engagement de longue durée), NextradioTV a vu son chiffre d’affaires des neuf premiers mois de l’année bondir de 93% à 70,3 millions d’euros. Ce modèle est-il transposable à La Tribune ?
A propos de l’information sponsorisée, la nouvelle mode aujourd’hui au sein du groupe NextRadio consiste à obliger les journalistes à participer à des évènements commerciaux, des ménages comme on dit chez nous. On ne parle plus de journalisme là.
Illustration. Les filiales internet et papier du groupe sont actuellement soumises à un plan de restructuration. Les nouvelles orientations ? Découpler les journalistes de leur media pour les faire travailer au sein de pôles, comme les agences de communication. Les journalistes vont devenir des fournisseurs de contenus…Bien l’indépendance ! Après on s’étonne que le public en ait marre des journaux "vendus".
Autre axe, les évènements commerciaux deviennent un media. Si vous ne me croyez pas (c’est normal) faites vous passer pour un annonceur qui veut payer pour un évènement et qui veut un journaliste pour animer. Vous aurez droit à la totale selon le montant du chèque.
Mode d’emploi :
Phase 1 : acquisition de l’opportunité commerciale par les forces de vente.
Phase 2 : contact avec un "responsable éditorial" (titulaire de la carte de presse) pour affiner le programme.
Phase 3 : contact et réflexion avec les rédacteurs en chef (RC) des medias concernés, qui restent dans l’ombre parce que sinon cela serait bine gênant eut égard à cette fameuse indépendance de la presse. Je le sais car je le vois en direct. J’y bosse aussi dans ce groupe.
Phase 4 : on va débaucher un journaliste de la rédaction à qui le RC explique qu’il faut qu’un expert intervienne dans une table ronde.
Phase 5 : L’évènement a lieu.
A propos de ton post Olivier T des GG, je comprends ton point de vue. Cette organisation ne t’impacte pas encore directement. Pas fou Alain Weill, la radio RMC qu’il a racheté en situation de faillite lui rapporte aujourd’hui beaucoup d’argent. Mais essaie de prendre un peu de hauteur, et de considérer le sort des 700 personnes avec qui tu travailles et qui gagnent des cacahuètes. Et à qui on demande d’être des journalistes commerciaux !
La semaine dernière, ils étaient en grève. Tu es au courant ?
Le principe des émissions sponsorisées n’est malheureusement pas réservé qu’au secteur privé de l’information.
Il est aussi l’apanage du service public.
C’est notamment le cas des radios de RFO (Résau France Outremer).
Nombre de chroniques, une chronique éco par exemple, ne sont mises à l’antenne qu’à la seule condition qu’elles soient parrainées.
Le journaliste est rémunéré par le sponsor via RFO qui prend au passage sa commission (près de 40 %).
Du coup, le journaliste devient aussi commercial.
Vive l’indépendance !
Chers collègues de Backchich, votre portrait de mon boss est incomplet. Si pour vous Alain Weill est un affreux coupeur de tête obnubilé par le rendement, vous oubliez de préciser que la création de BFMTV a donné un job à plus 100 personnes et que le groupe Nextradiotv, parti de rien en 2001, ce sont aujourd’hui plus de 600 salariés (sans compter la tribune). Pas si mal pour un groupe low cost… Je vous souhaite sincèrement la même réussite !
Olivier Truchot Les Grandes Gueules RMC
L’homme est ruse, petit et saisit toutes les bonnes affaires pas cheres… Il ne s’embarasse pas non plus des questions de personnel, si on compte le nombre de convocations qu’il a engrange ces derniers mois devant les Prud’hommes…
Pas sur qu’en terme de rentabilite il assure bien longtemps l’avenir des journalistes de La Tribune, ni d’ailleurs celui des "600 salaries" que Truchot le cireur de pompes lui prete…car on ne prete qu’aux riches !Mais 120 a RMC, 85 a BFM radio, 90 a BFM TV et 105 chez Test : ca ne fait pas le compte, Olive…
Weil a bati son mini-empire sur un super coup de bluff (…en commencant en payant RMC avec beaucoup de retard au groupe Fabre) et en s’appuyant ensuite sur des actionnaires serviles et des boursicoteurs-auditeurs gogos qui se sont rues en pensant faire une bonne affaire… ; s’il n’avait pas leve du capital en masse aupres d’eux, Weill ne serait aujourd’hui proprietaire que de pas grand chose (a part un bel avion et une jolie maison dans le Sud…)
Et si Alain les dents longues n’etait tout simplement que le clone… et le prochain successeur de Jean Marie MESSIER… ?
Mon cher Olivier Truchot,
Des jobs ? Peut-être, mais quel salaire ? Combien de stagiaires "payés" ? Quant aux "journalistes" qui font des ménages, oui cela a toujours existé ( voir les plus connus), mais quid de la Charte ? (… un journaliste ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées…)
Bon appétit !
Pour info, vous auriez pu ajouter à votre article que cette stratégie a aussi été appliquée dans le groupe Test (01net, Micro Hebdo ..).
Nénamoins, j’aurais tendance à ne pas croire en la low-costerie de la Tribune. La Tribune est un des plus petits journaux en terme de rédaction (120 journalistes de mémoire). Si ce quotidien reste dans le thème économique, il est difficile d’imaginer qu’un quotidien économique puisse être crédible s’il faisait "low-cost" (et encore moins de l’imaginer comme le projet de Bild à la Française - genre 0.50€ par numéro de la Tribune).
C’est comme comparer RMC et BFM. Quand j’écoute BFM, je n’ai pas l’impression d’une radio low-cost.
En tout cas, j’attends vivement de voir ce que donnera le nouveau "La Tribune" en espérant que cela ne se traduise pas par trop de casse sociale.
Le coups des émissions "sponsorisées" - autant dire achetées par une entreprise - est tout à fait hallucinant.
Vous pensiez regarder une télé économique réalisée par des journalistes faisant semblant de faire leur travail, partiellement financée par des encarts de pub ? Et bien non, en fait y’a de la pub partout, dans les pages de de pub - celle que vous voyez - et dans les sujets traités - celle que vous ne voyez pas…
Pas de doute, la France est un pays génial qui sait renouveler les mélanges des genres aussi malodorants qu’inextricables.
C’est très pratique pour BFM TV : les émissions "sponsorisées", cela permet aux journalistes d’intérioriser les contraintes éditoriales propres à ce genre de pot pourri malsain : surtout, ne pas risquer de déranger l’annonceur. Comme ça, Weill n’a même pas besoin de les rappeler, l’autocensure étant un des principes de l’émission ! Et vivent les émissions insipides !
Une émission sur la santé ? Vite, un financement de Sanofi et de bioMérieux pour en garantir le sérieux et l’impartialité. Une émission sur les services bancaires ? Vite, BNPP et Socgen en renfort.Sur la téléphonie et les FAI français, les moins compétitifs d’Europe ? Vite, ByTel et SFR à la rescousse.
Comme ça va dénoncer grave… Bien évidemment, cela n’empêchera pas des encarts de pub de surcroît.
Ca promet… Vive l’information économique avec langue de bois intégrée et enquêtes minimalistes. Low cost, oui, autant dire bas de gamme ou de mauvaise qualité.
De toute façon, Weill n’a pas d’autre choix avec la Tribune : ce journal lui a coûté terriblement cher, il est financé sur fonds perso, ni Weill ni NextRadio n’ont les moyens d’Arnault ou LVMH. Pas d’autres solutions que des économies et du sponsoring à mort.
Je soupçonne Arnaud d’avoir choisi Weill car c’était le moins menaçant des candidats. Histoire que son ancienne Tribune ne puisse pas faire de concurrence sérieuse à ses nouveaux Echos…
Bernard Arnault est vraiment un patron de presse épatant : il réussit à appauvrir des médias économiques déjà peu corrosifs.
Merci Sarkozy !