Le fantôme d’Aimé Jacquet, des ventes en baisses, des patrons qui se succèdent, et un format tabloïd qui peine à arriver dans les kiosques… Le 2ème quotidien national le plus lu de France n’est plus le paisible journal d’antan.
10 ans après le sacre de la France championne du monde de football, est arrivé dans quelques librairies, et dans une indifférence quasi générale, un tout mignon opuscule. L’affaire Jacquet, je ne pardonnerai jamais, de Vincent Duluc, journaliste de l’Equipe, aux éditions prolongations, boîte d’éditions de L’Equipe, pour un livre qui parle…de l’Equipe.
Un peu incestueux tout cela. D’autant que l’œuvre, « l’essai » persifle l’un de ses confrères, revient sur l’un des épisodes les plus traumatisant de l’histoire du journal : la haine qu’a vouée le sélectionneur de l’équipe de France de football, vainqueur en 98 de la Coupe du Monde, au quotidien du sport et de l’automobile. Une haine datant d’un temps que les moins de dix ans ne peuvent pas connaître. Devant l’indigence du jeu des Bleus sous l’ère Jacquet, de 1993 à 1998 (avant la coupe du monde en France), l’Equipe s’est faite très critique à l’égard du sélectionneur. En constatant tout simplement ce que tout spectateur et téléspectateur pouvait déceler : un football sans âme, sans génie, sans plaisir… comme le rappelle très bien Vincent Duluc, au style ampoulé quasi inimitable.
Voilà l’info du bouquin. Point. Dans un ensemble qui compile ensuite verbiage, critique de la parano (réelle) de Jacquet et rappel des faits et des unes. Un plaidoyer pro-domo qui aurait sans doute mérité l’agrément d’un petit mea culpa, voire de quelques anecdotes.
Au hasard qu’au soir du 12 juillet 1998, une fois la France sur le toit du monde, dans la tribune de presse, et à la direction du journal, après les mots de Jacquet « je ne pardonnerais jamais (ndr : à l’Equipe) », les visages ont blêmi. Qu’à la suite de la Coupe du Monde, une boîte de conseils en ressources humaines, que nombre de reporters du quotidien ont pris pour des psys, et appelaient « docteur », sont venus bosser du côté d’Issy-les-Moulineaux, au siège de la rédaction.
Ou que la direction du journal, dans les mois précédant la folle aventure des Bleus, s’est enfermé dans l’autisme. N’écoutant ni certains de ses reporters, qui leur expliquaient « qu’un groupe formidable était en train de se former », ou quelques cadres du onze tricolore qui les enjoignaient « à se ressaisir, vous avez tout faux ».
Voire de la genèse intime du clash entre le sélectionneur de l’équipe de France et l’Equipe. Loin des éditos « Mourir d’Aimé », des petites phrases « Jacquet n’est pas l’homme de la situation », ou des unes bien senties, « Et on joue à 13 ? » (quand le sélectionneur annonce une liste de 29 joueurs quand seuls 22 doivent être sélectionnés), ou « C’est quoi ce match » (après un match horrible de la France en Russie), autant de citations plus ou moins facilement défendues par Duluc…
Le casus belli entre le quotidien et son équipe remonte à un funeste soir de 1993, quand la France, sur la voie royale pour la coupe du monde vers les Etats-Unis, se manque lamentablement. « Jusqu’alors, le journal avait toujours été suiviste avec l’équipe de France, analyse l’un des historiques du journal. La direction a décidé de changer d’angle quitte à être critique quand il le faut ». Bref du boulot de journaliste en somme. Sauf que personne n’a prévenu le sélectionneur, qui s’est un peu crispé…
En somme, un livre estampillé Duluc. Fort bien écrit, sans beaucoup d’informations mais…qui tombe pile.
En effet, un petit ménage commencé au printemps dernier a pris des airs de révolutions dans le paisible quotidien. En 2003, les tenants d’une ligne offensive, sinon acérée, envers l’équipe de France de football (Gérard Ejnès, Jérome Bureau, Fabrice Jouhaud) ont fini par sauter. Cinq ans plus tard, les hérauts de l’accalmie quittent aussi le canard, dont les ventes baissent…
Pour le directeur général, Christophe Chenut, sont évoqués dans un communiqué des « divergences stratégiques » avec le propriétaire, le groupe Amaury. Au sujet de Claude Droussent, directeur des rédactions, est évoquée « une réorientation professionnelle ». Quant à son éphémère successeur, Michel Dalloni, les « divergence stratégiques » sont ressorties.
Et la révolution ne fait guère de pli dans la presse. « Pourtant, pour n’importe quels autres médias cela aurait fait un scandale, susurre une timide voix interne. Ce n’est pas que la baisse des ventes qui était en cause. Mais la façon de concevoir le journal. Le propriétaire estimait que la direction s’était trop rapprochée des institutions du sport. » À comparer avec un journal qui cirerait trop les bottes du pouvoir politique… (Cf. La biographie fort lisse des éditions prolongations consacrée à Raymond Domenech actuel sélectionneur de l’équipe de France)
Au moins l’évolution a-t-elle vu une chute des ventes du quotidien, revenu à ses ventes de 1993 soit un peu plus de 300 000 exemplaire… Rassurant dans un sens. Les lecteurs aiment la qualité.
Pour redresser les ventes et la ligne (à défaut de la sienne), Fabrice Jouhaud a été rappelé au bercail par Amaury. Bombardé directeur délégué à la rédaction du quotidien. Un retour aux sources pour l’ancien rédac’chef foot, qui officiait jusqu’alors à M6, en tant que n°2 de l’information, sous les ordres de… Jérôme Bureau, l’ancien patron de l’équipe honni de Jacquet… M6, comme un hasard, particulièrement critique avec l’équipe de France de foot. Un retour en grâce dans lequel l’accompagne Rémy Dessarts, nommé directeur des rédactions de l’Equipe. Deux hommes passés par le projet avorté d’un Bild français.
Au moins tout le monde se connaît. Un atout pour la rentrée, le 1er septembre, date à laquelle tout ce beau monde entrera officiellement en fonction. Avec devant lui, le passage au format tabloïd du journal, reporté depuis bientôt six mois, la sortie d’un livre sur la face cachée du journal… et une mission : « Diriger le journal, le recentrer sur le sport ». Et éviter des ratés tels que le classement des meilleurs grimpeurs italiens du tour de France, qui n’a pas autant fait rire en interne, qu’à Bakchich.
En route mauvaise troupe !
Lire ou relire dans Bakchich :
Bonjour. Je pensais que Jaquet était un mec bien, ne pensant qu’à faire son travail sans s’occuper des ânes. Que la coupe du monde ait été gagné avec un football pas beau (ce qui est discutable) n’est pas un problème. Le but c’est gagner. Quand les allemands ou les hollandais savatent dès qu’ils perdent la balle où que les italiens font des coups de fourbe, c’est encore plus pourri qu’un football pas esthétique.
Ce qui me dérange c’est quand Jacquet s’est mis à critiquer du haut de sa gloire son successeur Lemaire. La je me suis dit, on a bavé sur lui et il fait pareil.
"de Vincent Duluc, journaliste de l’Equipe, aux éditions prolongations, boîte d’éditions de L’Equipe, pour un livre qui parle…de l’Equipe.
Un peu incestueux tout cela."
Voilà une bonne leçon de déontologie donnée par un site qui a mis en ligne il y a quelques semaines un article de Xavier Monnier consacré aux "aventures" de Jacques-Marie Bourget à Ramallah…
A l’poque l’auteur avait indiqué "Oui Jacques Marie fait partie de notre rédaction. Cela étant clairement posé, doit-on pour cela passer à côté d’une histoire ? Je ne crois pas."
Pourquoi ne pas accorder la même circonstance atténuante à l’Equipe ?