En voilà une bonne nouvelle pour Bernard Tapie. Une de plus. Le 9 octobre paraîtra « La Face cachée de l’Equipe », une enquête au vitriol sur le quotidien de sport. Et qui rappellera aux moins de vingt ans qui était le grand Nanard, du temps de sa splendeur, dans la main de qui picorait « la bible du sport ».
En ces premiers frimas d’automne, Bernard Tapie, un peu houspillé aux vues de ses indemnités, trouvera sans doute un peu de réconfort le 9 octobre. Enfin, si un bon ami, comme Bakchich, lui glisse que sortira alors le livre enquête : « la face cachée de l’Equipe ».
Non que « Nanard » se passionne pour l’histoire du quotidien « qui légende le sport », de sa renaissance houleuse après la Libération, quand le sceau de la lâcheté de son fondateur Jacques Goddet, pendant la guerre, compromît la naissance du journal. Ou que la trépidante saga de la famille Amaury, toujours propriétaire du journal l’intrigue. De l’antisémitisme assumé du patriarche Emilien « Jupiter » Amaury au bien plus austère et discret Philippe, pour en terminer avec Marie-Odile « près de ses sous ».
Mais, au moins, l’enquête touffue (50 ans d’histoire qui valent un pavé de cinq cent pages), rappellera à Tapie ses heures de gloire. Le temps du « Tapie-Boom », s’amuse l’auteur David Garcia. Un temps béni à la charnière des années 80-90, où la plus belle ville du monde vit son équipe devenir le plus grand club du foot du monde, sous la férule de Tapie… et avec l’aval de l’Equipe.
Ses patrons de l’époque « tombent sous les charmes », décrit goulûment Garcia. « Noël Couëdel, rédacteur en chef puis directeur de la rédaction de 1988 à 1990, et Denis Chaumier, patron du foot (…), considérés, comme beaucoup, comme étant de connivence avec Tapie. "Noël Couëdel semblait hypnotisé par le personnage, au point d’en perdre tout sens critique", sourit Jean-Yves Ollivier, promu rédacteur en chef technique par Couëdel. "Tapie n’a rien sur son bureau, Tapie est un vrai manager’’ voilà ce qu’il répétait en permanence. Alors que tous les supporters envoyaient des signaux négatifs ».
Au hasard de ces messages de sémaphore, un journaliste du quotidien se fait vertement insulter lors d’un après-match par Tapie… Et le retranscrit dans un papier. A son retour à Paris, le père Noël lui demande gentiment « T’es pas mort Pierre-Marie ». On a connu plus protecteur.
Mais à l’époque, le charme de Nanard est incandescent. Les journalistes ? « des cons faciles à manipuler » ou cette maxime restée célèbre, « il est plus facile d’acheter des journalistes qu’un journal ». Gagné.
Couëdel, qui repassera quelques mois, à l’été 2008, à la direction éditoriale de l’Equipe, succombe vite, lors d’un rendez-vous en 1987. « 20 villa Saïd, à l’ange de l’avenue Foch dans le XVIe arrondissement de Paris, au domicile de Tapie. Le maître des lieux déroule son numéro de charme réservé aux journalistes. Chemise en cachemire, pompe en croco… c’est le coup de foudre, Noël Couëdel rend les armes sans combattre ».
Et le quotidien parisien va se révéler d’un précieux secours pour Tapie, surtout quand il s’agit de flinguer son grand rival. Président des Girondins de Bordeaux, grande gueule, provocateur, Claude Bez s’avère le seul rival médiatique de Tapie à l’époque.
« Au printemps 1990, la lutte acharnée que se livrent Bez et Tapie par médias interposés atteint son paroxysme. Sans le citer mais de manière à peine voilée, le président de l’OM accuse son vieil ennemi de « frauder le fisc » et de « tricher avec son club ». Le tout dans les colonnes de son quotidien sportif favori. Je vais avoir des choses à dire à mon ami Charasse [ministre du Budget de l’époque] sur un dossier qui me paraît nettement plus important : l’enrichissement de certains dirigeants sur le dos de leur club ». Furax, Bez veut répondre. Son interview aussi tranchée que celle de Tapie ne passera pas.
Mieux, le 11 septembre 1990, L’Equipe annonce « Bez : c’est fini », et assure que le « petit dictateur sous-régional » va être viré dans la journée par le maire de Bordeaux, Jacques Chaban-Delmas. Raté… Bez est maintenu, le quotidien titre le lendemain « du rififi à Bordeaux ». Et contre-attaque dans le supplément du week-end L’Equipe Mag, en assassinant Chaban. « C’est un triste vieillard, surtout en politique. C’est triste un crocodile sans son dentier. C’est un homme d’Etat qui nous prend pour des cons […] Non, mon message est plus clair, plus direct : dehors ! Allez écrire vos mémoires, Monsieur Chaban-Delmas. Faites-vous donc oublier si vous voulez qu’on se souvienne de vous ». Signé Jérôme Bureau, futur directeur de la rédaction de l’Equipe, l’homme qui proposa, matamore, de démissionner si la France gagnait la Coupe du monde en 1998… Du panache ! Et du résultat. Bez succombe finalement, pour abus de biens sociaux en 1991.
Même après le départ de Couëdel de la tête du journal, L’Equipe reste fasciné par le personnage, tout puissant à l’époque.
Au point d’avoir même une taupe dans la rédaction… Anecdote détaillée par le menu dans l’opus, l’épisode d’un édito éventé. Un matin de l’année 1991, l’actu, une nouvelle fois, tourne autour de Nanard pour le quotidien. Tapie, bien avant les simagrées de Jean-Michel Aulas, le patron de l’Olympique Lyonnais, refuse de libérer ses joueurs appelés à porter les couleurs de l’équipe de France. L’Equipe veut en mettre une louche, prépare un édito, et appelle Tapie pour avoir une réaction. « Vous faites chier, attaque bille en tête Nanard, comme l’ont surnommé les Guignols de l’Info. Alors comme ça, Ernault pense que j’emmerde l’Equipe de France ? ». Le journaliste auteur de l’édito « blêmit ». « Il ne comprend pas comment Tapie peut connaître le contenu d’un éditorial pas encore imprimé ». Très vite, la « piste du mouchard » est privilégiée.
Emporté dans le même élan qu’une grande part de la presse française – Le Parisien (également propriété du groupe Amaury), le jour de la finale de la coupe de champions de l’OM à Bari « se déguise même en Bari-sien », L’Equipe s’enlise. Bureau, toujours lui, signe un éditorial « in Bed with l’OM ». Extraits choisis. « Ah, cette finale de Bari, Dieu qu’elle est longue à arriver ! On en crève de la vivre. Tant, sans doute, s’est-on persuadé que l’OM peut la gagner. Que l’OM va la gagner. Ils sont forts, très forts. […] Marseille, capitale d’une Provence-Côte d’Azur lors des prochaines élections régionales dont le probable affrontement Tapie-Le Pen va faire le centre de la France politique. Marseille, capitale de la France par la grâce de l’OM. Marseille, ville agaçante, dérangeante, inhabituelle. Marseille ville admirable. » Et le lendemain, Marseille, ville dévastée par une finale dont chacun s’évertua de la Bonne mère jusqu’aux Aygalades à oublier la date…
Même dans sa chute, L’Equipe n’oubliera pas Tapie. Les journalistes dont il a juré la perte l’accompagnent dans sa descente aux enfers. Si l’affaire OM-VA scelle sa carrière sportive et politique en 1994, ceux qui ont dénoncé, dans les colonnes du journal ou dans l’hebdomadaire du groupe Amaury, France Football sont au mieux placardisés, au pire virés. Et FF, dont le ton, sous les années du Tapie Boom, se rapproche « de l’esprit du Canard Enchaîné », décapité. Ses trois têtes dirigeantes, Patrick Lafayette, Jacques Thibert et François de Montvalon remerciés tour à tour. Un de leur éditos restera célèbre, le 6 juillet 1993. « Tout le monde il pue, tout le monde il sent la charogne, y a que Tapie qui sent l’eau de Cologne ».
Victoire à la Pyrrhus pour Tapie mais victoire quand même. Un peu de réconfort pour Nanard, confronté à la dureté des médias actuellement.
Et en souvenir du bon vieux temps, Tapie pourra toujours, en plus du livre, acheterl’Equipe. Du temps de sa gloire, un jeune journaliste du Parisien qui suivait l’OM avait l’habitude d’en prendre pour son grade. À la grille de la Commanderie le centre d’entraînement de l’OM, Tapie s’amusait. « Toi le journaliste du Parisien, tu peux entrer ». Sympa au milieu des supporters marseillais, pas toujours finauds quand surgit le nom de la capitale. Ce journaliste, c’était Fabrice Jouhaud, promu en septembre directeur délégué de la rédaction de l’Equipe. Que de souvenirs pour Nanard.
À lire ou relire sur Bakchich.info
Excellent ton article, vraiment bien.
Par contre : "où la plus belle ville du monde vit son équipe devenir le plus grand club du foot du monde"
Es-tu déjà allé à Marseille ? parce que c’est vraiment horrible comme ville en plus d’être une poubelle…