Le dragon brésilien a une faim d’ogre. Haro sur la croissance et peu importe les dégâts collatéraux ! Sous le règne de l’ancien syndicaliste Lula prospère des multinationales impitoyables
Lula Inacio da Silva a la cote en Europe. Le président brésilien aurait réduit la pauvreté et donné à manger aux Brésiliens miséreux. Ce qu’il a fait, à la marge. Accessoirement, l’ex syndicaliste métallurgiste, qui passera la main en novembre prochain, s’est fait le chantre d’un libéralisme décomplexé, au nom d’un impératif catégorique érigé en dogme : la croissance avant tout. Quitte à soutenir des multinationales brésiliennes pas trop à cheval sur le social et l’écologie.
Ce n’est pas Carlos Tautz qui dira le contraire. Aussi dégarni qu’incisif, ce journaliste traque les excès du capitalisme d’Etat à la brésilienne. Dans son bureau d’Ibase (Institut brésilien d’analyses sociales et économiques), une influente ONG basée à Rio, le militant altermondialiste décrypte le ménage à trois entre le gouvernement fédéral, la toute puissante banque nationale de développement économique et sociale (BNDES) et la plus grosse entreprise du pays, la Vale, premier producteur mondial de fer.
Avec un budget annuel de 80 milliards de dollars (quatre fois plus que la banque mondiale !), la BNDES finance à la fois les infrastructures locales et les grandes entreprises exportatrices. Peu importe la nature du projet, seule compte la rentabilité à court terme. « La banque peut aussi bien investir dans un barrage qu’aider à la création d’une fabrique de bière », précise Carlos Tautz. Sans trop se préoccuper de l’impact sur les populations locales. D’ici 2050, quelque 300 centrales hydroélectriques seront construites sur le fleuve Amazone. « Ces grands travaux au cœur de l’Amazonie sont financés sur fonds publics au bénéfice des seuls groupes privés », se désole Carlos Tautz. Parmi lesquels le français GDF-Suez. Les investissements de la banque sont tellement décriés qu’en novembre 2009, des ONG ont organisé une rencontre internationale des populations affectées par les financements de la BNDES !
La même initiative pourrait tout aussi bien viser la Vale, qui est au Brésil ce que Chiquita Banana, ex United Fruit, fut aux Etats-Unis : une fantastique machine de guerre économique au service des intérêts d’une oligarchie avide de conquêtes. Présente dans 19 des 25 états brésiliens et 50 pays dans le monde, la Vale étend son hégémonie sur tous les continents. Avec le soutien actif de la BNDES, qui finance l’essentiel de ses investissements, et du président Lula en personne. Ainsi, quand à l’été 2009, les Etats-Unis et la Colombie renforcent ostensiblement leur coopération militaire, réveillant le spectre de l’interventionnisme yankee, Lula hausse le ton en public. Tout en négociant en coulisses avec son homologue colombien Alvaro Uribe l’installation de la Vale à Bogota. Pendant que le président vénézuélien Hugo Chavez agonit l’impérialisme US, Lula soigne la balance commerciale auriverde.
Formidable coup de bonneteau que n’ont peut-être pas apprécié à sa juste valeur les salariés de la filiale canadienne. Le 8 juillet dernier, les travailleurs des usines de Sudbury et Port Colborne (Ontario), rachetées au groupe Inco en 2006, mettaient un terme à une grève qui a duré un an. « La Vale voulait à la fois réduire la couverture sociale privée et supprimer une prime d’intéressement indexée sur le cours du nickel, qui a pas mal augmenté ses dernières années » , explique Artur Henrique, président de la CUT (Central unica dos trabalhadores), la plus puissante confédération syndicale d’Amérique du sud. La mort dans l’âme, les actionnaires de la Vale ont dû renoncer à une infime partie de leurs dividendes.
Ils devraient s’en remettre. En 2009, la transnationale brésilienne a dégagé un bénéfice de 9 milliards de dollars. Quant aux perspectives de développement, malgré quelques malheureux couacs ici ou là, elles n’ont jamais été aussi bonnes. Depuis 2004, la Vale exploite le charbon du Mozambique, à Moatize et dans d’autres régions du pays, grâce à un cofinancement de la BNDES et d’entreprises de construction brésiliennes. Expropriation des autochtones, non respect du droit du travail, « la Vale exaspère la population locale, avec la complicité du gouvernement mozambicain. Ce faisant, elle se comporte comme n’importe quel capitaliste impérialiste occidental », fustige Carlos Tautz. Encore un gauchiste arriéré qui ne comprend rien aux bienfaits de la mondialisation.
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