Un livre dénonçant « La face cachée d’Air France » démontre surtout la face cachée de certaines pratiques journalistiques. Et réponse de l’accusé.
Si les hôtesses de l’air ne vous intéressent pas et que, une fois de plus, votre Airbus d’Air France est en retard, vous pouvez toujours feuilleter le livre de notre « confrère » Fabrice Amedeo « La Face cachée d’Air France » dans les Relay. Les révélations y sont renversantes et il reprend de vraies informations.
Sur France 2, dans le journal d’Elise Lucet, l’individu annonce sans rougir « une statistique est dévoilée dans mon livre : sur 10 ans, Air France a connu 0.9 crash par million d’heures de vol ». Cette fameuse statistique gardée secrète par la direction d’Air France, a été révélée dans le numéro 1684 de l’hebdomadaire VSD… en décembre 2009. Difficile de la rater : l’accroche « Révélations : la formation des pilotes de ligne en question » avait été mise en Une !
En cuisine, on appelle cela l’art d’accommoder les restes. En journalisme, c’est piller un confrère. Plutôt mal vu dans la profession… Page 27, l’auteur récidive en reprenant l’expression originale d’un expert aéronautique, Amine Mecifi – sans toutefois le citer - pour expliquer le rôle des centrales inertielles des Airbus. Interviewé par Bakchich, il expliquait qu’elles fonctionnaient comme des oreilles internes.
Ce travail a le mérite d’exister, même si en le survolant, on a parfois le sentiment d’être devant la marionnette de Nicolas Hulot, avec son célèbre « le saviez vous ? ».
Dans la série, on a la perle : « ce ne sont pas les pilotes qui cassent les avions, c’est le système ». Dans toute sa première partie, le livre énumère des exemples de quasi crashs. Des secrets de polichinelle. Bigre, la compagnie tricolore ne serait plus sûre ? Doit-on se tourner vers le hub de Francfort ou celui de Dubaï pour préférer, par exemple, les vols Lufthansa et Emirates à ceux de la compagnie nationale ? questionne le livre avec angoisse.
Et l’auteur de faire le grand écart avec une réponse déconcertante : « Aux vues des statistiques en matière de sécurité aérienne, la question mérite d’être posée. À cette interrogation la réponse est pourtant : non. Tout d’abord parce que 52 % des vols long-courriers au départ de Paris sont des vols Air France1 et qu’il est difficile d’éviter les avions tricolores… » Traduction : c’est dangereux, mais comme on peut pas faire autrement…Bref, on est bien avancé.
Surfant sur la planche savonneuse du paradoxe, l’auteur défend la maintenance d’Air France, comme la meilleure du monde. Cocorico ! La même qui avait oublié de replacer une pièce, l’entretoise, sur le train du Concorde de Gonesse, une pièce qui a joué un rôle certain dans l’accident…
Après le crash de Rio, le journaliste du Figaro avait réalisé un article affublé du titre ronflant « d’interview vérité » de Pierre Henri Gourgeon, le DG d’Air France. Le cadre annonçait, juste après le crash, avec le sérieux d’un ingénieur de Météo France, que l’avion avait été foudroyé.
Le 16 juillet, Amedeo n’hésitait pas à affirmer dans les colonnes du Figaro que les avocats d’un cabinet londonien attiraient ses clients grâce à l’Association des victimes pour la vérité sur le vol AF 447. Article qui avait provoqué l’écœurement du président de cette association, ulcéré par le procès d’intention. Difficile de trouver mieux pour la discréditer face aux avocats du mastodonte des airs et dans l’opinion publique.
Le communiqué de son éditeur évoque deux autres livres « qui témoignent d’une passion à l’image de son courage d’homme et de marin ». Sans commentaire.
Actualisation vendredi 21 mai à 11h :
Fabrice Amedeo, que nous mettons en cause, nous a contactés.
Compte tenu de ses explications, et comme le doute doit profiter à l’accusé dans toute bonne démocratie qui se respecte, nous abandonnons le délit de « copiage sur le voisin », d’autant que Fabrice nous assure, la main sur le cœur, ne pas lire VSD, ce qui est son droit. Sans rentrer dans un débat technique et pénible pour nos lecteurs, et sauf preuve du contraire, il se trompe sur les chiffres. Le standard mondial (IATA et Flight Safety Fundation par ex) est bien le ratio par million d’heures de vol. Si cela était, comme il le prétend par million d’étapes, les compagnies faisant beaucoup de petites rotations en court courrier et les « low cost » seraient mécaniquement favorisées. Ces « stats » déjà connues, sont présentées comme des révélations dans son livre. Mais qu’importe, il a le droit de faire du buzz, comme disent les djeuns.
En revanche, les argumentations du livre sont parfois faibles. Sur le site securvol qui a depuis juillet 2008, déclassé Air France en catégorie B puis C, il écrit « Le site étant français et les Français aimant souvent « tirer sur l’ambulance », on peut le soupçonner d’être particulièrement sévère avec la compagnie nationale ».
Les autres accusations sont maintenues par le conseil de discipline. "Servir la soupe" au DG d’Air France dans une interview qualifiée "d’interview vérité" et parallèlement, mettre en difficulté une association composée de familles de victimes sous le coup de la perte de leurs proches, après le crash de Rio, c’est faire le jeu de la multinationale aérienne aux puissants avocats, dans ce bras de fer inégal.
Faisons nôtre le slogan du Figaro : « Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». Nous maintenons donc "ce coup de boule"… mais nous proposons un peu d’arnica avec. - F.N.
A lire sur Bakchich.info :
Apparemment, ce livre serait "un livre de commande". C’est du moins ce qu’en pensent de nombreux professionnels du secteur : http://www.rcoco.com/viewtopic.php ?f=1&t=36482
Les journalistes du Figaro, journal proche du pouvoir, sont rarement "encouragés" à aller faire de l’investigation sur des sujets qui fâchent, sauf s’il s’agit de tirer à boulets rouges sur des cibles prédéterminées.
Ce livre oublie soigneusement de traiter certains dossiers brulants : Pretory, la mort d’une hotesse tombée de la passerelle, le harcèlement du CHSCT, etc. Bref, c’est surtout de la brosse à reluire pour Spinetta. Moi, je pense que ce qui est intéressant, en premier, dans un livre, ce sont les remerciements. Et là, on est servis : il s’agit des cadres d’Air France qui ont généreusement ouvert leurs portes au plumitif du Figaro. Amen