Après vingt et un mois d’effacement derrière l’omniprésident, le Premier ministre François Fillon retrouve petit à petit son rôle de fusible. Mais chute dans les sondages.
Fillon, Fillon, Fillon revient. Fillon revient parmi les tiens… Si la vie de Premier ministre n’est pas un long fleuve tranquille, le chef du gouvernement semble pourtant, en ce moment, reprendre du poil de la bête. Et endosser le rôle de fusible qu’il n’avait jamais eu sous l’hyperprésidence Sarkozy. De quoi marquer, si la tendance se confirme, un tournant dans le quinquennat.
Le Président, qui multiplie les annonces au point de donner le tournis, a l’air de redécouvrir les joies d’un Premier ministre en pôle position sur le front. Hier soir, au dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), c’est le chef du gouvernement qui a représenté l’État, comme le veut la tradition. Pour cause d’emploi du temps chargé, Nicolas Sarkozy n’a fait que passer. Et a lâché, avant le discours de son Premier ministre : « François Fillon prononcera le discours et je peux déjà vous dire que je serai d’accord avec ce qu’il dira ». Que de changements en un an ! L’année dernière, c’était le Président qui avait prononcé le discours, en déclenchant au passage une grosse polémique avec l’idée d’enseigner la Shoah aux élèves de CM2.
Aujourd’hui, c’est François Fillon qui assure le service après-vente de la politique du gouvernement en étant l’invité d’Europe 1. Le tout en direct du marché de Rungis… et du pavillon de la volaille ! On se demande s’il aura un cadeau de bienvenue. Il y a un an, au Salon de l’Agriculture, François Fillon s’était vu offrir, de la part du directeur des fermiers de Loué, une poule rousse prénommée « Carla » dont personne ne savait « si elle chantait juste »…
Premier dossier sur lequel Fillon a repris du galon : l’Outre-Mer. Sarkozy qui n’a pas prononcé un mot dessus pendant un mois a d’abord laissé son secrétaire d’État, Yves Jégo, partir au charbon avant de voir son Premier ministre à la manœuvre. Avec l’aval, naturellement, de l’Élysée. Sarkozy secondé par Fillon, en pleine négociation avec les partenaires sociaux en métropole, ne voulait pas prendre le risque de céder sur les salaires en Guadeloupe. Au risque de créer un précédent en métropole.
Le chef du gouvernement a donc rappelé, à Paris, Yves Jégo, le secrétaire d’État à l’Outre-mer, au moment où il négociait une hausse des bas salaires avec les syndicats antillais. Sauf qu’au bout de plusieurs semaines, l’exécutif a quand même dû lâcher du lest, pour éviter que le conflit ne s’enlise davantage. Sarkozy et Fillon sont dans un bateau, si l’un d’eux tombe à l’eau…
Deuxième dossier : les enseignants-chercheurs. Après que Sarkozy a mis le feu aux poudres dans le milieu universitaire, le 22 janvier dernier avec un discours truffé de remarques acerbes, et laissé sa ministre Valérie Pécresse dans de sales draps, c’est Fillon qui a récupéré le bébé. Et demandé le 25 février la réécriture complète du décret de 1984 sur le statut des enseignants-chercheurs qui avait déclenché la polémique. Le chef du gouvernement a également annoncé aussi un gel des suppressions de postes pour 2010 et 2011. De quoi rendre possible le dénouement de la crise.
« L’Élysée considère », confie un ministre du « G7 » - le club des ministres favoris - « que le Président n’a pas à s’occuper de cette histoire de décret ». C’est, pourtant, bien la première fois que Sarkozy ne veut pas tout gérer ! Fillon, lui, est ravi, et soigne sa ministre de l’Enseignement supérieur. Il l’appelle régulièrement pour connaître l’avancée des négociations. Et cale avec elle, par téléphone, chaque annonce qui doit être faite. Le 5 février, à Strasbourg pour l’inauguration de la nouvelle université, Valérie Pécresse est chahutée lors de son intervention. Aussitôt, François Fillon prend-il soin d’appeler sa ministre pour prendre le pouls de la situation et lui apporter son soutien.
Sauf qu’à endosser le rôle de fusible, Fillon commence à voir sa cote de popularité s’effondrer aussi rapidement que celle Sarkozy. De quoi augmenter au moins sa popularité à l’Élysée… Dans le dernier baromètre de popularité Ifop pour Le Journal du Dimanche, publié le 21 février, François Fillon passe sous la barre des 50% d’opinions positives, avec un taux de 46% (-5 points en quatre semaines) et récolte 52% de mécontents contre 47% un mois plus tôt. Le locataire de Matignon bat de cinq points ses records d’impopularité d’avril 2008 et de janvier 2009. Du jamais vu sous l’omniprésidence Sarkozy qui avait eu pour effet de protéger le chef du gouvernement de toute baisse dans les sondages.
Fillon devançait même le Président d’une large tête pendant plus d’un an… Il faut dire que depuis mai 2007, le chef du gouvernement avait été effacé par un « speedy Sarkozy » toujours prompt à dégainer un communiqué ou à organiser un déplacement. Une situation qui avait eu le don d’agacer Fillon mais qui parallèlement l’avait protégé des coups politiques. Ainsi, en novembre 2007, dans les couloirs d’Europe1, se croyant à l’abri des oreilles indiscrètes, Fillon lâchait-il : « Une fois sur deux j’ai envie d’y aller moi-même et c’est trop tard ». Et de poursuivre : « et puis souvent, le problème c’est que lui ne veut pas ! » Plutôt clair, le message. Fillon rangé au rang de collaborateur… l’intéressé avait eu du mal à avaler la couleuvre.
Un an et demi plus tard, les temps ont changé. Fillon est revenu sur le devant de la scène. Quant à Sarkozy, il se chiraquise en se concentrant davantage sur l’international et l’Union européenne. De quoi prendre un peu de hauteur et tenter de grappiller quelques points dans les sondages. Il est vrai que pendant la présidence française de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy avait enregistré une légère amélioration dans les enquêtes d’opinion.
Ce dimanche 1er mars, le Président était à Bruxelles pour assister à la réunion informelle des chefs d’État ou de gouvernement de l’Union Européenne consacrée à la situation économique et financière. Lundi 2 mars, Sarkozy s’est rendu en Egypte, à Charm el Cheikh, pour participer à la conférence sur la reconstruction de Gaza. Cette semaine, le chef de l’État enchaînera les rencontres diplomatiques avec le chancelier autrichien Werner Faymann, la chef du gouvernement ukrainien, Ioulia Timochenko, et le Premier ministre belge, Herman Van Rompuy. Samedi prochain, Sarkozy s’envolera pour une visite officielle de vingt-quatre heures au Mexique…
De quoi laisser Fillon - presque - seul aux manettes… Au moins pour une journée.
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