Les margoulins du numéro surtaxé sont nombreux et pour ne pas enfreindre la loi jouent à un véritable jeu de cache-cache avec les consommateurs.
Lorsque Emma cherche à se désabonner de Canal+, elle comprend vite que sa première demande par courrier a été ignorée. Les prélèvements sur son compte continuent, à date fixe.
Elle enchaîne alors les coups de fil à la « chaîne qui enchaîne ». Là, une téléconseillère la bombarde de questions sur les motifs de son abandon. Puis oublie soigneusement de prendre en compte sa demande.
Emma finit par hausser le ton et obtient la résiliation. Elle s’en sort malgré tout avec une facture de téléphone salée. Ses nombreux coups de fil ont été donnés à un numéro surtaxé à 0,34 euro la minute. Et lorsqu’elle appelait depuis un téléphone portable, son opérateur se prenait une petite commission au passage, faisant allègrement doubler le coût de la note. Car ces appels sont généralement hors forfait.
« Le coût des appels passés par les clients sur ces numéros peut représenter plusieurs dizaines de millions d’euros chaque année », analyse un agent de la répression des fraudes.
Non seulement cette attitude n’est guère fair-play – les consommateurs sont rarement informés du racket en direct –, mais, en plus, c’est illégal. La loi du 1er juin 2008 interdit en effet aux entreprises la vente à distance et aux opérateurs de téléphonie mobile de surtaxer les numéros non liés au passage de commandes. Mieux, le dispositif a été élargi, en janvier 2009, à toutes les sociétés en relation directe avec des consommateurs. Les professionnels doivent donc mettre à disposition, pour toutes les actions de réclamation, des numéros non surtaxés, inférieurs à 0,15 euro la minute.
Canal+ est bien connue des services de la répression des fraudes, mais Cdiscount.com, le « créateur de pouvoir d’achat », n’est pas plus pressé de s’exécuter. Et planque soigneusement son numéro pas (trop) cher, le 0810 004 025, mettant plutôt en avant le 0899 700 480 (1,35 euro + 0,34 euro la minute depuis une ligne fixe).
En fait, les margoulins du numéro surtaxé sont nombreux et c’est un véritable jeu de cache-cache avec les consommateurs. Tantôt le numéro est planqué dans les conditions générales de vente que personne ne lit, tantôt dans un des courriels envoyés lors d’une commande. À La Redoute, c’est un numéro en 0892 que nous avons trouvé à la page 1190 du catalogue, mais le numéro « abordable » demeure introuvable. La Fnac ne s’embarrasse pas avec ces détails : pour exercer son droit de rétractation, il faut envoyer un courriel. Presque gratuit.
D’autres entreprises utilisent le procédé : en matière de livraison GLS par exemple qui livre les CD ou petits colis de divers cybermarchands peut vous envoyer un courrier, sans que vous ayez jamais vu personne malgré une présence permanente sur place, pour vous signaler le prétendu passage d’un livreur.
Et là vous avez un numéro en 0892 à appeler qui vous annonce "votre temps d’attente est estimé à 10 minutes" pour qu’on vous dise que le colis est perdu et que vous n’avez qu’à contacter votre fournisseur. (Ceux qui ont des doutes peuvent googler "GLS arnaque livraison" par exemple). Reste à expliquer comment le livreur a pu passer pour livrer un colis qui a été préalablement perdu, le mystère s’épaissit ou s’éclaire selon les points de vue !
Quand on fait remarquer à l’interlocuteur que le colis qu’il dit perdu est annoncé "livré sans preuve de livraison" sur le site Internet de son employeur, la réponse est sans appel "vous n’allez pas m’apprendre mon métier, si vous croyez tout ce qu’on voit sur Internet !". Il ne vous reste plus qu’à expliquer à l’expéditeur qui lui croit ce qu’il voit sur Internet qu’il doit aussi appeler pour se voir confirmer la bonne nouvelle (paraît que lui a un numéro non surtaxé ?)
Le deuxième colis peut ensuite se trouver "en cours de livraison" sortant le matin pour rentrer le soir sur le suivi Internet de la société pendant une vingtaine de jours, en vous enquérant quotidiennement de la raison de non-livraison, on peut arriver à 80 EUR de frais téléphoniques avec GLS, et la lettre recommandée au siège pour signaler l’incident (répondent pas aux mails ces gens-là qui ne croient pas ce qu’ils voient sur Internet) reçoit une jolie réponse par courrier (standard, aucune réponse aux questions posées faut pas rêver) : appelez votre expéditeur ou le numéro surtaxée en 0892…
La boucle est bouclée, après avoir fait payer plus en frais téléphoniques qu’en transport, on incite à recommencer : finalement moins il y a de livraisons, plus il y a de reversements téléphoniques, plus besoin de camions ni de chauffeurs !