Corruption, trucages, détournements, emprise des mafias… Le danger pour le football est aussi réel que sous-estimé.
Cet article vient en complément du dossier « Crise : la fin des années fric ? » du numéro 43 des Cahiers du football.
Comme la quasi-totalité des secteurs économiques où l’argent a fait irruption, le football a subi des dérives de tous ordres. Au fil du temps, elles ont pris plusieurs formes – tristement habituelles. Parmi la pléthore d’exemples de ces perversions, l’on pourrait, schématiquement, dégager trois catégories : trop d’argent, plus assez, des destinataires douteux. Trois types de dérives préoccupantes, diversement graves, et trop souvent tues. Trois phénomènes qui n’ont rien de nouveau, mais dont l’actualité récente offre de funestes illustrations.
Parmi le cortège de malhonnêtetés drainé par l’afflux financier, la plus immédiatement tentante est celle, vieille comme le monde, du trucage de la compétition sportive. Dans le thème récurrent des matches "achetés", le plus fameux demeure naturellement, en France, la rocambolesque et honteuse affaire VA-OM en 1993. Au niveau international, la plus récente manifestation de ce type d’arrangements est à lire dans le livre de Declan Hill, Comment truquer un match de foot ?, où le journaliste canadien relate des épisodes de la Coupe du monde2006 pour le moins douteux. Il semble que le trucage de matches soit, à l’heure actuelle, principalement commandé par les réseaux organisateurs de paris clandestins sur les rencontres. Ce système, qui a vérolé le championnat belge sous la houlette d’un mystérieux Chinois, Zheyun Ye, et touché la Bundesliga en 2004 avec l’affaire Hoyzer, du nom de l’arbitre allemand impliqué, aurait donc pu gagner les sélections nationales.
Autre abcès récurrent dans le football, les flux d’argent liés aux transferts ont donné lieu à de nombreuses enquêtes ou affaires judiciaires. Le récent procès de plusieurs anciens dirigeants de l’OM a mis en lumière des pratiques obscures du milieu : agents cupides, rétrocommissions, surfacturations… D’autres enquêtes sur des pratiques du même ordre, concernant le PSG ou le RCStrasbourg, avaient été rendues publiques notamment par L’Equipe Magazine. Dans La Face cachée du foot business, paru en 2007, deux journalistes [1]. évoquaient les circuits financiers liés aux ventes de joueurs, impliquant notamment des sociétés off-shore. L’envers d’un décor où, devant l’inflation des montants des transferts, chacun veut sa part. Et tous l’ont tout entier, ajouterait le poète.
Il peut apparaître paradoxal, dans un monde où l’argent coule à flots, que des clubs soient exposés à des risques de dépôt de bilan, à l’image de n’importe quelle entreprise. Cela s’est pourtant produit à plusieurs reprises au cours des dernières décennies. La faillite d’un club peut d’abord résulter de celle de son principal actionnaire et bailleur de fonds, contraint de couper les ponts à son émanation sportive. En Italie, l’affaire Parmalat faillit incarner ce modèle de chute : à la fin de l’année 2003, ce richissime groupe laitier connut la banqueroute, dans les circonstances d’un immense scandale financier. Le célèbre club de Parme AC, qui y était adossé, manqua s’effondrer avec lui. Il survécut toutefois, affaibli, et sous un nouveau nom.
Mais la faillite du club peut aussi être, tout simplement, liée à sa gestion proprement dite. En France, la déconfiture des Girondins est la plus célèbre : Bordeaux fut placé en redressement judiciaire en février 1991 et rétrogradé en raison de son colossal déficit financier. Le club put repartir en feue la deuxième division, évitant la liquidation et ses conséquences. Moins chanceuse mais tout aussi symptomatique est la faillite concomitante du Brest-Armorique : le club finistérien, dirigé par l’inénarrable François Yvinec, fut placé en liquidation judiciaire en décembre 1991. Perdant son statut professionnel, il fut rétrogradé en troisième division, et dut brader une génération de grands joueurs. Il n’eut pas le bonheur de rebondir comme les Bordelais, et végéta plusieurs saisons avant qu’un nouveau président, Michel Jestin, ne le ramène au haut niveau.
Plus récemment, c’est en Suisse que la faillite d’un club a défrayé la chronique. Il ne s’agit pas ici des états de service de Waldemar Kita à la tête du club de Lausanne, mais du procès de Marc Roger, ancien président du Servette de Genève. Agent de joueurs à l’origine, Roger prend, début 2004, les rênes du club genevois, en proie à d’importantes difficultés financières. Il dépense sans compter, recrutant notamment Christian Karembeu. Un an après son arrivée, le club dépose le bilan. En particulier, son président sera accusé d’avoir précipité la faillite et falsifié les comptes du Servette afin d’obtenir la licence pour la saison suivante.
Poursuivi pour "banqueroute frauduleuse, escroquerie, gestion fautive et faux dans les titres", Marc Roger a été relaxé pour les deux premiers chefs mais condamné pour les deux autres, le 10octobre dernier, par la cour correctionnelle de Genève, à deux ans de prison avec sursis. Une bonne leçon pour tout le monde ? On peut redouter au contraire que nombre de clubs européens continuent de fonctionner alors même qu’ils seraient, en droit commun, considérés comme en état de cessation des paiements (consistant à ne plus pouvoir faire face à son passif exigible avec son actif disponible), sans en subir le régime. Autant de clubs en sursis.
Enfin, un autre type de dérive est lié à la faune qu’attirent l’excès d’argent – et la difficulté des contrôles : plusieurs affaires révèlent les sulfureuses accointances entre le football et les milieux criminels ou le grand banditisme, parasites habituels des secteurs lucratifs, voire certains groupes mafieux. Ces derniers contrôlent souvent les paris clandestins, comme à l’époque du Totonero en terre italienne, où les liens entre le football et la mafia ne tiennent pas du fantasme. Ceux qui étaient censés unir le Maradona du grand Naples à la Camorra firent gloser.
Plus troublantes sont les arrestations de sept personnes par la justice italienne en juillet 2008 : elles auraient tenté de racheter la Lazio de Rome, en2006, pour le compte de la famille Casalesi, l’une des plus puissantes de la même Camorra napolitaine, à des fins de blanchiment. Un enquêteur a ainsi commenté l’affaire : "Nous sommes en présence d’un phénomène nouveau où la criminalité organisée a essayé (…) d’acquérir un club de football de premier plan". L’un des protagonistes de cette prise de contrôle avortée est Giorgio Chinaglia, ancien joueur international et président de la Lazio, qui a fait l’objet d’un mandat d’arrêt en juillet 2008. Ce même Chinaglia avait déjà été accusé, en2006, d’extorsion de fonds au préjudice du président de l’époque de la Lazio, Claudio Lotito…
La France n’est pas épargnée par ces liaisons dangereuses. Dominique Rutily, président de Calvi aux relations troubles, fut assassiné à Hyères en 1996 alors qu’il envisageait de reprendre le club de Nice. Mais c’est surtout l’OM qui cristallise les soupçons, ces dernières années : présence de figures du milieu marseillais dans l’entourage direct du club, pratiques sordides confinant à l’extorsion de fonds comme envers Djibril Cissé en juin 2008… Là où ce type de connivence devient franchement inquiétant, c’est lorsque l’on se tourne vers ces nouveaux bailleurs de fonds du football que sont la Russie et les États d’Europe de l’Est. En 2007, les Cahiers relataient les doutes sur la provenance des fonds de l’Est, et sur l’implication possible, en sous-main, du crime organisé dans certains investissements. En écho à ces craintes, le magazine So Foot, dans son numéro 58 de septembre 2008, indique que l’un des principaux clubs ouzbeks, celui de Pakthakor, serait tenu "par un mafieux notoire de la pègre de Tachkent"…
Enfin, la dernière illustration en date est l’affaire concernant les Belges Gilbert Bodart, ancien gardien de buts (notamment de Bordeaux) et ex-entraîneur de Wevelgem, et Tony Coorevits, président du même club : la presse belge a révélé, en août 2008, que Bodart était accusé d’être impliqué dans une affaire de faux monnayage. Bodart aurait peut-être été présenté à Vincenzo Alfano, que les justices belge et italienne soupçonnent d’appartenir à la mafia, par le cousin de celui-ci… Enzo Scifo (qui le nie toutefois) !
Petites frappes ou parrains, il est au final inquiétant de constater que le football puisse être devenu ce bouillon de culture où s’ébrouent les profiteurs de tous ordres.
Retrouvez cet article sur le site des Cahiers du Football.
À lire ou relire sur Bakchich :
[1] De Jérôme Jessel et Patrick Mendelewitsch, éd. Flammarion/Enquête
J’ai parié sur un match Iles féroé - de 21 ans contre la Russie - de 21 ans, qualification pour l’euro de football.
Des cotes impressionnantes en cas de victoire des iles Féroé,et voilà encore un match truqué qui rapportera d’un coup beaucoup d’argent à certaines mafias il me semble (mise multiplié par 12) !!!Ca rappelle un match de tennis perdu par Davidenko à une époque avec des cotes équivalentes.
C’est un système gangréné, j’avoue qu’ils sont parfois malins, mais là c’est vraiment trop flagrant mdr.