Roberto Saviano, l’auteur de "Gomorra", revient en librairie avec deux nouvelles qui parlent de l’armée et de la Camorra.
Cela pourrait être l’histoire d’un renoncement. D’une résignation qui colle à la peau comme la glaise aux semelles de certains hommes. « Ou le simple fait de naître est une faute […] peu importe la vie qu’on a menée ». Un enfer où toute vie vient du sang, tout sang d’une terre, toute terre d’une fatalité. Cette chambre froide porte un nom : Naples. Roberto Saviano, journaliste et écrivain, auteur de Gomorra, en a fait son nid d’écriture duquel il autopsie de sa plume les cadavres oubliés. Comme un haltérophile portant seul, à bout de bras, le poids du cortège des disparus, battus, défaits par la mafia.
Hommage aux vaincus ! Son dernier roman, Le contraire de la mort, composé de deux nouvelles, s’engage comme une grille de mots-fléchés. Contraire de la mort ? Vie ? Être ? Exister ? Demeurer ? Des étiquettes dont il serait bien vain d’accoler à ces destins vidés de la moelle de l’existence. Saviano peint son manège désarticulé autour de deux récits. Celui d’une jeune femme de 17 ans dont le fiancé, enrôlé dans l’armée, est tué en Afghanistan. Comme la majorité des jeunes du village dont le recours à l’armée constitue la seule échappatoire désespérée de briser les chaînes de la terre.
Enfin, le second, mieux maîtrisé, plus ciselé, qui, dans la lignée de Gomorra, voit prospérer la gangrène de la mafia à petit feu, la Camorra, sur des adolescents enrôlés malgré eux. Petites guéguerres sans objets ni raisons, dont la misère et l’abandon constituent le seul ciment à leur action. Le « Je » du narrateur, en observateur désarmé, le rend tout aussi coupable d’être né et de vivre là. Saviano pose la question de savoir s’il est réellement possible de résister à cette mafia qui broie des vies dans un élan de servitude volontaire. « Une résistance difficile à raconter, car elle ne se lève pas contre des troupes d’occupations, elle ne lutte contre aucune milice, elle n’a aucune dictature à renverser. Une résistance qui ne consiste pas à être contre, il suffit d’être en dehors pour tomber ».
Condamné à mort par la Camorra, l’écrivain le sait bien. Il vit avec. Préférant porter la voix de ces vies desséchées dont « le plus lourd des fardeaux, c’est d’exister sans vivre ». Saviano dans les pas de Victor Hugo, ça mérite bien de sortir quelques euros.
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