Enfin la vérité éclate ! Une étude scientifique de Philadelphie lave l’honneur de l’immense armada des boit-sans-soif qui courbaient le front sous l’opprobre : il est inutile de boire plus d’un litre d’eau par jour. L’eau ne sert à rien, ni à maigrir, ni à blanchir le teint, ni à gommer les rides. Il faut simplement boire quand on a soif, ce que savaient d’instinct les suppôts de Bacchus, fins connaisseurs de la dive bouteille, et qui, ayant mené à terme des études poussées à l’Université du Zinc, savaient que le vin contient de l’eau car nobody is perfect !
Il est temps, camarades pochetrons, de relever la tête, nous qui levions si bien le coude. Que n’avons-nous pas entendu comme lazzis : que nous étions un mauvais exemple pour la jeunesse, que nous grevions le budget du ménage en litres de rouquin, que nos démarches titubantes étaient une insulte à la sobriété des traçeurs de lignes blanches ! Nous en étions réduits à enfiler des chasubles pour boire en loucedé du vin de messe à la sacristie.
En roulant sur les « routes du vin », de Bourgogne en Arbois et de Sancerre en Médoc, nous étions obligés de cacher nos intempérances par un intérêt subit pour les monuments historiques locaux : « Il paraît que l’église de Chablis vaut le détour, bobonne, prend le volant » !. Les haro sur la chopine rejoignaient les ukases anti-tabac ! On n’allait pas tarder à voir sur les litrons l’étiquette infamante : « Boire rend impuissant ». La société toute entière condamnait les nez rouges et piquetés. L’heure était aux glabres, aux sains, aux curetons de la flotte, ligués contre les amateurs de pinard, décidés à rendre la vie aussi excitante que les œuvres de Daniel-Rops.
Heureusement, la science remet les verres en place : l’eau nécessaire à l’organisme est contenue dans les fruits, les légumes et la viande. Et quoi de mieux qu’un bon Côte Rôtie pour accompagner un pot-au-feu ou une bonne Duvel pour faire passer un moules-frites belge. Au pays de Rabelais et du Professeur Choron, les tristes menus des hépatiques arrosés à l’eau minérale retrouvent la place qui aurait dû rester la leur : la cantine des hôpitaux ou les nourritures des bébés.
Boire un litre d’eau par jour ne sert à rien, mais n’est pas nocif, ajoute l’étude américaine. Tu parles : c’est très nocif pour les budgets de la ménagère, vu le prix de l’eau dite « de source ». Il est donc urgent, par pur civisme, de réserver l’eau du robinet au brossage des dents. C’est aussi un devoir écologique à l’heure où, la ressource fondant, les guerres de l’eau s’annoncent dans le monde entier et où Barcelone songe à nous mendier l’eau du Rhône.
Oui, amis du jéroboam, il est temps de prouver aux tempérants moroses que nous sommes des sauveteurs de l’humanité : nous étions les premiers à économiser l’eau en levant nos verres de jaja. Nous réclamons, hic, une place de soiffard inconnu aux côtés de celle du soldat inconnu qu’on a envoyé au casse-pipe à Verdun en lui bourrant la gueule avec un mauvais calva ! Les patriotes, c’est toujours nous !
Enfin !
Enfin, je vais pouvoir modérer ma douce moitié qui, par pur plaisir, engloutissait il y a encore quelques années (elle s’est un peu calmée) ses cinq bons litres de Château La Pompe millésimé par jour ! Ce n’était plus l’eau neuve de vos cellules, c’était le Rhône quand il est encore torrent, le Zambèze en pleine chutes, la cataracte du Nil sans le Barrage d’Assouvant (sic) !
Amis, avant la mise en bière qui nous attend tous un jour, buvons de cette cervoise dont la mousse semble rire, si on l’écoute de près.