La semaine dernière, un Eurostar a mis la nuit pour relier Londres à Paris et les voyageurs arrivés gare du Nord vers 9 heures ont crié : « Quelle galère ! ». Cette exclamation pose bien le problème angoissant de l’affadissement de la langue française. Les « galériens » de l’Eurostar feraient bien rire les vrais galériens du passé – aux chicots ravagés par le scorbut – qui ramaient sous les coups de garcette dans les galères royales. Aujourd’hui, tout est « galère » : un métro en panne, un bouchon sur l’autoroute, un boulot à finir demain alors qu’on pensait avoir la semaine. Nos civilisations surprotégées, gavées, encadrées, ont oublié que les tortillards de naguère mettaient vingt-quatre heures pour aller de Paris à Marseille et que les Trois Mousquetaires chargés de récupérer les ferrets de la Reine chez le duc de Buckingham ont certainement réussi leur mission en une semaine, de relais de poste en auberge. Alors quoi ?
Le temps aujourd’hui n’a plus la même valeur que jadis. Tout doit être expédié à toute allure. Nos cadres surexploités cavalent de gare en aéroport l’ordinateur portable à la main, contraints, pour être efficients, de ne pas perdre une minute. Dans leur demi-sommeil sans rêves, ils ne regardent même plus le paysage par la fenêtre, l’œil collé aux mails de l’ordi et aux rapports à réviser avant la réunion. Est-ce une vie ?
Par bonheur, quelques-uns restent vivants. À l’arrivée du même Eurostar, une voyageuse a confié au Parisien (20 avril) que l’ambiance à bord était conviviale, que les gens se parlaient. On connaît la formule « Les catastrophes sont les fêtes des pauvres ». Entendez par là que le surgissement de l’exceptionnel tue la routine mortelle. Beaucoup des victimes rurales des grandes guerres partaient heureux sur le front : ça les changeait des moissons.
Pendant la fameuse grève générale des transports à Paris à la fin du siècle dernier, on a vu des foules de piétons et de cyclistes discuter dans les rues, des automobilistes essayer le co-voiturage : l’ambiance était conviviale. Il y a quarante ans, en Mai 68, idem dans les rues françaises : on se parlait enfin, le morne silence gaulliste étant rompu.
Voilà pourquoi (sans exagérer) il faut souhaiter aux Occidentaux repus, dont le confort repose – ne l’oublions jamais – sur le malheur des trois-quarts de l’humanité, de se taper davantage de « galères ». Histoire de relativiser l’importance d’un petit retard au bureau !
Je réagis à cette phrase en repensant à un article paru dans le numéro d’avril 2008 d’Enjeux Les Echos, que je cite : "Qu’il habite Londres ou Baltimore, Copenhague ou Bombay, le citadin consacre environ une heure par jour à se déplacer. La constante se vérifie aussi dans le temps : en 1930, l’humanoïde moyen se transportait déjà 56 minutes par jour, contre 54 actuellement. (…) Mais elle masque un changement de taille : entretemps, l’homme a quadruplé sa vitesse moyenne (…)."
La valeur du temps me semble donc n’avoir éventuellement pas changé, celle de la distance peut-être davantage. La réflexion ne doit peut-être donc pas tant porter sur la durée comparée des voyages, mais plutôt, notamment dans le cas évoqué dans l’article, sur la facilitation croissante des déplacements lointains.
Heureusement que Bakchich est là pour donner du recul à ses (très intéressés) lecteurs… Ca nous change des J-P Pernaut et autres défenseurs compulsifs de "l’usager" (qu’on prend en otage), qu’ils n’aperçoivent d’ailleurs que de leur voiture avec chauffeur. Il n’y a c’est sûr rien de plus socialement productif et divertissant qu’un bon grain de sable dans la mécanique trop bien huilée du migrateur, aussi pendulaire soit-il !
En passant, merci aux journalistes de Bakchich et longue vie au journal !
JF Donoli. adepte des trains indiens, bus guatémaltèques, took-tooks thaïlandais et autres miraculeux tape-cul
Tiens ! Maintenant Bakchich fait des articles à but purement récréatif en prenant pour origine l’étymologie d’une expression sortie de la bouche du quidam lambda ?
C’est distrayant, remarquez ! Mais s’il fallait passer au crible l’histoire de tous nos mots et publier des articles sur le sujet, on se lasserait rapidement.
Sur ce, je vous laisse sur cette note d’humour étymologique : Bakchich, c’est pas toujours un cadeau !
Super, les gens qui fument dans le train, pas de lumière, 9 heures à attendre en rase campagne dans un espace clos, mais vu que D’artagnan aurait fait le même trajet en une semaine c’est pas trop grave.
Que l’ambiance aie été bonne dans le train ne change rien au fait que l’attente est insuportable et que 100 % des passagers auraient préféré passer la nuit dans leur lit.
S’il vous plait, ne racontez pas n’importe quoi…