Contrairement à Rachida Dati avec laquelle il joue les têtes d’affiche de la campagne de l’UMP, le ministre de l’Agriculture rêve vraiment de Bruxelles. Mais pas au poste où on l’attend.
Avec le curieux attelage formé par Rachida Dati et Michel Barnier, tous deux têtes de liste en Ile-de-France, on ne peut pas dire que la campagne de l’UMP décolle vraiment. C’est même le contraire. Il est vrai que le contexte économique s’avère peu porteur pour vanter l’Europe. Mais il faut reconnaître aussi que la Madame-sans-zèle du parti sarkozyste n’est pas mue par une grande motivation à se faire élire au Parlement européen. Lequel siège tantôt à Bruxelles, tantôt à Strasbourg, deux bourgades qui s’avèrent pour Dati bien trop éloignées de Paris, la Ville lumière…
Le cas du consciencieux Michel Barnier est différent. Encore ministre de l’agriculture sans doute jusqu’en mai, le savoyard doit gérer des jacqueries successives qui perturbent sa campagne. Il y a plusieurs semaines, Barnier a décidé d’amender la PAC, la Politique agricole commune en France en réorientant une partie des subventions vers certains éleveurs et producteurs de fruit et légumes qui tirent véritablement la langue aux dépends des riches céréaliers de Beauce ou de Picardie. Résultat, le « Robin des bois » – comme le surnomme son entourage – de l’agriculture s’est mis à dos les gros revenus de l’aristocratie paysanne qui vivent mal la perspective de devoir attendre pour changer la Mercedes ou le gros 4X4.
Ces derniers jours, ce sont les pêcheurs des ports du nord qui se sont mis en colère, vent debout qu’ils étaient contre les quotas de pêche au cabillaud et à la sole mis en place par la Commission européenne. Ce qui a conduit le ministre à trouver un peu de sous (4 millions d’euros ) pour les calmer. Moins techno et moins lisse depuis qu’il fréquente Sarkozy, Barnier leur a aussi proposé de les emmener avec lui à Bruxelles pour tenter faire plier les eurocrates que lui-même qualifiait il y a quelques mois avec les adjectifs les moins châtiés.
Plutôt rigolo pour quelqu’un qui, contrairement à sa collègue Dati, ne rêve que d’une chose : retrouver Bruxelles. Non pas pour siéger sagement sur les bancs du Parlement. En réalité, Barnier mène une double campagne. « Bien sûr il veut se faire élire eurodéputé, mais retourner à la Commission, c’est le vrai objectif qu’il poursuit » s’enthousiasme un responsable alpin de la FNSEA - le syndicat d’agriculteurs majoritaire -, et grand fan de Barnier. Cette institution, l’intéressé la connaît bien. Choisi par Chirac, il a occupé entre 1999 et 2004 le poste de Commissaire chargé de la politique régionale puis de la réforme des institutions. Pas sûr que la Commission ait toujours autant de pouvoir qu’elle en avait sous Jacques Delors, mais au moins on passe moins inaperçu qu’au Parlement où les Français s’investissent peu et ne brillent guère.
Par bonheur, le calendrier tombe pile-poil. Après les européennes le 7 juin, ce sera à la Commission Barroso d’être en principe renouvelée à la fin de l’année. On rebat les cartes, on change les commissaires et chaque État propose un ressortissant. Même si on parle de Juppé voir de Fillon, Barnier figure en bonne place sur la liste de l’Élysée pour être l’« élu » de la France. « Il est plutôt bon et maîtrise ses dossiers » juge-t-on dans un cabinet ministériel. L’intéressé, lui, affiche des pudeurs de premier communiant lorsqu’on l’interroge sur la suite de sa carrière. « La Commission ? Ce sera au président de décider ». En clair, Barnier y pense et pas seulement en se rasant.
Ainsi les électeurs de la liste UMP en Ile-de-France voteraient pour un responsable qui, après leur avoir vanté l’importance du Parlement européen, filerait quelques mois plus tard à la Commission européenne. Au moins, on ne peut pas reprocher à Barnier d’être moins franchouillard que la plupart des élus qui prennent l’Europe par dessus la jambe.
Mais ce scénario ne plait pas du tout à un certain Jacques Barrot, actuel commissaire français, chargé des questions de justice sécurité et liberté. « Barrot juge Barnier beaucoup trop impatient et estime qu’une arrivée prématurée pose un problème vis-à-vis des électeurs », lâche un de ses proches. On l’a compris malgré ses 72 ans et un poste que d’aucuns jugent lessivant, Barrot fait de la résistance. Pas question de lâcher la rampe au profit d’un petit jeune, même de son camp - il y a une décennie tous deux faisaient partie des cofondateurs du raffarinesque club « Dialogue et initiative ».
D’ailleurs Barrot se réjouit. Il y a de grandes chances que son chef Barroso fasse avec son équipe du rab jusqu’au courant de l’année 2010 en attendant une hypothétique ratification du traité de Lisbonne (la République Tchèque ne l’a toujours pas ratifié et l’Irlande devrait revoter) qui doit entraîner une composition différente de l’exécutif communautaire. Mais plus fort encore, Barrot qui estime ses compétences irremplaçables - et qui fait sans doute monter les enchères pour décrocher un bon lot de consolation - fait dire qu’il se verrait bien rempiler « au même poste dans la future Commission avant de se retirer après deux ans ou deux ans et demi ». Il n’y a donc pas que les ministres qui font connaître leur plan de carrière. Voilà qui va sans doute plaire à Sarkozy.
Dommage qu’on ne puisse nommer Barrot au Parlement européen à la place de Barnier !
À lire ou à relire sur Bakchich.info :
Ce titre racoleur cache la vérité que l’article dit pourtant, en passant : le ministre de l’Agriculture Michel Barnier a fait du bon travail, et son action est saine sur le fond.
C’est un homme qui s’intéresse au domaine qu’il traite, l’agriculture, et il vient courageusement de changer la répartition des aides et subventions, sauvant ainsi les petits agriculteurs et éleveurs.
S’il devenait Commissaire à l’agriculture, ce serait bien pour tout le monde. Mais rares sont les journalistes français capables ou désireux de traiter du fond des choses ou de dire simplement des choses vraies pour permettre à leurs lecteurs d’être réellement informés. On préfère, comme ici, s’en tenir à la lorgnette politicarde et biaisée, ça fait plus chic.
Dommage, on attendait mieux de Bakchich !