Pendant la présidence française de l’Europe, les ministres du gouvernement Fillon ont gentiment trainé des pieds pour assister aux sessions du Parlement européen.
Ouf ! Après six mois de raouts en tous genres, la présidence française de l’Union européenne s’achève le 31 décembre prochain. Il y en a un qui n’a pas attendu la fin des festivités pour s’éclipser : Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire d’Etat aux affaires européennes qui passe la main de façon aussi surprenante que prématurée. Le 15 décembre, il prendra la présidence de l’AMF, le gendarme de la Bourse, à la place de Michel Prada dont le mandat a expiré depuis le 21 novembre.
Secoué par un rythme hautement intensif de travail, Jouyet, ancien haut-fonctionnaire socialiste proche de François Hollande, s’est rendu compte qu’il n’était pas fait pour les feux de la rampe. Pour certains, c’est une drogue dure, mais pour lui, la politique est trop prenante. Plus de vie privée, plus de vie tout court. « Je ne me vois pas faire les marchés » a-t-il expliqué à la presse. Avant donc d’opter pour le contrôle des marchés… boursiers.
« Outre qu’il ne supporte plus Bernard Kouchner, son ministre de tutelle, qu’il tient pour un rigolo, Jean-Pierre Jouyet en avait aussi plein le dos de jouer les roues de secours des ministres titulaires qui se font porter pâles devant le Parlement européen » glisse un haut fonctionnaire français qui n’appartient pas à son cabinet, où l’on réfute toutes ces vilaines thèses. A écouter ce persifleur, seule une poignée de membres du gouvernement Fillon ont vraiment joué le jeu démocratique en venant plus d’une fois s’expliquer devant les députés européens. « La plupart prennent ça de haut » juge-t-il. « Très peu ont compris le rôle stratégique que joue désormais le Parlement dans l’adoption des textes communautaires ».
A tel point qu’il y a quelques semaines, « Jouyet a dû remplacer sept ministres sur des sujets divers et variés. La ministre de l’Economie, Christine Lagarde, ne s’est même pas pointée pour proposer un plan de soutien à l’industrie automobile » déplore-t-on dans les allées du Parlement où l’on se souvient qu’en général les grands pays — comme l’Allemagne — font monter leurs ministres au créneau lorsqu’ils assument la présidence de l’Europe. C’est qu’« avec toutes les manifestations européennes organisées en France, les membres du gouvernement ont pu être retenus dans l’Hexagone » couine-t-on, en guise d’explications, à la Représentation permanente française à Bruxelles.
Pour cette collaboratrice d’un euro-député français, que ce soit dans l’enceinte de Bruxelles ou de Strasbourg, les ministres de notre République ne seraient pas à l’aise dans ce Parlement européen trop démocratique. « Certains sont déstabilisés car ils n’y trouvent pas les repères et le protocole qu’ils connaissent en France. Le Parlement européen, ce n’est pas le Palais Bourbon, c’est beaucoup plus détendu, moins formel, ce n’est pas truffé d’huissiers et l’accès n’est pas très sécurisé. Alors, pour certains ministres, ce manque de décorum ne fait pas sérieux » analyse la perfide avant d’enfoncer : « le pire, c’est d’être traité comme « un anonyme » lorsqu’on entre dans les locaux ». Et toc !
Heureusement, certains élus ont trouvé la parade pour se faire mousser l’ego. Il suffit d’importer certaines de nos us et coutumes républicaines héritées de l’Ancien régime. C’est le cas de Rachida Dati, ministre de la Justice. Débarquant à Bruxelles par TGV le 1er septembre 2008 pour intervenir devant le Parlement, elle a demandé à être accueillie en gare par l’ambassadeur Pierre Sellal, chef de la représentation permanente française, et non par des sous-fifres. Pas de chance, le diplomate avait d’autres chats à fouetter ce jour-là. Sarkozy avait convoqué un Conseil des dirigeants européens exceptionnel consacré à la crise géorgienne. « Sellal a quand même dû se libérer pour aller faire un baise-main à Rachida » confie un diplomate hilare.
A force de tant de désinvolture, les ministres français ont fini par irriter les élus européens. Heureusement Super Sarko veillait au grain… « Il nous a sorti le grand jeu au départ » note l’un de ces élus. En amont de la présidence française, tous les présidents de Commissions du Parlement européen ont été reçus à Paris par Sarkozy en tête à tête et les ministres de Fillon ont été priés de multiplier les contacts. Ce que certains ont fait très scolairement.
Puis, fin juin, ce fût au tour des présidents de groupes parlementaires de l’hémicycle communautaire d’être invités en grande pompe à Paris. Du jamais vu dans les mœurs européennes !
Et encore ce n’était rien comparé à l’effet produit par Nicolas Sarkozy lors de ses deux discours du 10 juillet et du 21 octobre dernier. Outre ses gesticulations et grimaces qui intriguent tant les autres peuples, le président français a introduit un commencement de ce décorum qui ferait défaut à l’Europe : « des tireurs d’élite disposés sur les toits autour du Parlement, des services de sécurité omniprésents à l’intérieur. Je crois qu’on n’avait jamais connu cela pour un chef d’Etat » grince un euro-député.
Pour clore la présidence française, Nicolas Sarkozy interviendra une dernière fois le 16 décembre au matin. Une bonne nouvelle pour les élus de l’Europe. En général, quand le chef de l’Etat parle, le gouvernement français se déplace au grand complet devant le Parlement européen.
Le gouvernement de François Fillon ne comporte que deux ministres jouant réellement le jeu du Parlement européen : messieurs Borloo et Barnier, respectivement ministre de l’Ecologie et ministre de l’Agriculture. Motivé par la trace qu’il entend laisser dans l’Histoire, le premier défend mordicus son délicat « paquet climat », une déclinaison européenne du Grenelle de l’Environnement qui consiste à réduire de façon drastique les émissions de CO2 d’ici 2023. Quant à Michel Barnier, ancien commissaire européen, il ne rechigne pas à exposer sa position sur la réforme de la PAC ou sur les quotas de pêche. « Il adore venir devant le Parlement » apprécie l’entourage de l’euro-député socialiste Gilles Savary. La classe ! E. B.
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