L’Europe s’envoie en Blair

Dès la ratification du traité de Lisbonne par la République Tchèque, la course à l’échalote pour devenir le premier Président de l’Europe sera lancée. Si personne ne sait vraiment à quoi va servir ce guignol supplémentaire en tête de gondole du plus grand supermarché du monde, ils sont un paquet à rêver de ce costume qui reste à tailler.

Le premier à tomber le masque fut l’incarnation du rêve lisboète. Tony Blair himself, thuriféraire du marché roi et grand contempteur de l’Europe politique. Manque de bol, Paris et Berlin ne sont pas prêts à verser dans la galéjade et ont fait exploser en Blair cette candidature qui provoqua trop d’émois, tant chez les grincheux anglophobes que chez les naïfs europhiles.

Pour contenter les nations lilliputiennes qui forment le gros du bataillon européen, nos grands leaders s’apprêtent à sortir de leur chapeau un nain politique pour ne pas être gênés quand ils brassent du vent contre la mondialisation. Le premier président du conseil européen sera un inconnu, pris dans une chaîne à vingt-sept anneaux et prié de surtout la boucler. La Commission restera une matrice ortholibérale et le Parlement une vieille blague consensuelle.

C’est Europa qu’on assassine

S’entêter dans la construction d’un gros machin libéral et technocratique ne rime plus à rien. Nous assassinons une idée superbe sur l’autel de la vulgarité des obsédés du fric qui n’aiment l’Europe que parce qu’elle les sert grassement.

Car on s’y est écharpé, dans le Vieux continent. Notre mémoire est irriguée de fleuves de sang, elle bruisse du vacarme du fer et de l’éclair du feu qui se déversèrent comme le tonnerre pour de nobles et terribles causes : la Vraie Foi, le Roi, la Patrie, la Liberté, la ligne bleue des Vosges ! On y offrit sa poitrine en gentilhomme, on se sacrifia en patriote, on aimait l’empereur comme on adorait la mort. Les nations tenaient dans un fourreau, leur fierté était au bout du fusil. Et puis on se lassa des massacres. La guerre de cent ans, de trente, de sept, les guerres de religion, Napoléon et ses conquêtes, la Grande Guerre, la Shoah… On avait fait le tour des horreurs, épuisé toutes les ressources de l’art de la mort.

A la charnière du vingtième siècle les Européens se déclarèrent fatigués de mourir. Ils firent la paix. Ils firent l’Europe. Les peuples élevés dans les cachots du nationalisme furent éduqués à l’amitié. On rangea au placard les héros de la guerre et les nations se firent raisonnables. L’intelligence qu’on avait mis à s’entre-tuer, on l’usa à s’unir. Un drapeau, un hymne, des traités, une monnaie, et maintenant un président. Un joyeux bazar, de plus en plus foutraque. Un vaudeville des peuples qui se cherchent un destin commun. Mais la trame est difficile, les acteurs ont leur ego, l’écriture prend du temps à défaut de prendre du retard, la mise en scène, souvent, est chaotique.

Le bonheur reste une idée neuve en Europe

La fulgurance de Saint Just « Le Bonheur est une idée neuve en Europe » est toujours d’actualité. Mais ne nous voilons pas la face. La rapacité des banques qui imposent leur imperium à toute l’économie, le patronat criminel qui régente le salariat dans des conditions qui frisent l’esclavagisme (il est des pays où le salaire moyen est de 200 euros en Europe), la police et la justice qui prennent de plus en plus de libertés avec les nôtres au nom de la lutte contre le terrorisme et l’immigration illégale : voilà le sens de l’Europe quand la Commission n’existe qu’à travers ses Bulles incantatoires, privatisant les services publics et faisant tomber un rideau de fer sur les frontières de l’Union.

Lisbonne a achevé de transformer la promesse européenne en mensonge. Aller voter pour que des ploucs cravatés bouffent des flammenküches à Strasbourg ou disserter sur le nom d’un président fantoche que personne ne prendra au sérieux ne sert qu’à amuser la galerie. Soyons raisonnables, mettons fin au carnaval.