La crise alimentaire mondiale est là. La demande est forte, la production ne suit pas. Du coup, les prix flambent, les pénuries s’installent, les émeutes de la faim se succèdent, 36 pays sont en situation de crise alimentaire et les famines risquent de tuer des millions de personnes cette année. Ces réalités-là ne sont pas contestables.
Mais il est tout de même un peu surprenant que les médias se focalisent uniquement sur la situation, souvent dramatique, des consommateurs dont le pouvoir d’achat se trouve rogné par la hausse des prix des fruits, légumes, viandes, céréales ou poissons. Car les hausse des prix alimentaires, comme celles du baril de pétrole, mauvaises nouvelles pour les acheteurs, sont, a contrario, de bonnes nouvelles pour certains producteurs, dont les revenus grimpent de concert.
Oh, bien sûr, on pourra objecter avec justesse que les pays producteurs de riz ou de blé ne s’enrichissent pas tant que cela, puisqu’ils subissent, eux aussi, l’inflation générale des prix, qui se répercutent sur leurs coûts (semences, transport, salaires, etc). Pis, certains intermédiaires – notamment dans l’industrie agro-alimentaire – se goinfrent gentiment au passage, privant les agriculteurs d’une partie des retombées positives de la hausse des cours.
Mais tout de même : pourquoi ne pas s’intéresser davantage au gonflement des revenus de certains producteurs. Le Vietnam ou la Thaïlande pour le riz, les fermiers d’Inde, de Chine ou du Middle West américain pour le blé. Les exploitants de soja du Brésil ou d’Argentine. Les planteurs de cacao en Côte d’Ivoire, au Ghana ou en Indonésie. Non pour les accabler ou fustiger leurs mannes inespérées. Mais pour y regarder de plus près. Observer où passent ces milliards supplémentaires que les consommateurs paient pour se nourrir. Peut-être s’apercevrait-on que certains producteurs sortent ainsi, progressivement, du sous-développement, justement grâce à la valorisation de leurs produits. Sujet tabou probablement !
Sans doute découvrirait-on aussi que ces revenus sont en partie captés par quelques intermédiaires ou que les inégalités s’accroissent, les plus grosses exploitations agricoles en profitant bien davantage que les petites. En tous cas, nous aurions une vision plus précise de ce qui se passe dans les filières.
Un seul exemple intéressant : l’an dernier, le revenu agricole moyen a augmenté de 5,4% en Europe, et de 12% en France, avec des écarts grandissants. Grâce à la hausse des cours du blé tendre (60%) et au gonflement des subventions, les revenus des céréaliers de la Beauce ont carrément doublé en 2007, année record, après avoir déjà cru de 39% entre 2005 et 2006. En pleine crise alimentaire, à côté des viticulteurs en crise et des éleveurs déprimés, les céréaliers préfèrent rester discrets sur leur bas de laine qui s’arrondit…
"Peut-être s’apercevrait-on que certains producteurs sortent ainsi, progressivement, du sous-développement, justement grâce à la valorisation de leurs produits. Sujet tabou probablement !"
Peut-être s’apercevrait-on que les "producteurs discrets" ne sont pas toujours locaux, et qu’il y a peu de chances de sortir du sous-développement par la famine…