Palais de Justice de Paris, le 29 septembre 2009, cinquième jour d’audience
Les diplômes protègent-ils de la bêtise ? En clair, Jean-Louis Gergorin, polytechnicien, énarque, ex-vice-président exécutif du groupe EADS, capable de citer de mémoire des passages entiers d’une instruction de 42 tomes ou de corriger le Président quand celui-ci se trompe d’un chiffre sur un numéro de compte bancaire – cet homme-là, brillant, dégourdi, habile et expert en son domaine, peut-il avoir été bêtement manipulé par l’ex-trader Imad Lahoud ?
C’est la défense de Gergorin, le « corbeau ». Sa trop grande crédulité, son aveuglement – peut-être même, tout simplement, son envie d’y croire : « J’ai fait ce que j’ai fait, mais je l’ai fait en y croyant ». Cette naïveté qu’il revendique avec vigueur est balayée d’un revers de main par le ministère public et par certaines parties civiles : Gergorin n’a pas pu y croire, Gergorin est trop intelligent.
Pourtant la manipulation ne s’exerce pas que sur des esprits faibles, ignorants, sans formation intellectuelle. La diffusion du phénomène sectaire est bien connue dans les milieux cultivés, scientifiques, juridiques, médicaux et paramédicaux. De grands polytechniciens sont bien adeptes de sectes où l’on voit ici la vierge apparaître à heure fixe, où l’on vante là les mérites d’un électromètre vendu 4500 euros censé mesurer les émotions humaines. Alors pourquoi priver Gergorin de ses petites croyances sectaires bien à lui ?
À l’audience, il le dit : « J’étais dans mon univers, un monde peut-être un peu fantasmatique », dit-il, peuplé de mafia russe, de complots, d’assassinats, de traîtres, d’espions, de détournements, de trahisons, d’empoisonnements, de garde du corps, d’agents secrets et de « sources ». Après la mort de son collaborateur et ami Jean-Luc Lagardère en mars 2003, Gergorin se dit d’autant plus « fragilisé ».
Et quand ce listing apparaît avec les noms de tous ses ennemis réels ou fantasmés, ce champion de la théorie du complot y aurait cru dur comme fer. Interrogé pendant presque sept heures ce mardi, c’est en tout cas ce que Jean-Louis Gergorin a tenté de prouver.
Oui, il a bien cru à la véracité de ces listings ; oui, il continue d’y croire quand il sollicite le juge Van Ruymbeke ; oui, il en est encore persuadé quand le général Rondot jette lui-même l’éponge et avise sa hiérarchie du trucage évident des listings. De cette époque, l’énarque dit : « J’y crois, je continue d’y croire, et même, j’y crois plus encore ». Et d’ajouter : « Je ne suis dans cette affaire que par la faute de ma crédulité ».
Peu avant 20 heures, un avocat de la partie civile lui renvoie de nouveau à la figure l’argument de son intelligence. Comment lui, entre tous, a-t-il pu être malléable si longtemps ? L’ex-dirigeant d’EADS répond : « Méfiez-vous des gens brillants, des gens diplômés ». Et de citer pour exemple l’affaire des avions renifleurs où Elf Aquitaine avait financé abondamment, et dans le plus grand secret, un appareil fantaisiste censé détecter les gisements de pétrole. Dans cette incroyable arnaque du renseignement économique, Gergorin rappelle que « tout un aréopage d’hommes surdiplômés » y ont crû. En vain.
Malgré toute l’intelligence déployée par Gergorin en cette cinquième journée d’audience, il n’aura visiblement pas su apporter la preuve de sa bêtise.
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