Palais de Justice de Paris, le 23 septembre 2009, troisième jour d’audience du procès Clearstream.
L’incroyable journée d’hier mérite plus qu’une carte postale. D’abord pour raconter par le menu cette excellente nouvelle : nous allons bientôt rencontrer madame la belle-sœur de Villepin et monsieur son mari pour nous remémorer le souvenir d’un merveilleux dîner. Cette invitation de dernière minute s’est jouée sur une énième version d’Imad Lahoud.
Contrairement à ce qu’il a toujours dit, il aurait en fait bel et bien rencontré Dominique de Villepin en 2005, sans plus de précision sur la date. Passé à la question par Me Thierry Herzog, l’avocat de Sarkozy, Imad Lahoud raconte d’abord connaître la belle-sœur de l’ex-premier ministre : « Nous avions de très bons rapports de voisinage », explique-t-il. En 2005 donc, effrayé à l’idée d’être replacé en détention à cause de cette histoire de corbeau et du pataquès qui s’en suit, Imad Lahoud en aurait eu ras la casquette de se faire manipuler et aurait menacé : « Ca suffit ! Moi je veux voir de Villepin, j’en ai marre, je vais tout balancer », s’imite-t-il ainsi à la barre. Il aurait donc rencontré de Villepin lors d’un dîner chez cette belle-sœur pour qu’on lui « donne des garanties ». Evidemment, Villepin nie : « Je n’ai jamais rencontré Imad Lahoud avant cette audience ». D’où la citation à comparaître de la belle-sœur. Le changement de version de Lahoud a de quoi surprendre. De « Je n’ai jamais rencontré Villepin, mais deux fois Sarkozy », on passe à « Je n’ai jamais rencontré Sarkozy, mais Villepin, si ». Quelle rigolade ce Lahoud.
Plus tôt dans la journée, une incroyable passe d’armes entre Imad Lahoud et Jean-Louis Gergorin, à qui mieux mieux face au tribunal pour remporter la palme du plus idiot des deux. Une sorte de mea-culpa-Monsieur-le-Président-Confiteor-Deo-omnipotenti-je-suis-stupide-et-j’ai-été-complètement-manipulé, chez les deux camps.
À écouter Imad Lahoud, sa bêtise se serait nichée un peu partout : dans sa gentillesse, sa grande loyauté et même dans son incroyable professionnalisme. À sa sortie de prison fin 2002, « toute personne qui (lui) tendait la main était la bienvenue », dit-il. Le général Rondot et Gergorin lui ayant tous les deux « tendus la main », il se serait de fait retrouvé coincé dans un conflit de loyauté : à la fois honorer sa fonction au sein de la DGSE et suivre les ordres de Gergorin. Lesquels ordres étaient de « tout faire pour convaincre Denis Robert que ce que disait le corbeau était vrai ». Perspicace, le Président demande si tout cela ne paraissait pas « incompatible » aux yeux d’Imad Lahoud. Réponse de l’intéressé : « Jean-Louis Gergorin m’avait demandé de cloisonner ce que j’allais faire pour lui et ce que je faisais pour le général Rondot ». De fait, il cloisonne et obéit de part et d’autre. Obéir à l’un signifiait désobéir à l’autre, mais peu importe. Lahoud « cloisonne ».
Un peu bébête donc, Lahoud n’aurait fait que se « soumettre à la volonté » de Gergorin. Aller chercher les listings auprès de Denis Robert et de Florian Bourges, ajouter certains noms, faire croire aux dires du corbeau, écraser les fichiers avant la perquisition de la police, simuler une tentative de hacking des ordinateurs de Clearstream devant Rondot : tout cela, c’étaient les ordres du « patron », dit-il. Il ajoute, l’air grave : « J’étais sa chose ». C’est donc « à la demande expresse » de ce grand manitou que Lahoud aurait « recopié sur une feuille Excel » les pseudonymes de Nicolas Sarkozy. On admire la nuance : il n’a pas falsifié, il a recopié les noms qu’on lui proposait. Gergorin l’aurait de fait réquisitionné dans le bureau du patron des renseignements généraux simplement pour taper sur un fichier Excel les noms « Bocsa » et « Nagy ». Gentil patron cela dit, puisque Gergorin se serait du coup lui-même coltiné les huit cents et quelques autres noms ajoutés aux listings. Vraiment trop idiot ce Lahoud. Et jusqu’au bout selon lui : « J’ai finalement compris que Jean-Louis Gergorin avait tout fait pour que j’apparaisse comme le commanditaire de cette opération qui me dépasse ».
C’est lui le manipulé, c’est lui le plus bête des deux. L’ex-vice-président d’EADS reconnaît d’ailleurs aujourd’hui son « erreur de jugement » et sa trop grande crédulité : « Imad Lahoud est quelqu’un de doué, d’intelligent, de séduisant, il a su faire son trou à EADS et il a su faire illusion auprès du général Rondot. Je n’ai pas imaginé qu’il puisse se payer ma tête. Il était d’autant plus convaincant que ses fonctions à la DGSE m’avaient été confirmées ». Gergorin nie avoir demandé à Lahoud de se procurer les listes et lui avoir demandé de les falsifier. À l’entendre, il était convaincu qu’Imad Lahoud avait bien pénétré le système informatique de la société Clearstream et que les listes provenaient véritablement des ordinateurs de la société luxembourgeoise. Et d’insister : « Je le croyais, j’ai été un gogo, j’ai été un pigeon (…) J’ai été drogué, j’ai été intoxiqué, j’y ai cru trop longtemps ».
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