Palais de Justice de Paris, le 28 septembre 2009, quatrième jour d’audience.
Le petit Imad Lahoud, hier, s’est fait excuser. Il nous aura beaucoup manqué. Converti au Judaïsme pour l’amour de sa femme, l’ex-trader observait les 25 heures de jeûne de Yom Kippour, jour le plus saint et le plus solennel de l’année juive, celui du Grand Pardon, de la repentance et de la réconciliation. On espérait du coup une audience avec excuses publiques, embrassades confraternelles et confessions solennelles. La 11e chambre correctionnelle a préféré se focaliser sur les haines nombreuses, denses et intactes du monde industriel. Curieux, étrange même, comme les rapports humains au sein de l’industrie de défense n’ont pas la couleur du rose. À croire qu’eux-mêmes oublient les ravages de la guerre.
Thème du jour, la haine donc, via la dénonciation calomnieuse et l’audition de certaines parties civiles. On le sait, les faux listings du Corbeau sont l’exacte photocopie du cerveau de Monsieur Gergorin, l’ex-numéro deux d’EADS. Tous ses concurrents et adversaires, réels ou supposés, y apparaissent : Giacomotto, Gomez, Martinez, Henin, Delmas, Marchiani, Pasqua, Veil, etc. Consciencieux, le faussaire n’en a oublié aucun. Alain Gomez, ancien PDG de Thomson CSF, dont le nom apparaît dans toutes les dénonciations calomnieuses du corbeau, est l’ennemi numéro Un, le petit préféré de Gergorin : « Quand j’ai appris par voie de presse que mon nom y était, j’ai eu la conviction absolue que l’origine de ces dénonciations était Jean-Louis Gergorin », témoigne-t-il.
Ce lundi, petits et grands ennemis ont donc expliqué pourquoi Gergorin les détestait tant. En vrac, on parle de complots internationaux et d’interventions occultes ; de déclassifications de notes de la DST ; de la fusion des sociétés Matra et Hachette ; de la protection du groupe Lagardère contre des manœuvres imputées à Thomson ; d’une certaine affaire « Couper les Ailes de l’Oiseau » ; d’un complot « ourdi par le trio Gomez, Delmas et Martinez pour déstabiliser le groupe Lagardère par le canal du fonds Highfields Capital » ; d’un assassinat sur ordre de Gomez (toujours lui) par la mafia ukrainienne ou biélorusse issue du KGB. Et puis, d’autres choses encore. À croire que ces grands hommes ont effectivement d’excellentes raisons de se détester.
Gergorin se défend. « Jamais (il) n’a ressenti de haine », dit-il, à l’égard de Gomez ou d’un autre. Pas de haine, mais de l’amour au contraire, en tout cas de la passion, pour sa société et son ex-patron, Jean-Luc Lagardère : « Je reconnais avoir vécu de façon passionnelle, trop forte, les histoires impliquant mon groupe ». Peut-être est-ce cela finalement le début de la repentance : expier sa haine, cracher son venin, vomir sa rancœur, expectorer sa colère. Demain, Yom Kippour et le jeûne d’Imad Lahoud seront passés par là. Peut-être alors, s’embrasseront-ils tous. On pourra alors dire qu’à la minute où le procès s’est transformé en une grande manifestation d’amour façon hippies de la politique et de la finance, tout est devenu clair : Dieu est apparu au procès Clearstream.
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