Véronique Courjault a-t-elle eu conscience de ses actes ? A-t-elle prémédité les trois infanticides qu’elle a commis ? Ce sont les questions qui reviennent pour ce sixième jour d’audience.
Sixième journée d’audience aux assises de Tours où Véronique Courjault comparaît pour un triple infanticide. Les experts et les témoins « techniques » nous plongent depuis ce début de semaine dans la psyché de l’accusée. Ils bataillent sur la conscience et la préméditation de ses actes – en clair, sur l’essentiel.
Place ce mardi aux psychiatres qui ont expertisé l’accusée et qui ont tous rejeté dans leur rapport la thèse du déni de grossesse. La veille pourtant, les spécialistes du déni, tous cités comme simples témoins, ont dressé le portrait robot d’une pathologie où l’on devine partout l’histoire et la personnalité de Véronique Courjault. Tout colle, jusque dans les moindres détails. D’abord, le rapport très particulier au temps de ces femmes, toutes incapables, comme Mme Courjault, de situer une date ou un événement passé. Ou bien, leur rapport à la sexualité et à la contraception, sorte de no man’s land dans la psyché de l’accusée, incapable de nommer les parties de son anatomie intime, ignorante quant au fonctionnement de son cycle, incapable d’appliquer à elle-même ce qu’elle sait pourtant, notamment le fait que pour éviter d’avoir un enfant, il faut veiller à sa contraception.
La psychanalyste Claude Halmos rapporte à ce propos une anecdote : « Véronique Courjault n’a absolument aucun souvenir de ses premières règles : ni de l’âge qu’elle avait, ni de l’endroit où cela s’est passé, ni de la façon dont elle s’est débrouillée – elle ne se souvient d’ailleurs ni de ses premières règles, ni des suivantes ». Dès qu’il s’agit de ces « choses-là », il y a comme un « blanc ».
Tout colle, jusqu’à la tendance de ces femmes infanticides à « vivre au jour le jour », à procrastiner c’est-à-dire à repousser les choses au lendemain, à ne pas se soucier de l’avenir, notion toujours trop lointaine ou trop abstraite pour elles. Tout colle aussi dans le portrait des familles dont sont issues ces femmes : « Dans la majorité des cas, on y parle peu, explique notamment le psychiatre Michel Dubec, auteur d’un livre consacré aux mères infanticides. Ces mères reçoivent en héritage un réel handicap à la communication ouverte », dit-il. La famille Fièvre correspond point pour point à cette description : « A table comme ailleurs, on ne communique pas », disait notamment l’une des sœurs. L’image maternelle de ces meurtrières particulières est aussi toujours défaillante. Or la figure de Mme Fièvre, mère de l’accusée, revient sans cesse dans les débats. Une femme dépressive, épuisée par son travail, « qui n’a cessé durant dix ans d’enchaîner les accouchements et les baby blues ». Une mère envers qui l’accusée ne peut ni ne veut s’identifier : « Je ne voulais pas devenir cette femme qui pleure et qui râle tout le temps ».
Tout colle y compris dans l’après, quand commence la garde-à-vue et que Véronique Courjault passe des aveux. « Ces femmes ressentent une culpabilité telle que les questions qu’on leur pose peuvent entraîner la formulation de la réponse. En clair, elles répondent en fonction de ce que l’on attend d’elles. Elles ont toujours été dans l’évitement de la parole, du coup elles adoptent une version qui n’est pas la réalité de ce qu’elles ont vécu », explique le Pr. Israël Nisand, gynécologue obstétricien au CHU de Strasbourg. La psychologue et psychanalyste Sophie Marinopoulos confirme : « Le procès fait partie de l’évolution de leur réflexion car ces femmes ne comprennent pas tout et pas tout de suite. D’abord émerge la souffrance et puis la culpabilité et peut-être de nouveau le déni. Il leur faut beaucoup de temps, parfois des années, pour arriver à mettre des mots sur ce qui s’est passé ».
Tout colle, à tel point qu’apparaît ce lundi une évidence : Véronique Courjault a pu subir une « altération de la représentation de l’enfant à venir », notion proposée par Sophie Marinopoulos pour englober aussi bien le clivage, que le déni ou la dénégation… « Peu importe le terme finalement », a même fini par dire la psychologue, car il apparaît effectivement pour tous ces spécialistes qu’elle a pu « savoir par moments » et puis refouler ce savoir pour mieux se protéger. Ce que Véronique Courjault a très bien décrit elle-même en disant : « Je l’ai su, puis je ne l’ai plus su, de temps en temps je l’ai su ». Le Dr Dubec, pourtant cité par l’accusation, a même rejeté l’idée qu’elle ait pu anticiper ses actes ou même éviter de les réitérer : « Un état de psychose transitoire peut connaître des rechutes, explique-t-il. Le premier infanticide passé inaperçu a pu constituer au contraire une fragilisation et se reproduire, un peu à l’image d’une allergie. De fait, on ne peut conclure à la préméditation : ça vient comme ça vient ».
Le « hic » pour la défense, c’est que tous ces spécialistes du déni ou de l’infanticide entendus ce lundi étaient cités comme témoins – de fait, aucun n’a rencontré ni expertisé Véronique Courjault. Le psychiatre Michel Masson, lui, l’a rencontré à trois reprises. Or il rejette catégoriquement toute altération de son discernement au moment du passage à l’acte et, de fait, toute atténuation de sa responsabilité. « Elle nous a dit à plusieurs reprises qu’elle se savait enceinte, qu’elle a laissé sa grossesse évoluer et qu’elle se cachait avec des vêtements amples », répète-t-il. Pour lui, il s’agit tout simplement d’un « mensonge » : « Elle a menti pendant 27 mois ».
Certes, pour mentir à son entourage si longtemps, cacher trois grossesses, trois accouchements et trois infanticides, cela nécessite une force de caractère que Véronique Courjault n’a visiblement pas : « C’est là où intervient le clivage, explique alors Jean-Michel Masson. Le clivage, c’est la capacité à se scinder en deux personnes : la femme ordinaire, bonne épouse et bonne mère d’un côté, et puis de l’autre, quelqu’un capable de mener un acte extraordinaire. C’est une face cachée très localisée dans son psychisme, se situant au niveau de la maternité ».
L’expert avance même que Mme Courjault tirait de cette situation un « certain plaisir », c’est écrit noir sur blanc dans son rapport : « Après le premier infanticide, elle a peut-être été elle-même surprise par la facilité avec laquelle elle est parvenue à dépasser cette première épreuve, peut-être à y ressentir le plaisir secret du pouvoir à donner la vie et la mort ». L’expert avance qu’il s’agit-là d’une « hypothèse » : « Je ne parle pas d’un plaisir conscient, mais Mme Courjault n’ayant pas de statut affirmé sur le plan familial, elle avait de fait un pouvoir en détenant ce secret. Elle a pu ressentir du plaisir dans la façon dont elle a dominé ses sentiments et grugé son mari ». L’expression « gruger son mari » sera d’ailleurs répétée par l’expert qui dit avoir « acheté le dictionnaire de la psychologie » pour se « rafraîchir la mémoire avant le procès ».
Mis en difficulté, le psychiatre se raccroche à son meilleur argument : « Tous ces spécialistes médiatisés que vous avez entendu hier n’ont même pas rencontré l’accusée ! » Une façon d’insinuer que seuls ceux qui ne l’ont pas vu concluent à l’altération. Maître Leclerc, avocat de la défense, rejette cet argument : « Même si elle n’avait pas de mission d’expertise et intervenait en tant que témoin qui donne son avis, la psychanalyste Claude Halmos a rencontré Véronique Courjault à trois reprises durant sa détention ». Claude Halmos déclarait d’ailleurs : « Véronique Courjault n’a rien décidé, cette grossesse était seulement dans son corps, pas dans son esprit ».
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