Au printemps, la télévision s’intéresse à la psychiatrie en crise. Exemple glaçant avec le documentaire diffusé sur Arte.
Mardi 18 mai, un "Infiltré" se glisse dans la blouse d’un aide-soignant de l’hôpital d’Aulnay-sous-Bois (France 2). Vendredi 7 mai Arte ouvrait le bal avec un documentaire choc, rediffusé dimanche 23 : "Sainte-Anne, hôpital psychiatrique".
Cinéma direct, cinéma vérité. Pas de commentaire, pas d’interview : une succession de plans, de séquences prises sur le vif, certaines s’attardent, d’autres sont brèves. Le son aussi, en prise directe. La caméra légère filme au plus près, capte le réel et le livre au spectateur fasciné d’entrer dans l’intimité de l’événement. A lui d’interpréter ce que le cinéaste donne à voir.
C’est ainsi que Ilan Klipper veut dévoiler le quotidien d’un service fermé de l’hôpital parisien Sainte-Anne dans le film diffusé sur Arte. Service fermé parce que les patients en état de crise ne peuvent pas sortir, service fermé parce que ceux qui sont dehors, les bien portants, provisoirement guéris ou pas encore malades, n’y ont pas accès. Ce lieu à l’écart, enclos, et pourtant dans la ville, le documentaire Sainte-Anne, hôpital psychiatrique prétend nous en ouvrir les portes.
Sur la maladie psychique, le spectateur connaît peu de chose. Depuis Foucault, nous savons que dans nos sociétés obsédées par la norme, on cache le différent, le différent se cache. Si l’on n’a pas été touché soi-même ou à travers l’expérience d’un proche, le « fou » d’autrefois, que les médias appellent aujourd’hui trop largement « schizophrène », reste un inconnu, un invisible d’autant plus inquiétant qu’il n’apparaît à nos yeux qu’à travers des faits divers sanglants et les lois sécuritaires qui les suivent à grand battage.
Il faudrait donc se réjouir : le documentaire d’Ilan Klipper va nous permettre de voir la maladie et le malade autrement, de casser les stéréotypes en découvrant le fonctionnement d’un service de psychiatrie moderne, grâce à un travail de fond, une immersion de six mois dans les locaux de Sainte-Anne.
Or, dans ce documentaire, que voit-on ?
Une équipe médicale très hiérarchisée dans laquelle le patron commande à des subalternes qui doivent appliquer les recommandations du chef, comme dans n’importe quelle PME. La caricature d’un ponte en veston, lunettes au bout du nez et dossier sur le bras, qui se penche sur un homme en pyjama, alité, murmurant des propos apparemment incohérents. Des personnels en blouse blanche que le spectateur, ignorant de l’organisation hospitalière, ne peut identifier : s’agit-il d’aides-soignants, d’infirmiers, de médecins ? Une chose est sûre : il y a d’un côté les patients en pyjama bleu et de l’autre une équipe médicale, nettement distincte, au fonctionnement illisible.
Des malades qui errent dans les couloirs, se heurtent à des portes fermées, négocient longuement l’autorisation de sortir fumer dans la cour. Des flacons de médicaments, des noms de médicaments, des délibérations sur le choix des médicaments, sur les dosages, et des patients qui disent non, qui hurlent qu’ils n’en peuvent plus de ces médicaments et que les soignants menacent d’une double dose s’ils ne se calment pas bien vite. Des liens en plastique blanc qu’on fixe à un lit en métal blanc sur lequel on attache un homme pour son bien. Des traitements par électrochocs que l’on croyait naïvement d’une autre époque. Des clés et des serrures. Des malades auxquels on fait signer des papiers qu’ils ne semblent pas comprendre, qu’ils ne sont pas en mesure de refuser de signer. Un dialogue avec les familles consistant à leur faire avaliser les décisions prises par le médecin. Des cris, des propos confus, des comportements étranges, parfois humiliants, de la part d’hommes et de femmes dont les noms, prononcés clairement au mépris du secret médical, sont parfaitement audibles.
Quelle vérité ce cinéma direct veut-il délivrer au spectateur ? Face à des images parfaitement cadrées mais qui se suivent sans explications, qu’il est donc difficile de bien lire, de bien interpréter, le spectateur n’apprend rien. Certes, le film est beau et marquant, mais la représentation qu’il donne à voir est conforme à l’idée préconçue que le spectateur pouvait se faire d’un service de psychiatrie, celle qui correspond aux clichés des années 1950 : un lieu séparé, presque carcéral, où l’on drogue et l’on attache des déments qui crient.
En choisissant les moments de crises, les scènes les plus spectaculaires de la vie d’un service dont on imagine un quotidien bien plus routinier, par un montage qu’on suppose chronologique mais sans aucun repère temporel qui nous permettrait d’apprécier l’évolution des patients, "Sainte-Anne, hôpital psychiatrique", donne une image bien négative, et certainement injuste, du personnel soignant : démuni, dépassé, impuissant et particulièrement répressif. Seuls nous paraissent véritablement humains ces êtres qui se voient qualifiés de « malades », qui se rebellent contre la camisole chimique, qui contestent la supériorité des blouses blanches, qui oublient qu’ils savent écrire au moment de signer le papier administratif qui les enverra en toute légalité aux électrochocs, et qui portent leur souffrance comme un fardeau que rien ne peut durablement alléger.
Ilan Klipper est-il un militant de l’antipsychiatrie ? Veut-il dénoncer les effets nocifs des restrictions budgétaires ? Le message, s’il y en a un, n’est pas clair. La seule vérité que nous révèle un tel film est celle de notre peur, cette même trouille qui nous prend à la vue d’un clochard, d’un taulard ou d’un fou et qui nous porte à nous bien conduire, nous les chanceux de la vie, à rester bien calmes pour que les portes du service fermé de Sainte-Anne, un jour, ne se referment pas sur nous.
Une chose est sûre : il y a d’un côté les patients en pyjama bleu et de l’autre une équipe médicale, nettement distincte, au fonctionnement illisible.
Dans ce cas, c’était pas la peine de refaire un sketch, les Inconnus l’avait déjà fait il y a plusieurs années…
En tout cas, ça sent la promo pour Onfray.