Comparutions immédiates du 1er avril, TGI de Bobigny
Yanis, 6 ans, veut mourir. Il l’a répété plusieurs fois à l’école. Au début pourtant, l’enfant était « content d’avoir un nouveau papa ». Et puis très vite, il a changé d’avis. Sa maman Naïma, enceinte d’un petit frère, a emménagé il y a neuf mois avec Lakhdar, le « nouveau papa », dans un appartement du Blanc-Mesnil (93). Yanis commence alors à changer. Les institutrices remarquent qu’il se renferme doucement sur lui-même et qu’il devient violent avec ses camarades. On constate aussi une dégradation progressive de son aspect physique : l’enfant est de plus en plus sale, toujours habillé de la même manière et porte systématiquement ses chaussures à l’envers. Il lui arrive même de se présenter en classe en pyjama, sans sous-vêtements.
La semaine précédant l’audience, l’enfant se présente à l’école avec un bandage au poignet. Face aux questions de la maîtresse, il se confie : son beau-père l’a tapé avec un manche à balais. Convoquée par la directrice, la mère de Yanis n’aura que ces quelques mots à l’intention de son fils : « Qu’est-ce que tu as encore fait comme bêtise ? » L’expertise médicale conclue quant à elle à deux jours d’ITT pour les blessures au poignet et à de multiples ecchymoses anciennes. Yanis et Omar, son petit frère de trois mois, sont confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Lakhdar, 32 ans, comparaît pour « violences répétées sur mineur de moins de 15 ans » et sa compagne Naïma, 27 ans, pour ne pas l’avoir dénoncé. Un dossier étonnant pour une comparution immédiate.
« Yanis a toujours été constant dans ses auditions, remarque la Présidente. C’est un enfant d’une grande maturité, qui s’exprime beaucoup et bien ». Aux policiers, l’enfant a effectivement raconté son quotidien depuis quelques mois. Un gamin livré à lui-même, qui doit s’habiller et se laver seul, qui a « honte d’être si sale » et qui ne boit « que du café » avant de partir à l’école. Son beau-père menace régulièrement de le « jeter à la poubelle » ou de le « couler dans un fleuve ». L’enfant relate de récents épisodes : son beau-père qui le jette dans l’escalier en bois de l’appartement HLM, qui lui envoie un violent coup de boule sur le nez, qui le saucissonne avec du fil électrique avant de le frapper avec un tuyau. Il raconte aussi que son beau-père lui met la couette sur la tête, que « cela dure parfois très longtemps » et qu’il a « l’impression d’étouffer ».
La mère confirme avoir assisté à certaines de ces scènes. « Vous n’avez rien fait pour arrêter votre conjoint et vous n’avez même jamais présenté Yanis à un médecin », constate la Présidente. Brune, ronde et plutôt jolie, Naïma pleure : « J’avais peur d’intervenir, dit-elle, plaintive. J’ai longtemps été battu par le père de Yanis et j’avais la terreur que Lakhdar finisse par s’en prendre à moi. J’étais enceinte quand il a commencé à frapper Yanis et je ne voulais pas qu’il me quitte au moment où j’avais besoin de lui ». À l’entendre, son fils a toujours eu un comportement difficile et ses accusations sont exagérées : « Yanis accuse son beau-père parce qu’il veut retourner vivre avec son père. Il est très agité depuis quelque temps. Toute cette histoire, c’est parce que l’école veut se débarrasser de lui depuis qu’il a déclenché l’alarme de l’école ».
Regard sévère prononcé par des sourcils en accents circonflexes, le silencieux Lakhdar peine à répondre aux questions de la Présidente. Sixième enfant d’une famille marocaine de dix, ce vendeur au noir sur les marchés est en France depuis 2002 et souhaite régulariser sa situation administrative. « On vous éduquait comment quand vous étiez petit dans votre famille ? », demande la Présidente. « Normalement, répond le prévenu. On me donnait beaucoup de claques, beaucoup de coups, mais j’étais un enfant turbulent et il fallait m’éduquer ». L’une des assesseurs demande s’il a conscience que les coups portés sont des violences punies par la loi : « Je ne l’agresse pas de façon grave, répond maladroitement Lakhdar, c’est juste de l’éducatif normal. Il fatigue beaucoup sa mère et c’est normal que j’intervienne ». De façon comptable, l’homme reconnaît certaines violences et les minimise : « Le balais, c’est vrai. Les fils électriques, jamais. La couverture pour l’étouffer, non plus. Le coup sur le nez, c’était une simple claque. Il faut savoir que cet enfant bouge énormément, qu’il se cogne ».
La défense de madame souligne l’immaturité affective d’une femme sous influence hantée à l’idée de se retrouver une nouvelle fois seule et sans ressources avec deux enfants en bas âge. Celle de monsieur dépeint un homme qui a voulu « rétablir un peu d’autorité à sa façon », qui entend les faits de violences, mais qui n’en avait pas conscience « puisque c’est comme cela qu’il a lui-même été élevé ». Durant ces plaidoiries, les deux prévenus se pelotonnent l’un contre l’autre. Elle pleure, parle doucement à l’oreille de son conjoint et appuis sa tête sur son épaule. Lui passe son bras autour de sa compagne et la rassure en la regardant dans les yeux. Un instant de douceur qui jure avec la violence des faits tout juste exposés. À la question : « Avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense », l’un et l’autre demandent : « Quand allons-nous récupérer nos bébés ? » Ce sera au juge des enfants d’en décider.
Le jugement. Huit mois de prison dont trois avec sursis pour Lakhdar ; cinq mois de sursis avec mise à l’épreuve de deux ans pour Naïma et obligation de soins psychologiques.