Rama Yade reine du rétro-pédalage ? Lasse des promesses de la Secrétaire d’Etat aux Sports, l’asso Foot Solidaire qui lutte contre le trafic des sportifs mineurs pousse un coup de gueule.
Populiste Rama Yade ? Avant de saluer vendredi soir "les bons choix du sélectionneur" après Uruguay-France, la Secrétaire d’Etat chargée des Sports s’était encore défendue sur I>Télé (09/06) de toute démagogie après sa critique sur l’hôtel de l’équipe de France de football : « Je suis ministre (sic) des sports, je suis garante de l’intérêt général, de la solidarité entre football de haut niveau, professionnel, et le football amateur ».
Insuffler des valeurs de justice et d’éthique dans le monde du ballon rond où les acteurs jouent rarement collectif, tel est le défi que s’est fixée l’ancienne secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme. Au moins devant les médias…
Comme le 6 octobre 2009, dans son discours enflammé sur "les nouveaux défis du modèle sportif français" au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne (à consulter en intégralité sur le site du gouvernement)… A quelques mois de la Coupe du monde, le ministère des sports fait une « priorité » de la lutte contre la traite des mineurs dans le football. Afin de s’occuper de ce sujet -« sur lequel nous devons et pouvons être exemplaires »- Rama Yade loue deux « très beaux projets qui ne nous ont pas attendus pour s’engager dans de telles actions de solidarité » : l’académie Diambars parrainé par Bernard Lama et Patrick Vieira et le projet Foot solidaire de Jean-Claude Mbvoumin. « Ils nous montrent la voie. Nous devons les appuyer », ajoute, pleine de promesse, la Secrétaire d’Etat.
Le 25 mai 2010, Bakchich s’est rendu à l’exposition sur "le football africain en France" au musée national du sport à Paris que devait inaugurer Rama Yade. Mais pas de secrétaire d’Etat aux Sports qui, après les avoir porté aux nues, donne l’impression aux dirigeants de Foot Solidaire de les avoir oubliés. La partie de cache-cache n’amuse pas son président Jean-Claude Mbvoumin qui accuse Rama Yade et le gouvernement de la France d’instrumentaliser l’association depuis des mois… « On a travaillé avec le cabinet de Rama Yade pendant 4 ou 5 mois mais on n’a toujours pas reçu la moindre aide financière ni technique », dit Jean-Claude Mbvoumin à Bakchich, « cette fois, c’est terminé, le sujet ne les intéresse visiblement pas ».
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Foot Solidaire était pourtant la première association à applaudir des deux mains « l’offensive » de Rama Yade sur le trafic d’enfants africains en octobre (voir sur leur site). « Un tournant en matière de protection des sportifs dans l’Union Européenne », « pour la première fois depuis le rapport pour l’avenir du football professionnel (mars 2007), un Etat membre s’engage clairement pour faire bouger les lignes », se félicitait peut-être un peu vite Jean-Claude Mbvoumin, qui a fondé Foot Solidaire en 2000. « Rama Yade n’y est pas allé par quatre chemins pour dire le sentiment de la France sur ce sujet épineux. Vivement le prochain épisode », conclut-il sur le site.
Comme le soulignait Rama Yade, Foot Solidaire est spécialiste dans la protection des jeunes sportifs depuis 10 ans. C’est cette association que les médias sollicitent pour traiter de la marchandisation des mineurs (par exemple Le Parisien, TF1 ou Le Monde). La Fédération Française de Football de Jean-Pierre Escalettes se flattait d’avoir été invité à un colloque de Foot Solidaire l’été dernier, « association qui dénonce l’exploitation des jeunes footballeurs » et qui « a déjà réussi à se faire entendre des instances comme la FIFA et l’UEFA »
Joseph Blatter, le président de la très puissante Fédération Internationale de Football (FIFA) a aussi plusieurs fois recommandé leur service. « La FIFA accorde son soutien total aux activités que vous menez pour la défense des droits des jeunes footballeurs africains », avait-il déclaré dans un colloque en 2008 (lire ici et là sur le site de la FIFA). Les participants (dont la Fédération Française et les clubs professionnels) avaient, selon le compte-rendu de la fédération internationale, décidé d’aider Foot Solidaire à mener des campagnes de sensibilisation… La Fifa ne connaît pourtant pas la crise. Elle qui a engrangé de 3,3 milliards de dollars pour la Coupe du monde 2010 (soit 48% de plus qu’il y a quatre ans). « Le football offre l’espoir et les émotions dont le monde a besoin dans ces périodes incertaines », a ainsi expliqué Sepp Blatter dans L’Equipe de mercredi (09/06). Mais l’opium du peuple enfume aussi les apprentis-footballeurs.
Depuis plus de 10 ans, Foot Solidaire tente de prévenir les trafics et l’exploitation des jeunes footballeurs. Leur mission consiste aussi à s’occuper des enfants africains parfois âgés de 13 ans qui errent en France sans papier, famille ni argent après avoir été mené en bateau par des agents véreux ou expulsé de clubs professionnels qui n’en veulent plus. « On n’a pas pu organiser avec les instances du football la campagne de prévention que nous avait promis le gouvernement avant la coupe du monde », regrette Mbvoumin, « c’est triste à dire mais j’espère qu’une équipe africaine ne gagnera pas la coupe du monde 2010, sinon ce sera la catastrophe puisque des milliers et des milliers de jeunes vont rêver de venir en France pour devenir footballeurs et on ne saura pas que faire d’eux ». En l’absence de chiffres fiables (« je n’ai même pas les statistiques de la ligue », s’insurge Jean-Claude Mbvoumin), il est difficile de mesurer les répercussions de l’épreuve pour les jeunes africains désireux de tenter l’aventure en France.
C’est pour cela que Rama Yade avait présenté à la Sorbonne son projet de « fonds sportif pour la protection internationale de l’enfance » auquel son ministère doit contribuer à hauteur de 2 millions. L’objectif n°1 est d’apporter un appui financier et technique aux projets des associations tentant de remédier au problème. « Je m’engage personnellement pour qu’il rassemble tous ceux qui sont prêts à s’impliquer pour cette mission (…) pour que ce fonds soit opérationnel dès janvier prochain », clame-t-elle. Le 15 janvier dernier, à Johannesburg, la madone du rétro-pédalage « attend de ce projet qu’il soit opérationnel avant le mondial » (voir ici) mais garantit avoir réuni en France « les spécialistes de la solidarité civile ». Enfin, sur RTL le 11 juin, Rama Yade précise que sa prochaine visite avec les Bleus dans les Townships sud-africains pourront leur « permettre de laisser une trace en Afrique du Sud à travers des actions humanitaires par le sport ». « Je m’engage avec la Fédération française de Football », explique-t-elle. « Ces actions seront peut-être le prélude à la création d’un fonds de soutien pour la protection de l’enfance… ».
« Je n’ai aucune information sur ce fonds », nous a expliqué le président de Foot Solidaire qui devait pourtant bénéficié du projet du ministère. Où en est le projet ? Quand sera-t-il concrètement prêt ? Qui en bénéficiera ? Nos coups de fils et mails au cabinet de Rama Yade depuis le 28 mai sont restés à ce jour (10 juin) sans réponse. Occupée à "soigner" sa com’, Rama Yade n’a pas donné plus de nouvelle à son ancienne association modèle ces cinq derniers mois. « Après avoir pillé nos idées, le gouvernement nous laisse sur la paille mais nous continuerons », soutient Jean-Claude Mbvoumin, mis hors-jeu par le gouvernement. En espérant, pourquoi pas, que Rama Yade finisse par se souvenir de ses belles promesses.