Dixième jour du procès d’assises de Douai où l’on juge David Da Costa, 37 ans, et son ex-concubine Isabelle Gosselin , 35 ans. Le premier pour avoir infligé pendant un mois et demi à Marc, 5 ans, des sévices et des coups si violents qu’il en est mort. La seconde pour avoir assisté au massacre de son enfant sans jamais intervenir. Sept autres personnes sont poursuivies pour non-assistance à personne en danger. L’arrêt sera rendu ce jeudi. Hier, les deux avocats de Da Costa défendaient l’indéfendable, celui qu’on aura appelé durant ce procès l’« ogre », « l’autre » ou même « ça ». Une difficile plaidoirie qui aura duré deux heures et dont voici les grandes lignes. Comment prendre la parole pour un Da Costa ? Quels sont les mots, expressions et messages choisis par la défense ? Les voici.
« Bon courage, ça ne va pas être facile », lui dit-on depuis plusieurs jours en parlant de cette plaidoirie. Grand, costaud, cheveux mi-longs et clairs, Me Raphaël Thery s’est au préalable longuement concentré. Il est 14h15. Ils sont deux à plaider pour Da Costa. Thery se lance en premier : « C’est sûr… S’asseoir sur le banc des accusés aux côtés de David Da Costa, c’est douloureux, dit-il. On est tenté, nous les avocats de la défense, de prendre la fuite, de baisser les bras ». Comment prendre la parole pour Da Costa ?, n’a-t-on cessé de lui demandé. Et Théry de répondre : « Je le fais par conviction. J’ai la foi, je le revendique. “La loi, c’est 24 heures de doute pour une minute d’espérance”, disait un célèbre avocat. Et je veux être l’avocat de cette minute d’espérance ».
Premier message essentiel de cette plaidoirie à l’intention de la cour : réhabiliter l’homme, voire le père de famille que David a été pour ses enfants issus d’une précédente union. En clair, faire la part des choses. Ne pas tout confondre. Ne pas tout nier du passé de l’accusé, de l’homme qu’il a été « avant ». S’adressant directement aux jurés, Me Thery lance : « Hier, l’avocat général vous a demandé la réquisition à perpétuité. En clair, il vous a demandé d’éliminer David Da Costa de la communauté des hommes. Ce qu’il vous demande, c’est de rendre de la méchanceté à la méchanceté. De la haine à la haine. Sans aller plus au fond. Sans comprendre ce qui s’est passé. Oui, David est la brute responsable de la photo que nous avons tous vu. Mais ses aveux, sa personnalité, ses enfants, son histoire, qu’est-ce qu’on en fait ? Les conclusions de 41 pages d’enquête sociale prouvent qu’il n’était pas violent avec ses enfants. Sur la brutalité de mon client, sur la spirale de ces violences, OK, je partage cet avis-là et nous en reparlerons. Mais je ne peux pas ne pas voir que cet homme a déjà commencé à emprunter le chemin de la vérité… »
Une petite voix se fait entendre du fond de la salle. L’avocat s’arrête net. Les regards se portent vers la cour. Un des jurés vient de s’effondrer sur sa chaise, blanc comme un linge. Il est K.O.– de fatigue ou de tension accumulées, et s’effondre. Ironie du sort, ce sont les deux médecins accusés de non-assistance à personne en danger pour ne pas avoir su décrypter les blessures de l’enfant qui se portent à son secours. Le public se lève, intrigué. On allonge le huitième juré au sol. Le temps de gérer l’incident, la cour se retire. Des chuchotements se font entendre dans la salle : « C’est énorme, un des accusés soigne un membre du jury », entend-t-on. « Tu crois que cela pourrait être un moyen pour critiquer le jugement si le procès va jusqu’en appel ? », demande un autre. Raphaël Thery reste quant à lui concentré, plongé dans ses notes. Vingt minutes passent.
« La cour ! » La salle se lève à nouveau. Le président annonce : « Le premier juré supplémentaire remplace le huitième juré, greffière, veuillez prendre note ». Comme si rien ne s’était passé, Raphaël Thery reprend. Réhabiliter l’homme, donc. « Je suis surpris que l’humanité dans ce procès vienne de là où on l’attend le moins, s’étonne-t-il. Oui, j’ai bien dit humanité. Et je persiste et signe : humanité. Dès le deuxième jour du procès, David a eu la force de parler de lui et de cette vie qu’il aurait aimé ne jamais avoir. “J’en ai rien à foutre de mon enfance, nous a-t-il dit, il a fallu que ce drame arrive pour qu’on s’intéresse à moi”. David a exprimé ses remords et c’est le seul ici finalement à s’être exprimé sans fards. Da Costa fait face. Da Costa n’attend rien de ses juges. David a même réussi à verbaliser ce qu’il aurait fait à l’adresse de Marc. Il a dit : “Marc, était mon meilleur ami et je l’ai tué”. C’est cela vraiment l’attitude d’un ogre ? David n’est pas en dehors de l’humanité, non, il est complètement au coeur de celle-ci ».
Deuxième message : si Da Costa est coupable, il n’est pas l’unique responsable, loin de là. Et si la mort de Marc est insupportable, elle n’est pourtant pas inexplicable. On peut tenter de comprendre. Pas excuser, mais comprendre. Comment David Da Costa en est arrivé-là ? Un regard sur ses notes, Thery énumère : « La boisson, la descente perpétuelle vers le bas, la dépression, l’inadaptation sociale, la drogue… En 2002, lorsque sa première femme le quitte avec ses enfants, il fait deux tentatives de suicide et ne cesse de dire à son entourage qu’il veut “revoir ses bébés”. Da Costa commence à s’enfoncer de plus en plus. Sa sœur raconte qu’il se considère alors comme moins que rien, moins qu’un chien : “Le matin, dit-elle, je retrouvais David par terre et le chien dans le fauteuil. Il laissait sa place au chien”.
« Expliquer » pour la défense, c’est aussi comprendre l’importance du rôle d’Isabelle, la mère de Marc, quitte à la présenter comme la principale coupable : « Marc est un petit garçon tonique voire difficile, rappelle Me Thery. Isabelle est fatiguée par son enfant, justement parce qu’il a du caractère. Alors elle délègue son autorité parentale à Da Costa. Or lui ne sait pas faire cela, il ne sait pas être père vu que son propre père a toujours été absent. L’audition du père Da Costa concernant David contient en tout et pour tout 22 lignes ! Où on lit en plus : “Je ne connaissais pas ses goûts et ses envies, je ne parlais jamais avec lui”. Isabelle ne dit rien et cautionne de fait cette éducation par la violence. Elle veut à tout prix garder David auprès d’elle. Ce n’est pas ce petit garçon, qui plus est arrivé par accident dans sa vie, qui va l’éloigner de ce bonheur. On nous a dit que cette femme était manipulée, vampirisée par Da Costa, mais je n’y crois pas. Je crois plutôt le contraire. Marc n’est pas mort parce qu’il a croisé l’ogre. Non. Mais parce que sa mère a fait passer son propre bien-être avant celui de son enfant.
Thery se rassied. C’est au tour de Me Franck Berton, grande figure du barreau de Lille, de prendre la parole. Le regard noir de Berton balaye la salle : « J’ai longtemps hésité à plaider pour un homme qui a comme seul comité de soutien Raphaël Thery et moi-même », dit-il. Et de se planter face aux jurés, voix forte, presque menaçant envers eux : « Qu’est-ce que vous allez raconter en rentrant chez vous ? Que vous avez fait le procès de l’horreur ? »
Berton fait son J’accuse. Il fustige « le bruit au passage des condamnés à mort » – condamnation à mort « qui aurait été demandée si elle avait encore existé, c’est sûr ! » Des poupées vaudous ont récemment fait la une de l’actualité « et c’est tout juste s’il n’y aura pas bientôt des poupées à l’effigie de Da Costa ». Il attaque la presse et ces « journalistes imbéciles qui ont eu leur carte professionnelle dans un paquet de céréales ». Le voyeurisme autour de ce procès le pousse à la colère : « Moi, dit-il, j’ai les mêmes larmes. Je pleure aussi face au témoignage de Frédéric, je pleure aussi devant la photo de Marc, mais je pleure aussi pour Da Costa. Du coup, c’est vrai, au jeu du poids des larmes, je perds. Mes larmes valent moins ».
Sa voix s’était adoucit. Elle rejaillit. Face aux jurés, Berton accuse toujours : « Mais vous auriez préféré quoi ? Qu’il mente ? Que ce procès soit aussi celui du mensonge ? Qu’il nie l’évidence ? Qu’il dise : “Non, le petit Marc, c’est pas moi, c’est elle, c’est Isabelle qui a frappé”. Da Costa n’a jamais menti, jamais. Or quand on est assis là, à sa place, sur le banc des accusés, on a justement ce droit-là, on a le droit de mentir. Et pourtant, ce n’est même pas son attitude ».
Da Costa n’a jamais voulu tuer et des monstres bien pires que lui existent, la défense insiste sur ce dernier point : « On s’est bien gardé de vous le dire durant le procès, mais mon client n’est pas, je le rappelle, poursuivit pour assassinat. Et pourtant, on veut envoyer Da Costa aux côtés d’un Fourniret, d’un Ranucci ou des frères Jourdain, ces deux hommes qui ont violé, tué et enterré quatre jeunes femmes près d’un blockhaus, dont l’une enterrée encore à moitié vivante. Des assassins, des violeurs, qui n’ont jamais eu le courage d’assumer leurs actes, qui riaient sur le banc des accusés, qui ont tué des enfants par sadisme, perversion, vénalité… Le petit Marc est mort de l’absence de soin des coups qu’il a reçu. Les experts l’ont confirmé. Ce n’est pas un meurtre prémédité. Pas un assassinat. Da Costa ne mérite pas la perpétuité comme la méritait un Fourniret. Si vos cédez à la perpèt, on n’aura plus de règle, plus d’échelle, on ne pourra plus rendre la justice. Demain, vous vous retrouverez face à un autre qui aura fait pire et vous ferez quoi ? Condamnez-le à 30 ans si vous voulez. Pas à la perpétuité ».
Les derniers mots de l’avocat seront pour François, le frère aîné de Marc qui était venu témoigner à la barre et qui a tant marqué les esprits : « Vous direz à François que “ça’ n’a jamais menti lors de son procès et qu’il n’a même jamais rien demandé. Vous lui direz bien que c’est son avocat qui a dû demander à sa place ». Et de citer Paul Eluard à l’intention des jurés qui partent délibérer : « Le vrai désespoir, c’est sans réflexion ».