Le premier jour du procès, à Tours, de Véronique Courjault, jugée pour un triple infanticide, était consacré à la personnalité de l’accusée : enfant "étouffée", "femme esseulée", "mère formidable".
Après deux ans, 7 mois et 28 jours de détention provisoire, Véronique Courjault affronte enfin la cour d’assises. Durant cette première journée d’audience, consacrée à sa personnalité, la prévenue est apparue amaigrie, tendue et triste, mais bien déterminée à expliquer ce qu’elle-même ne « s’explique pas ».
Le jury sélectionné est masculin et plutôt âgé. Seules deux femmes n’ont pas été récusées, comme si la gente féminine était par définition trop partisane dans cette affaire. La lecture des charges retenues contre Véronique Courjault dure plus de deux heures. Petite et ratatinée dans son box, l’épouse Courjault se cache derrière ses mains, déglutit dans les moments difficiles, ferme parfois les yeux, se ronge les ongles. Face à elle, à quelques mètres à peine, Jean-Louis, son mari, pantalon vert en toile de jean et blouson bleu, bras et jambes croisés, posture fermée. Il écoute, attentif, concentré. Tous deux se préparent à écouter leur intimité déballée.
Cette journée nous plonge dans l’enfance de Véronique Courjault. Témoins : son père, Robert, 74 ans, et sa mère, Monique, 73 ans – tous deux très émus. Issu d’un milieu rural et modeste du Maine-et-Loire, le couple de viticulteurs travaille durement pour élever chichement ses sept enfants – cinq filles et deux fils. La petite ferme familiale, avec une seule et unique chambre pour l’ensemble de la fratrie, est troquée pour une plus grande quand le couple décroche enfin le label AOC – c’est le résultat bien mérité de longues années d’efforts. Les parents sont « débordés par les tâches à effectuer ». Le père hausse rarement la voix, mais quand il le fait, « cela compte ». La mère, elle, est « râleuse et autoritaire », cassante même, voire « irritable et dépressive ». Une famille nombreuse, trop nombreuse : « Mais que voulez-vous, lance Monique, il n’y avait pas de contraceptifs à l’époque ». Véronique est l’avant-dernière de la fratrie. Comme ses frères et sœurs, elle est venue au monde « à la maison » où Monique Courjault a toujours accouché – « sauf pour la petite dernière ».
Les Courjault ? Des « taiseux », des discrets, des taciturnes. Un frère évoque « des enfants trop sages » qui s’autocensurent pour « éviter de gêner les grands ». Les manifestations d’amour sont rares et peu démonstratives : « on s’aime fort, mais on ne se le dit pas ; à table comme ailleurs, on ne communique pas », dit une autre sœur. Personne n’a même le souvenir d’une fête d’anniversaire : « C’est vrai, admet Véronique, je n’ai aucune image de cadeaux ou de bougies à souffler ».
L’enquêteur de personnalité évoque des non-dits et des « non-évoqués ». La famille a ses secrets. Notamment à propos de l’aînée, Jocelyne, en réalité une demi-sœur. Quand Robert s’est marié avec Monique, celle-ci était déjà enceinte : « Je l’ai reconnue et élevée comme ma fille, dit Robert. Ce n’est pas qu’on l’a caché au reste de la fratrie, mais on n’en parlait pas. Les enfants ont fini par en parler entre eux, c’est comme ça que cela s’est su ». Véronique se souvient de l’avoir appris à 12 ans, un soir de Noël – « une gaffe d’une de mes sœurs ».
Autre non-dit, l’arrivée sous le sceau du secret de Lydie, la cadette, quand Véronique a 5 ans : « Les enfants Courjault ont su qu’ils allaient avoir une petite sœur le jour où leur mère est partie pour la maternité », explique l’enquêteur. Robert tempère : « On a dû en parler quand même, ça se voyait qu’elle avait le ventre rond ». N’empêche. Les enfants se rappellent bien n’avoir rien su – « excepté pour l’aînée, Jocelyne, qui elle l’avait remarqué », souligne leur mère.
Personnalité « étouffée » dès le plus jeune âge, Véronique est une petite fille angoissée, discrète, travailleuse, « qui ne bavarde ni ne chahute », se souviennent ses instituteurs et professeurs. Timorée, elle s’isole volontiers et tous soulignent comment « Véronique aimait passer des heures plongée dans ses lectures » : « j’aimais m’échapper, c’est vrai », dit-elle, l’air de s’excuser.
Après son baccalauréat, la jeune femme s’aventure en fac de sociologie – elle y « perd son temps », dit-elle, et redouble ses deux premières années. Encouragée par Jean-Louis, elle obtient à 24 ans un diplôme de technicienne de gestion en informatique, puis enchaîne les stages et les petits boulots en intérim : « A chaque fois qu’elle travaille, Véronique est perçue comme sérieuse, motivée et appliquée, très capable de se motiver ». L’activité l’incite même à s’intégrer – la timide Véronique sociabilise alors volontiers : « J’ai peut-être besoin d’un cadre, dit-elle, besoin de m’occuper ».
Novembre 1994. Véronique et Jean-Louis s’unissent au civil. La mariée est en noir. Le Président ose une interprétation : « Le noir, c’était une façon d’opter pour la discrétion ? » Véronique rougit : « Je pense que c’est un peu raté pour la discrétion ».
Naissance de Jules, leur aîné, en 1995, puis de Nicolas l’année d’après. Véronique est une jeune maman « heureuse », mais esseulée par un mari travailleur. Jusqu’en 1999, la jeune mère au foyer confiera régulièrement ses enfants à des assistantes maternelles.
Le Président : « Pourquoi faire garder vos enfants alors que vous étiez à la maison, sans emploi ? »
Véronique : « Jules, mon aîné, avait du mal à se séparer de moi quand je l’emmenais à l’école, cela me culpabilisait beaucoup. Du coup, je voulais préparer la séparation d’avec Nicolas ».
Le Président insiste : « L’assistante maternelle dit que vous aviez plutôt envie de souffler ».
Véronique, sur la défensive : « Oui, peut-être un peu aussi, deux enfants en bas âge, c’est parfois usant… »
La prévenue raconte alors ses premières angoisses de mère, celles de ne « pas savoir » ou de ne pouvoir soulager son enfant : « Jules a eu des problèmes d’eczéma très importants, quasiment dès sa naissance. D’abord sur les fesses, et puis sur tout le corps. Il souffrait et pleurait beaucoup, surtout la nuit. J’étais incapable de le soulager, ça a duré des mois, j’étais épuisée ».
La maman de Jules et Nicolas est décrite par tous comme « une mère formidable ». Ses enfants eux-mêmes disent d’elle qu’elle est rigolote, attentive, câline, capable de fous rires et de « gronder aussi ». Une « reine du gratin aux fraises », qui excelle en concours de roulades sur le tapis et en fabrication de costumes.
A leur grand-mère, Monique, le Président demande : « Y a-t-il quelqu’un dans votre entourage qui ait abandonné Véronique depuis la découverte des faits qui lui sont reprochés ? »
La mère, catégorique : « Personne. Tout le monde lui a pardonné, mais personne n’arrive à comprendre, pas même elle, vous savez ».
A lire ou relire sur Bakchich.info
Spécial Procès Courjault :
Et aussi :
Comparutions immédiates du 1er avril, TGI de Bobigny
Yanis, 6 ans, veut mourir. Il l’a répété plusieurs fois à l’école. Au début pourtant, l’enfant était « content d’avoir un nouveau papa ». Et puis très vite, il a changé d’avis. Sa maman Naïma, enceinte (…)
Petit truc qui m’interpelle dans cet article.
On s’intéresse à la famille de Véronique Courjault, et on les nomme "les Courjault" (4ème paragraphe).
…
C’est pas son nom d’épouse "Courjault" ??? (cf. son mari : Jean-Louis Courjault)
Ou alors ils sont tous consanguins et, à ce moment là, je comprend mieux l’eugénisme par le congélo !
la gente féminine
Bakchich, je journal des analphabètes