Véronique Courjault comparaît devant les assises de Tours pour un triple infanticide. Deuxième jour d’audience. La prévenue peine, pleure et tente des explications – qui ne viennent toujours pas.
« J’ouvre le congélateur. C’était le bazar. Comme j’avais un peu de temps et que je voulais glisser les maquereaux dans le même compartiment, j’ai voulu ranger un peu. Ce que j’ai fait dans le premier, le deuxième puis le troisième tiroir. En ouvrant le quatrième, je vois un sac blanc. Je le sors, je le dépose derrière moi. Et là je vois une main. Je ne sais pas bien pourquoi, mais je remets alors le sac à sa place. Et je recommence. J’ouvre tout : premier compartiment, deuxième, troisième. Je confirme et revois ce qu’il y a dans le quatrième. J’ouvre le cinquième. Je vois un autre sac. C’est un autre bébé. Et là, je sors ».
Cette deuxième journée d’audience reprend sur la genèse des faits. La salle écoute attentivement l’époux Courjault revivre cette matinée du dimanche 23 juillet 2006 à Séoul, quand tout a basculé : « Je tourne en rond dans le salon, continue-t-il. J’étais stupéfait, au sens le plus violent du terme et j’essaye de retrouver mes esprits. Dans ma tête, ça tourne : “Il faut que j’appelle la police, oui mais je ne connais pas le numéro, je ne parle pas le coréen, comment vais-je leur expliquer ?”. Je me sens coincé, dans une impasse, je n’arrive pas à réfléchir ».
Trois ans et demi pour l’un. Deux ans et demi pour l’autre. C’est le temps du séjour de chacun des deux fœtus dans le congélateur familial. L’un des jurés prend le micro pour la première fois et lance : « Trois ans et demi, c’est long : comment est-ce possible ? » Car, effectivement, il y en avait du monde à la maison. Jean-Louis d’abord, épicurien, aimant cuisiner et ouvrant régulièrement le congélateur ; et puis les enfants, la femme de ménage, la famille ou même les amis français qui s’installaient parfois plusieurs semaines durant les vacances… Et tous confirment : jamais Véronique n’a donné de restriction disant : « Personne n’approche le congélateur ». « Il y avait 100% de chance qu’elle se fasse prendre un jour », lâche son époux, persuadé que sa femme voulait inconsciemment se soulager de son terrible secret. « La poubelle, les rizières, la cheminée de notre deuxième logement à Séoul… elle avait quantité de moyens de s’en débarrasser ».
De fait, Véronique a plutôt tout fait pour garder ces corps auprès d’elle. Ce jour de 2003 où le congélateur familial tombe en panne, un seul petit clandestin y est alors caché. La prévenue enveloppe le corps et l’entrepose dans un placard le temps qu’un nouvel appareil leur soit livré. Quelques années plus tard, en juin 2005, le couple emménage dans un duplex huppé du même quartier français de Séoul. Véronique prend alors le risque de transporter les corps dans un sac pour parcourir à pied les quelques 500 mètres entre les deux maisons. « Je n’ai pas pu les jeter, dit-elle en sanglotant silencieusement. Je sais que c’est bizarre… ce que j’ai fait est tellement monstrueux, mais je ne pouvais pas m’en séparer. En les congelant, je voulais peut-être les garder auprès de moi ». Les mots trébuchent, mais elle parvient à ajouter : « Je vérifiais de temps en temps leur présence dans le congélateur. Cela peut paraître absurde, mais je voulais vérifier qu’ils étaient vraiment là ».
Ce fameux dimanche de juillet 2006, l’enquête commence. Le témoin Gérald Bejeau, enquêteur de police, revient sur l’instruction de l’affaire : les premières auditions du couple et les premières révélations de Véronique, jusqu’à l’aveu ultime, celui du troisième enfant, brûlé quelques années plus tôt dans l’insert de la cheminée charentaise. Le policier raconte les interrogatoires des proches, les écoutes téléphoniques, le fait que ni M. Courjault, ni aucun membre de la famille n’aient jamais rien vu, jamais rien soupçonné. « Nous avons surtout cherché à comprendre les motivations et les mobiles de ces infanticides », dit-il. Des raisons concrètes en somme, qui expliqueraient ce que, trois ans plus tard, personne n’arrive toujours à comprendre.
À la barre, l’enquêteur propose des pistes : « Des enfants, elle n’en voulait plus, alors que lui au contraire désirait une famille nombreuse. Mais cela ne tient pas complètement la route. Tout le monde voit bien que M. Courjault n’est pas un tyran domestique, qu’il est ouvert à la discussion ». En clair, Madame n’a pu s’enfermer ainsi dans le mensonge pour simplement éviter d’affronter son mari. L’enquêteur croit de fait à la théorie du cercle vicieux. C’est un ami du couple Courjault qui, un jour où il tergiverse sur le « pourquoi », offre ce scénario à l’enquêteur : et si le tout premier enfant assassiné n’était pas celui de Jean-Louis ? À l’époque, Véronique se sentait esseulée ? Elle aurait pu s’abandonner dans les bras d’un autre ? Et puis, cela expliquerait que cet enfant-là ait été brûlé, comme effacé. « Ce n’est qu’une supposition, admet le policier, et je n’ai pu la recouper, mais c’est mon explication », conclut-il. Le reste n’est alors qu’engrenage, selon lui. Après ce premier infanticide, Véronique redoute de consulter un gynécologue craignant qu’il ne remarque sa grossesse clandestine. D’où le fait qu’elle n’ait pas pris de contraception par la suite. D’où les grossesses non désirées. D’où les autres meurtres. Mais Véronique balaye cette théorie d’un catégorique : « Je n’ai jamais trompé Jean-Louis ».
Véronique Courjault comparaît pour trois assassinats : la préméditation est au cœur du dossier. La mère de famille a dit durant l’instruction que sa « décision de donner la mort avait été prise par elle dès qu’elle avait su qu’elle était enceinte ». En pleurs, la prévenue revient aujourd’hui sur ses déclarations : « Je l’ai dit parce que c’était logique. C’était l’état d’esprit de ma garde-à-vue. Mais ce n’est pas exact. Les choses sont beaucoup plus complexes que cela ». Avec énormément de peine, l’épouse Courjault raconte l’enfermement dans le mensonge, la difficulté à en sortir, à avouer les faits à son mari. Les aveux passés, le reste de ses déclarations, dont la préméditation, n’étaient que « pure raisonnement » selon elle, les policiers la confrontant à chaque fois à des preuves scientifiques et concrètes : si elle avait tué ses bébés, c’est qu’elle avait été enceinte. Si elle avait été enceinte, elle avait dû s’en rendre compte. Si elle s’en était rendu compte, elle avait dû prévoir ses actes… « Mais non, conclut-elle, aujourd’hui, c’est bien plus compliqué ».
Véronique Courjault est malgré tout incapable de s’expliquer davantage. Si elle n’a pas prémédité ses actes, elle a tout de même laissé ses grossesses évoluer. Que pensait-elle faire si ce n’est les tuer ? Pour Gérard Sammartino, autre enquêteur entendu par la cour, c’est aussi la preuve de la préméditation : « A partir du moment où elle a continué ses grossesses, j’imagine qu’elle a décidé de les éliminer ».
Quand le Président demande à la prévenue de revenir à ces matinées où elle a accouché seule, accroupie dans la salle de bain, les pleurs, toujours silencieux, redoublent. Véronique Courjault demande à s’asseoir, on lui tend un micro : « J’ai des souvenirs confus, commence-t-elle, sous formes d’images très brèves, sans savoir de quel bébé il s’agit ». Très lentement, elle s’oblige à sortir les mots de sa bouche : « J’ai le souvenir d’être dans la salle de bain, d’une sensation physique du bébé qui quitte mon corps ; je pense ensuite qu’il se met effectivement à crier. J’ai l’image de ma main sur un visage ». Les mots se bloquent. Maître Henri Leclerc, avocat de la défense, tente d’aider sa cliente : « La seule question qui vaille dans ce procès madame, c’est “pourquoi” – alors, dites-nous : pourquoi ? » Silence de Mme Courjault qui finit par balbutier : « Je n’ai pas de réponse qui soit en adéquation avec la gravité des faits. Ce que je sais, c’est que ces grossesses n’ont pas été à l’image de celles de Jules et Nicolas à qui je parlais et que je sentais bouger. Je me dis aussi aujourd’hui que si j’avais su parler et me confier à l’époque, rien de tout cela ne serait jamais arrivé ».
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Bonjour,
Ce "pourquoi" n’est pas de mise puisque le corps médical explique que le "déni de grossesse" est un trouble psychologique. Nous ne demandons pas habituellement à une personne malade pourquoi elle est malade. C’est absurde.
Par contre je trouve que le mot POURQuOI ? a toute sa place dans la question : "Pourquoi les femmes se retrouvent-elles presque toujours seules accusées devant un tribunal alors qu’à l’origine d’une grossesse il y a toujours un homme. Qu’il ait su, qu’il n’ait pas su , qu’il ait vu, qu’il n’ait pas vu, ils étaient deux au départ, elle est seule aujourd’hui à risquer la prison. De même dans des cas d’abandons ou de mauvais traitmeents, on retrouve souvent la femme accusée, et emprisonnée, devant le tribunal et le père comme témoin libre. Là est peut être la vraie question. Pourquoi les hommes peuvent-ils se défausser ainsi. Soit les pères veulent donner leur avis sur les enfants et ils assument autant que la mère et plus si elle est défaillante (ce qui est humainement autorisé) ou bien on considère que les enfants c’est "l’affaire des bonnes femmes" et alors on nous laisse nous débrouiller comme l’on peut, sans émettre de critique. Les juges et les jurés dans cette affaire, sait-on comment ils s’occupent de leur famille ? Quelle est leur vision du rôle imposé aux femmes par nos sociétés ?
Fanchette
Les Déni de grossesse toucheraient toutes les couches de la population…incroyable… !
Sarko, qui vient de prendre une claque avec le jugement du Conseil Constitutionnel (Giscard et Chirac étaient côte à côte… ?!) rejetant la loi Hadopi, pourrait prendre une mesure sécuritaire : demander à ce que tous les congels de France soient contrôlés, car apparemment les mecs n’y vont pas souvent… !