Palais de Justice de Douai, le 27 octobre 2009, deuxième jour d’audience du procès de Francis Evrard. Incurable. Mais systématiquement relâché.
Retour sur les antécédents de Francis Evrard. Avec effet glaçant immédiat. Un catalogue d’expertises, de contre-expertises et de sur-expertises, datées de 1959 à nos jours, qui révèle trois évidences : Evrard est pédophile, pervers et, en l’état, incurable. L’homme est pourtant relâché à l’issue de chacune de ses peines. Incarnation du « no risque zéro », le cas Evrard met le doigt sur un vrai casse-tête. Illustration par l’exemple de ce que le Parlement devra bientôt démêler.
1959, Evrard a 13 ans. Il est acté qu’il joue à touche-pipi avec d’autres petits pensionnaires d’un centre pour jeunes délinquants. « C’est de son âge », se dit-on.
1962, l’année de ses 16 ans. « Actes contre-nature » sur deux garçons de 7 et 9 ans. Les rapports indiquent déjà que « la pratique de la masturbation sur de jeunes enfants » est « habituelle » pour Evrard.
1964, 18 ans. Viol sur enfant « avec les doigts ». Trois experts psy de Douai constatent : « Francis Evrard paraît perverti, une peine prolongée de prison ne peut l’améliorer. Sa mise en probation et sa surveillance étroite sont indispensables ».
1969. Viol d’un enfant de dix ans avec pénétration anale et usage d’un revolver : « Si tu cries, je te mets une balle », menace Evrard. L’expertise est catégorique et souligne l’incapacité du pédophile « à réfréner ses pulsions ».
1974, nouvelle expertise avant son départ en prison pour sa première grosse peine : quinze ans. On souligne alors l’extrême dangerosité d’Evrard : « Cet homme est une impasse, tant pour la psychiatrie que pour la répression pénale. Il n’est ni curable, ni réadaptable ». L’accusé ressort en mai 83 et récidive l’année d’après. Les nouvelles expertises confirment les précédentes : « Pervers et manipulateur », Francis Evrard ne connaît que la loi du « pas vu, pas pris ».
Les deux psychiatres du jour, ceux qui défilent à la barre, ont chacun rencontré l’accusé à deux reprises en sept ans. Tous deux creusent le même sillon : pas grand-chose à faire pour Evrard. L’homme n’est pourtant pas malade mental, ses pulsions ne sont pas aliénantes, il pourrait donc parfaitement apprendre, via une longue psychothérapie, à y résister. Dans le cas Evrard cependant, cette thérapie est « peu susceptible de le changer », juge le Dr Jean-Pierre Choquet. Après plus de trente ans passés en prison, l’accusé reste « totalement cynique ». « Il banalise ses actes » et continue de penser que ses condamnations sont trop lourdes.
« En juin 2000, raconte l’expert, Evrard me dit encore : “Je ne comprends pas qu’on prenne 27 ans pour un simple doigt dans l’anus d’un gosse”. Pour lui, il s’agit d’une “bricole” ». Zéro rédemption. Zéro culpabilité. Zéro prise de conscience. L’introspection thérapeutique a de fait aucune structure sur laquelle s’appuyer.
Un traitement anti-hormonal peut-être ? « Oui, répond le Dr Choquet, mais là encore, il faut que le principal concerné y adhère ». En clair, la thérapie hormonale n’est pas « magique » : « Il faut tout de même avoir envie de changer et souvent effectuer en parallèle un travail thérapeutique ».
Avant sa sortie en 2007, peu avant qu’il ne récidive à nouveau avec les faits qui lui sont reprochés aujourd’hui, Evrard refuse catégoriquement ce type de traitement. Le prisonnier en fin de peine est même dans une « position de défi et de toute-puissance » vis-à-vis de l’institution. Il parle librement de ses pulsions devant l’expert et dit « se masturber en repensant à ses actes passés ». Tout cela n’est « pas très rassurant » et les experts concluent aux « risques avérés de récidive ».
Reste que l’intégralité de la peine du détenu est effectuée. Evrard ressort en juillet 2007. Sa récidive est presque immédiate. Le 15 août, il enlève, séquestre et viole le petit garçon de 5 ans dans un garage.
Certes, on lui a bien « imposé » un traitement anti-hormonal à sa sortie de prison. Mais pas de quoi se protéger d’une récidive : « Parce que, encore une fois, il n’avait aucune envie de changer de son côté », regrette le Dr Lorteaux. Le président lui demande à quoi peuvent servir ces rapports d’expertise, si ce n’est « à rien ». Réponse du médecin : « Je dirai que mon rapport a permis de poser un pronostic. Et que malheureusement, celui-ci s’est révélé juste ».
D’autres solutions ? « Etre placé dans un foyer spécialisé, propose le Dr Choquet, mais là encore, sans risque zéro, parce que ces foyers ne sont pas des prisons ». Autre chose ? « Le bracelet électronique, propose-t-il, mais là encore, c’est peu fiable. On rencontre des enfants un peu partout dans les rues, pas seulement autour des écoles ou des parcs ».
La castration physique peut-être ? « C’est irréalisable en France », constate l’expert. Même si l’actuelle ministre de la Justice y songe, l’intervention aux effets irréversibles est effectivement assimilée à un acte de torture par le Conseil de l’Europe. Il n’existe de plus aucune garantie que le résultat recherché (la diminution de la testostérone) perdure. En plus, Evrard viole avec ses doigts. Même amputé des testicules, son cerveau continuerait de tourner dans le sens de la perversion. On peut du coup imaginer le lobotomiser. Et aussi, l’amputer de ses dix doigts. Et puis, peut-être aussi de ses moignons. Puis, puis, puis…
« Face à des cas comme ceux d’Evrard, on est impuissants, c’est vrai », conclut le Dr Lorteaux. Rien à faire, alors que faire ? C’est tout l’enjeu du projet de loi sur la récidive et la castration bientôt examiné : jusqu’où le législateur décidera-t-il qu’il peut mutiler ?
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