Un maton novice, pris au piège d’une émeute meurtrière dans un QHS en état de siège. Plus qu’un film de prison, un coup de boule !
L’année dernière, Un prophète de Jacques Audiard cartonnait en salles avant de récolter 9 César (Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur…). Au même moment en Espagne, Celda 211 (Cellule 211) battait tous les records de recette et chipait pas moins de 8 Goya, dont Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur acteur… Etonnant, non ? Pourtant si les deux films se déroulent en prison et puisent dans la tradition du thriller carcéral, difficile d’imaginer plus différent qu’Un prophète et Cellule 211. Car là où Audiard utilisait la forme du film de prison pour tripoter une nouvelle fois ses thèmes de prédilection (filiation impossible, apprentissage, héritage, virilité…), l’Espagnol Daniel Monzón tricote un film de genre, bourré de sueur, du sang et de cojones, mais avec un vrai regard d’auteur.
Maton mignon et novice, Juan débarque en repérage dans la prison où il va travailler la veille de sa prise de fonctions. Pas de bol pour ce fonctionnaire zélé, c’est justement ce jour-là que les prisonniers du QHS se mutinent. Plongé au cœur du chaos, blessé, abandonné par les autorités impuissantes, Juan n’a qu’une seule chance pour survire au déchaînement des irréductibles : se faire passer pour un prisonnier nouvellement incarcéré. Et se rapprocher du caïd de la prison, Malamadre (« Mauvaise mère » en VF), mâle alpha au crâne rasé et à la voix caverneuse, chef des insurgés.
Armé de sa bonne idée, le réalisateur Daniel Monzón, ancien critique ciné, fonce pied au plancher et accumule les uppercuts. Pendant 1h 45, le spectateur s’accroche à son fauteuil, le bide en vrac, en se demandant quand le maton va être confondu et découpé en rondelles. La forme est celle d’un roller-coaster, éprouvant, insoutenable, grâce à une écriture au scalpel qui dépeint le délabrement des prisons espagnoles, l’inhumanité des QHS qui laissent crever les détenus et transforment les hommes en bêtes. Malgré quelques scories, notamment les flash-backs inutiles du maton avec sa femme ou la manif des familles des prisonniers, le script – inspiré d’un best-seller espagnol - accumule les bonnes idées, les rebondissements et les personnages complexes, parfaitement dessinés. Ainsi Malamadre est un tueur vicieux, le prédateur classique, tout en haut de la chaîne alimentaire carcérale. Mais au fil du compte à rebours, il va se révéler à la fois psychopathe et tragique, ultra-violent et réglo, monstre et victime. Un grand personnage de cinéma, incarné par un acteur magnétique, Luis Tosar, vu dans Les Lundis au soleil ou dans le rôle d’un inquiétant baron de la drogue dans Miami Vice de Michael Mann. Pour cette performance inoubliable, Tosar a obtenu le troisième Goya de sa carrière tandis que Monzón a reçu le Goya – mérité – de la meilleure réalisation. Très intelligemment, Monzón refuse le spectaculaire pour une mise en scène très inspirée. Il alterne les scènes tournées caméra au poing, des plans quasi documentaires secoués de soubresauts, avec de somptueux travellings et des images de caméra-surveillance. Sorte de patchwork monstrueux, son film s’apparente à une véritable expérience immersive dans un monde à la fois inconnu et familier : la prison, métaphore des violences et de la folie du monde.
Comme la bande de cinéastes espagnols épatants qui œuvre dans le film de genre - je pense notamment à Juan Antonio Bayona (L’Orphelinat), Jaume Balagueró & Paco Plaza (Rec 1 & 2), Jorge Sanchez-Cabezudo (La Nuit des tournesols) ou au vétéran Alex De La Iglesia (Le Jour de la bête) - Daniel Monzón est vraiment le type même du réalisateur à suivre. Et Cellule 211 un des très bons films de cet été médiocrissime. Hautement recommandé.
Après Plan B, encore un excellent et important film en langue espagnole. Un film de prison qui m’a semblé supérieur au film français tant vanté, Un prophète (à propos, vous n’en avez pas marre de lire « Un jeune maton » dans TOUS les comptes-rendus de films parus à l’occasion de sa sortie ? Ce terme est insultant, mais les journalistes qui l’utilisent à l’exclusion de tout autre ne semblent pas en avoir conscience. De quel droit sont-ils systématiquement méprisants ? Pourquoi les policiers sont-ils toujours des flics, les enseignants des profs et les garçons de café des loufiats ? Est-ce que les journalistes seraient contents qu’on les qualifie systématiquement de fouille-merde et de pisse-copie ?)
Certes, on a quelque réticence à gober le postulat de ce jeune inconnu qui devient presque instantanément l’homme de confiance et le second du caïd de tous ces criminels, mais l’histoire n’existerait pas sans cela. Le récit est celui de la prise de conscience par un jeune novice de ce fait, bien connu, que la prison est surtout l’école du crime. Tout le monde le sait, mais il faut marteler cette évidence, et mettre sans cesse en avant la responsabilité des gouvernants, surtout des nôtres, en France. Un jour ou l’autre, nous aurons chez nous des évènements semblables.