Des notes « confidentiel défense » de la DST révèlent que l’Intérieur suivait au plus près les cabinets de renseignement privés, même dans leurs activités très limite. Sans bouger le petit doigt…
Aujourd’hui fusionnée avec les Renseignements généraux dans la nouvelle direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), la DST fait depuis des lustres son miel des activités plus ou moins « border line » des cabinets d’intelligence économique. Des documents inédits « confidentiel défense », récemment déclassifiés par le gouvernement, révèlent la porosité des frontières entre le service d’Etat, la DST, et les enquêteurs privés. Des liasses de ces documents ont récemment atterri dans le dossier judiciaire d’un ancien gendarme, Patrick Baptendier, poursuivi par une juge de Versailles pour avoir farfouillé dans les fichiers de la police et revendu des informations confidentielles.
A lire les notes déclassifiées de l’ex-DST, relatant pour la plupart les contacts entre un flic et Patrick Baptendier, les services de renseignement n’ignorent rien de ce que trament Kroll, Geos et autres cabinets privés. Normal, Baptendier travaille pour eux ! Le ministère de l’Intérieur, du temps de la DST, suit donc jour après jour ou presque les pérégrinations d’agents privés qui espionnent les uns, enquêtent sur les autres… tout en laissant faire. Quelles que soient les méthodes employées.
La DST apprend ainsi en direct que le groupe Péchiney a mandaté l’agence Kroll dans le cadre d’une affaire de fraude, de même que l’Opéra de Paris. Le contre-espionnage sait également que l’entreprise Servair a sollicité une société d’enquêtes privées pour se renseigner sur le groupe Texas Pacific Group, qui avait racheté Fin Gourmet, une entreprise concurrente. De la même façon, Kroll, note la DST, recueille « tous éléments d’information » sur l’homme d’affaires Raymond Lakah, alors dirigeant de France-Soir, Air Horizons et Star Airlines. Un extrait du rapport rédigé par Kroll à l’attention de son client atterrit directement au contre-espionnage. Depuis, Lakah s’est retrouvé dans les colonnes des faits divers.
En janvier 2004, les espions de la place Beauvau notent dans un rapport qu’un cabinet d’enquêtes, Egideria, « s’inquiète de la création par deux de ses anciens employés d’une société concurrente ». Surtout, la société en question craint de voir ses fichiers clients ont été emportés et avec eux, ses deux plus beaux clients : Peugeot et Danone. Une boîte d’intelligence économique a été chargée de vérifier qu’une société allemande détient bien des comptes bancaires à Jersey et en Autriche. Pourquoi ? Parce ce qu’un de ses clients veut racheter cette société pour éviter d’avoir à ouvrir lui-même de discrets comptes…
Quand Kroll est chargée d’enquêter sur Airbus, à Toulouse, le contre-espionnage est mis au parfum. Quand elle surveille un homme d’affaires israélien, Idan Ofer, sa famille et son garde du corps, de passage à Paris, les contre-espions apprennent aussitôt que le magnat a rencontré une dizaine de responsables du groupe Véolia dans un salon du restaurant Ledoyen. A la fin de la soirée, raconte la taupe de Kroll qui colle aux basques du groupe, Ofer rencontre d’autres interlocuteurs à l’hôtel Hyatt. La conversation semble s’être tenue « en hébreu », note la DST. A quand des détectives privés multilingues ?
Une autre fois, une société américaine emploie Kroll pour surveiller l’un de ses cadres débarquant en France et censé se rendre chez Alcatel ; les Américains craignent que leur employé ne leur fasse de la concurrence déloyale. Un ancien cadre du Giat, qui s’est lancé dans l’intelligence économique, fait lui aussi l’objet des attentions serrées d’une agence de renseignement depuis qu’il a donné une interview au Point sur le fonds Carlyle. Les espions de la DST, encore une fois, ne perdent rien de ces investigations. Comme ils apprennent que Kroll a été chargée d’enquêter par la société Rhodia sur les deux plaignants qui ont initié l’affaire contre le groupe de chimie, Edouard Stern et Hugues de Lasteyrie, deux richissimes financiers qui s’estimaient lésés et sont aujourd’hui décédés. Là encore, les infos arrivent toutes chaudes au siège de la DST d’alors, rue Nélaton, à Paris.
Meilleur exemple du mélange des genres, le cas de cette jeune fille, Isabelle, qui s’apprête à être recrutée par l’agence américaine Kroll, l’une des méga sociétés privées de renseignement économique, et qui se retrouve convoquée… par un officier de la DST. Elle a raconté les détails de son « recrutement » aux enquêteurs de la police des polices, l’IGPN. Jeune étudiante à la recherche d’un emploi dans l’investigation privée, elle est présentée au directeur de Kroll France et gagne un CDD dans la super agence d’intelligence économique. Quelques jours après, « un lundi matin vers 10h00, j’ai reçu un appel sur mon téléphone portable dont l’appelant était masqué. L’interlocuteur s’est présenté comme fonctionnaire du ministère de l’Intérieur et visiblement il avait mon CV sous les yeux et a souhaité me rencontrer, restant évasif quand au motif de notre entrevue. Il a précisé qu’il appartenait à la DST ».
Voilà Isabelle qui rencontre un fonctionnaire appartenant à la sous-direction de la Protection du Patrimoine, qui se présente sous un faux nom mais laisse une carte de visite comportant le numéro de téléphone, bien réel, d’un agent du contre-espionnage. « Il m’a déclaré qu’il serait amené à me contacter probablement pour le compte de son service, et là naturellement j’ai abordé le fait que j’allais obtenir mon premier emploi chez Kroll dès janvier 2006. J’ai clairement signifié que je n’apporterai aucune information de nature à nuire à mon employeur, mais par la suite il a rétabli un rapport de force et j’ai compris qu’il avait des moyens de me nuire ». Carrément. Ça se passe comme ça à la DST.
Au moment d’être définitivement intégrée chez Kroll, la jeune investigatrice discute avec le patron de l’agence. « Il m’a fait clairement comprendre qu’il était au courant pour l’approche que j’avais connue d’un service officiel », assure-t-elle aux policiers.
La DST en super-ANPE de l’intelligence économique ?
Les contre-espions du ministère de l’Intérieur peuvent également suivre de près les pérégrinations françaises d’un ancien banquier algérien, Mohamed Kherroubi, installé à Paris et recherché par un mandat d’arrêt émis en Algérie. Kherroubi était président de la Banque du commerce et d’industrie algérienne (BCIA), un établissement au cœur d’un scandale financier en Algérie, comme Bakchich l’a raconté. Kroll l’a placé sous surveillance, il suffit donc de récolter les infos obtenues. Grâce à Patrick Baptendier, qui se charge de la filoche, la DST apprend ainsi que l’intéressé « fait déjà l’objet d’une surveillance par des personnes de type méditerranéen ». « Les intéressés ne suivent pas Kherroubi dans tous ses déplacements mais sont toujours présents devant le domicile rue de la Tour, à Paris, et souvent au lieu de destination de l’objectif, sans l’avoir suivi », assure le rapport de fin de mission.
« La relation de confiance entre Patrick Baptendier et le représentant de la direction semble suffisamment établie pour envisager de l’enregistrer comme correspondant », écrit le 18 septembre 2003 la DST à propos de sa nouvelle recrue. « Tombé » en 2006 en dépit de son immatriculation dans les registres de ce service officiel, Patrick Baptendier dénonce depuis, inlassablement, l’utilisation par les services d’Etat des petits pions comme lui, à qui le contre-espionnage remettait des informations confidentielles (numéros de comptes ou de cartes bancaires, antécédents judiciaires, éléments de CV et autres…) en échange d’infos sur le milieu du renseignement privé.
Des échanges de bons procédés qui, lorsque Baptendier est mis en examen et dort quelques mois en prison alors que son ancien correspondant de la DST continue à œuvrer comme si de rien n’était, finissent au détriment des enquêteurs privés. Le livre de l’ex-gendarme, Allez-y, on vous couvre ! Un barbouze au service de la DST (éd. Panama), vendu à une bonne quinzaine de milliers d’exemplaires, a fait mouche sur cette problématique. Lui, par contre, ne souhaite plus s’exprimer sur cette affaire et a refusé de rencontrer Bakchich.
Et maintenant que la DST a disparu dans la DCRI, un mur infranchissable a été élevé entre les espions de l’État et les barbouzes privées ?
A lire ou relire sur Bakchich.info
La France est et a toujours été depuis 1945 mais surtout depuis 1958 et De Gaulle la patrie d’officines barbouzardes (souvent très proches de l’extrême droite) utilisées dans toute les affaires très louches et autres coups fourrés ne pouvant impliquer directement l’état, façade républicaine oblige…Et cela continue de plus belle sous Sarko 1er, (affaire du faux listing Clearstream)…
Il n’est pas encore né celui qui aura la volonté de nettoyer les écuries d’Augias…
Vous savez, Les sociétés/officines barbouzardes il y en a partout, à tous les coins de rue, quelque soit le pays.
Ces machins sont des paniers de crabes et autres pinces-fesses liés à des politiciens de tous bord, hommes d’affaires mégalos milliardaires et autres franges de militaires plus ou moins excités. Il n’y a rien à faire, ils se tiennent tous par la peau du cul.
En général, les barbouzes ne savent même pas tous pour qui ils bossent ; il exécutent c’est tout. A la DCRI, c’est pareil. On ne sait pas tjrs si la personne qui se trouve à côté de vous ne joue pas un double jeu ou plus. C’est ambiance de psychopathe.
Nettoyer les écuries c’est se faire flinguer. et encore, on ne saurait même pas si l’officine s’est reconstituée ailleurs.
La nature humaine, le pouvoir, le reste on s’en fout. Le peuple est libre de croire que tout va bien dans le meilleur des mondes