Depuis 2005, l’idée d’un gigantesque centre commercial dans l’agglomération de Toulouse agite riverains et élus locaux. Malgré l’opposition farouche des citoyens, les Portes de Gascogne verront sans doute le jour.
De la plaine de la Ménude, au sud-ouest de Toulouse, on aperçoit les Pyrénées par temps clair. Quelques chevaux paressent au loin. Dans ce paysage serein, à défaut d’être vraiment charmant, pelleteuses et bétonneuses menacent de débarquer d’un jour à l’autre.
Le colossal projet des Portes de Gascogne, un énorme centre commercial – 36 hectares, 63 000 mètres carrés de surface de vente – où il ferait bon flâner le week-end, pourrait, après une longue bataille judiciaire, finalement voir le jour.
Au menu de ce projet grandiose : un hypermarché Casino de 12.000 m2, vingt-huit grandes et moyennes surfaces, 140 boutiques, une maison des associations, un théâtre, une crèche… Et un flux quotidien de 20.00 voitures prévu par jour. Pour le promoteur immobilier Simon Ivanhoé, un groupe américain spécialisé dans l’immobilier commercial, l’opération pèse 300 millions d’euros.
« Un contresens total, une absurdité », tranche Claude Raynal, vice-président de l’agglomération toulousaine. « C’est un projet des années soixante qui bat de l’aile » explique le maire de Tournefeuille (Haute-Garonne) en rappelant que la grande distribution a opéré depuis plusieurs années un retour vers les petites et moyennes surfaces en centre-ville pour coller aux nouvelles attentes des consommateurs.
Progreso Marin, poète et figure locale, connu pour être la mémoire des républicains espagnols réfugiés ici, est vent debout contre le monstre au sein du collectif Non aux Portes de Gascogne : « l’Amérique veut nous refourguer les vieilles choses dont elle s’est fatiguée. » Et, de fait, personne ici ne semble vouloir de ce mastodonte. Sur les 117 communes concernées, 110 se sont prononcées contre. Pour l’essentiel, ces élus ne voient pas l’utilité de l’opération alors que la densité commerciale de l’agglomération dépasse déjà la moyenne nationale de 100 mètres carrés par habitant.
Un document d’aménagement commercial (DAC) voté en juin par les communes du Grand Toulouse met les points sur les « i » et exclut à l’avenir ce genre de réalisation « architecturalo-commerciale ». Dans ce contexte, l’ouverture programmée des Portes de Gascogne, en dépit de la volonté des habitants concernés, relève presque du cas d’école. Un exemple édifiant des moeurs de la grande distribution dans notre bel Hexagone.
Retour sur près de cinq ans de batailles, de grandes et de petites manoeuvres pour faire aboutir le projet. Accordée en 2005, la première autorisation date de l’époque où Jean-Luc Moudenc (UMP) dirige la Ville rose. La chambre de commerce commence par traîner des pieds et affirme que le projet n’est pas acceptable en l’état.
Avant de brutalement changer de cap. « On a très vite compris qu’ils voulaient juste faire monter les enchères, et qu’au final, ils donneraient leur accord », se souvient Progreso Marin qui fédère les opposants au projet. Peu de temps après, le groupe américain, sensible aux réticences locales, accepte de verser 400 000 euros pour « revaloriser les centres-villes menacés » par le projet. Un petit bakchich qui permet de faire sauter un premier verrou. Les seconds ne seront que de pure forme : en mai 2006, la Commission nationale d’équipement commercial (Cnec), qui suit généralement les décisions locales, donne son feu vert. Le seul recours qui reste aux opposants aux Portes de Gascogne est de se tourner vers le Conseil d’État. Lequel retoque le projet pour cause de bidouillage dans la délimitation des zones de chalandise.
Évidemment, le groupe Simon Ivanhoé, qui planche depuis 2002 sur ce juteux complexe, ne l’entend pas de cette oreille. Le promoteur, après un petit toilettage du projet, obtient à nouveau l’accord de la Cnec. Rebelote, les opposants saisissent le Conseil d’État. Commence alors une série de pressions dont le monde de l’immobilier et de la grande distribution a le secret.
La veille de la date limite du dépôt de dossier au Conseil d’État, l’Union professionnelle des artisans de Haute-Garonne et du Gers, l’UPA 31 et l’UPA 32, habilitées à être requérantes au Conseil d’État, se désistent. « Ils ont reçu un fax de leur siège parisien leur demandant de se retirer », raconte Danielle Marion, membre de l’UPA 32.
En 24 heures, les opposants au centre commercial parviennent à convaincre des commerçants de la zone d’aller au Conseil d’État. « À partir du moment où mon nom est apparu dans la procédure, affirme Thomas Penel, opticien d’une des communes concernées, j’ai reçu la visite d’un émissaire du projet. Je n’ai pas donné suite. » Un de ces lobbyistes, Dominique Bragato, recruté pour son carnet d’adresses, nous explique, franchement gêné, qu’il s’agissait juste « d’éclaircir la situation avec ces commerçants ». Un publi-reportage, sondage à l’appui, est acheté par le groupe dans la Dépêche du midi pour démontrer que les Toulousains attendent le projet avec impatience.
« Les pressions politiques sont énormes », admet de son côté Claude Raynal, qui estime que même dans sa famille politique – on est ici en terres PS cassoulet et les deux seuls maires partisans du projet sont socialistes – on lui a plusieurs fois fait comprendre qu’il serait bon de rendre les armes.
Bercy n’a cessé de manifester son agacement devant les résistances locales. « Ils nous expliquent que cela va créer de l’activité, de l’emploi [le groupe annonce 2 000 créations], or toutes les études sérieuses sur ces centres montrent que pour un emploi créé, deux sont détruits dans les centres-villes », soutient pour sa part le vice-président de l’agglomération toulousaine.
Difficile de ne pas voir non plus, dans la détermination du ministère de l’Économie à soutenir le projet, l’ombre de Casino. Le groupe de Jean-Charles Naouri, grand ami de Nicolas Sarkozy, veut à tout prix se positionner dans l’agglomération toulousaine où ses deux concurrents, Carrefour et Leclerc, se taillent la part du lion.
Épilogue ? Pour un vice de forme, le Conseil d’État a rejeté en septembre la requête des opposants aux Portes de Gascogne. Leur avocat n’aurait pas fourni les documents complémentaires annoncés en temps et en heure.
Leur appel n’étant pas suspensif, le ballet des bétonneuses peut donc commencer. « Ils n’oseront pas avant les régionales, avance Jutta Dumas, membre du collectif. Cela ferait trop de raffut. » Peut-être, mais après ?
A lire sur Bakchich.info :
Cet article, orienté contre le projet des "Portes de Gascogne" parle d’une "autorisation" qui "date de l’époque où Jean-Luc MOUDENC (UMP) dirige la Ville rose".
Un tel libellé pourrait laisser croire que c’est moi qui avait accordé l’autorisation permettant à ce projet de voir le jour.
C’est pourquoi je tiens à apporter les précisions suivantes :
1°) Ce projet ne se situe ni sur le territoire de la Commune de Toulouse, ni sur celui de la Communauté du Grand Toulouse.
2°) Ce projet est implanté sur la Commune de Plaisance du Touch, sur le territoire de la Communauté de Communes "la Save au Touch", ces deux collectivités étant depuis le début les porteurs politiques, légitimes, du projet.
3°) Les autorisations d’urbanisme alors instruites ne dépendaient donc en rien de ma volonté quand j’étais Maire de Toulouse.
4°) La Ville de Toulouse ne disposait que d’une voix au sein de la Commission Départementale d’Equipement Commercial (CDEC) et n’a pu orienter, par son vote favorable, une majorité de votants au sein de la CDEC.
Jean-Luc MOUDENC
Maire de Toulouse
de 2004 à 2008
Monsieur Moudenc,
En tant que maire de Toulouse vous ne représentiez certes qu’une seule voix. Mais faut-il rappeler que c’était une voix sur six. Son poids était donc tout à fait décisif.
J’aimerais également vous rappeler qu’à la veille de la réunion de la CDEC, seules trois voix favorables étaient acquises sur les six (voir les articles dans la presse des 17 et 18 novembre 2005). La commission, d’abord réunie le 18 novembre a finalement été reportée au 30 novembre, date à laquelle cette fois, cinq des six membres était devenus favorables au projet. Celui-ci a donc été adopté car il fallait 4 voix. Il est vrai qu’entre temps, le promoteur avait promis 400.000 euros pour les commerçants du centre ville.
Pour conclure, oui, monsieur Moudenc, votre décision a été déterminante dans l’autorisation donnée au projet. Les habitants de l’Ouest Toulousain subissent aujourd’hui les conséquences de votre choix et le subiront encore plus dans les années à venir.
Pascal Barbier