Le sénateur de l’Essonne, Jean-Luc Mélenchon, encarté au PS pendant 30 ans, lance officiellement son Parti de Gauche ce week-end. Prélude, pour lui, à la formation d’un front pour les européennes.
Pour Mélenchon, quitter le PS a ressemblé à un divorce. Un changement de vie à 57 ans, sans renier la précédente. Pas question alors de déchirer sa carte du parti, prise en 1977. Mais pas question non plus de la reprendre, ulcéré par la montée en puissance de Ségolène Royal au soir du vote des motions. Lui qui avait décidé de soutenir le texte de Benoît Hamon a préféré s’en aller.
« Il avait la conviction qu’il ne pouvait plus rester au PS », raconte son ami et éditeur Jean-Claude Gawsewitch, « et que c’était nier ce qu’il pensait. Il préférait se mettre en danger ». Avec le député Marc Dolez, « Méluche » a donc lancé le Parti de Gauche. La première partie du congrès fondateur a lieu ce week-end, pour régler les affaires courantes, élire le bureau national, décider d’une stratégie pour les européennes. La seconde aura lieu en octobre et portera sur le programme. Un démarrage en deux temps…
« Au départ, on a surévalué nos forces », se défend Mélenchon. Avant d’insister sur le succès de l’opération. « On pense obtenir 4 000 militants. Et ce sont des vraies personnes contrairement à d’autres partis », lançait-il le 20 janvier devant la presse. « Et si on y arrive pas, il n’y a pas de honte après deux mois d’existence. Nous n’avons pas chômé. » Aujourd’hui, le PG avoisinerait plutôt les 2 500 militants. Selon Mélenchon ou l’AFP ?
Depuis son opposition en 2005 au projet de Constitution européenne et du « oui » porté par le PS, l’idée a germé de constituer un nouveau parti, à la gauche de l’échiquier. Comme l’a fait l’ex-ministre social-démocrate Oskar Lafontaine en Allemagne, avec « Die Linke », qui grignote des voix au SPD. « Nous sommes prêts à refaire la même chose qu’en 2005 », raille Mélenchon confiant pour les européennes. Façon de dire son opposition au Traité de Lisbonne et à la sociale-démocratie qui, à son goût, teinte un peu trop le projet du PS.
Un premier sondage Ifop, commandé par le Parti de gauche et paru cette semaine, lui donne plutôt raison. Et accrédite de 14,5% des voix l’alliage politique assemblant toutes les forces du non de gauche au référendum de 2005 - NPA, PG, Lutte Ouvrière, Alternatifs - qui la mettrait en troisième position derrière l’UMP (25,5%) et le PS (22,5%), devant François Bayrou (14%) et Daniel Cohn-Bendit (7%). Pourtant, à l’heure actuelle, seul le PCF a manifesté son envie de travailler avec le jeune parti de Mélenchon. Olivier Besancenot, qui lance le NPA la semaine prochaine, a pour l’instant mis de côté cette proposition. De quoi annoncer une vive compétition à gauche pour les prochaines élections européennes.
Après avoir fait - sans succès - les yeux doux au célèbre facteur de Neuilly-sur-Seine et revigoré par ce sondage, Mélenchon passe la seconde. En mettant un petit coup de pression : « Ce scrutin est très important pour changer la donne de la gauche en France. Nous sommes le parti du front de gauche et de rupture avec la politique libérale. On peut passer devant la gauche et la droite. mais on n’est pas l’extrême gauche, on est un parti de gouvernement ». Le PG, entre le NPA et le PS… Pour beaucoup de ses sympathisants en tout cas, le parti de gauche aurait le mérite d’exister et d’offrir une offre politique alternative aux déçus de la rue Solferino. Même si pour l’instant, les socialo n’ont pas l’air de trembler.
Fils d’une institutrice et d’un télégraphiste pied-noir, né au Maroc, élevé en Normandie et dans le Jura, Mélenchon a commencé sa carrière politique très jeune. A 20 ans, il est membre de l’Organisation Communiste Internationaliste (OCI), cette organisation trotskiste tendance lambertiste. Il vient d’ailleurs du même courant que Lionel Jospin. Et comme le veut la tradition, chacun a son pseudo. Pour « Méluche », c’est « Santerre », en référence au chef de la garde nationale qui devait lire le 21 janvier 1793 la sentence de mort de Louis XVI. De l’art de manier les mots… Mélenchon, titulaire d’une maîtrise de philo, est aux yeux de ses anciens camarades un passionné de débats, doué d’un art aigu de l’argumentation…
Passé un moment par le journalisme, Mélenchon est remarqué par Claude Germon, alors maire de Massy dans l’Essonne et un des hommes fort du PS. Il devient son « dir-cab » à la Mairie, puis conseiller municipal en 1983, maire adjoint à la jeunesse et sénateur en 1986. C’est dans ce même département de l’Essonne que Julien Dray va faire carrière. Les deux hommes deviennent amis, créent et animent la Gauche socialiste, un courant au sein du PS en 1988. Trois ans plus tard, ils se retrouvent dans leur opposition à la première guerre du Golfe. Mais en 2002, avec la présidentielle, ils font des choix différents. Dray rallie François Hollande, Mélenchon, lui, cofonde le Nouveau Monde avec Henri Emmanuelli. L’Europe vient pourtant chambouler tout ça, en 2005 : la formation explose avec la campagne du non. Retour à la case départ.
« Pendant toute la partie mitterrandienne », raconte Marie-Noëlle Lienemann, député européenne socialiste et amie de l’intéressé, « Mélenchon a toujours considéré qu’il avait des relations privilégiées avec le Président. Il avait l’impression d’avoir une place dans le dispositif, à la gauche du PS. Le mécanisme s’est poursuivi pendant un temps sous Jospin » qui le fait ministre de l’Enseignement professionnel. Fin des années 1990, le sénateur de l’Essonne a le sentiment de ne plus être reconnu à sa juste valeur par son parti. L’homme devient ronchon et râleur.
En avril 1998, Mélenchon reçoit un blâme du PS pour avoir voté contre le passage à l’euro. Sept ans plus tard, en 2005, ses camarades ne s’étonnent pas quand il anime la campagne du « non » au projet de Constitution européenne. On lui prête d’ailleurs d’avoir intenté le slogan : « Pour moi, c’est non ! » Lui, aujourd’hui, ne rêve que d’une chose : recréer ce front de gauche et peser sur le PS.
À six mois des élections européennes. Mélenchon pourrait d’ailleurs être candidat au nom du Parti de gauche. « Son projet me paraît décalé », insiste pourtant Marie-Noëlle Lienemann. « Sur le fond idéologique, il y a plein de convergences entre nous. Sur le choix stratégique, je suis dubitative. Pourquoi partir au moment où du fait de la crise le basculement du PS sur une ligne de gauche devient possible ? » D’autant plus que Mélenchon, signataire de la motion Hamon, aurait pu, qui sait, récupérer un poste au sein de la direction.
Réponse de l’intéressé, dans une interview au Figaro du 29 janvier : « Les dirigeants du PS ont gauchi leurs discours. Mais il suffit de regarder le contenu de leur plan de relance pour s’apercevoir qu’on reste dans un programme classique de centre gauche. La nécessité de la rupture avec cette impuissance reste donc entière ». Le Parti de gauche a déjà décidé de tenir plusieurs meetings communs avec le PCF. Marie-Gorge Buffet est annoncée ce week-end, à la tribune, pour prononcer un discours. La sauce prend. Pour le moment. « Méluche », lui, a la pêche…
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Lienemann me semble sacrément optimiste si elle pense que le PS peut encore virer à gauche (à moins qu’elle ne justifie comme elle peut le fait de ne pas avoir le courage de quitter le PS, tant la soupe y est bonne).
Cette perspective d’un front de gauche redonne un peu d’espoir. Parce que je n’en reviens toujours pas de la façon dont la victoire de 2005 a été transformée en échec. Et parce qu’on a un besoin fou d’une vraie gauche, unie. Alors tous mes voeux de succès à Mélenchon et à ses amis.
Il est certain que si le PS ne gauchit pas plus sérieusement son programme, la caution d’Hamon ne sera pas suffisante.
Et Mélenchon, qui est un bon tribun, pourrait alors tirer les marrons du feu, et réserver quelques surprises.
Il est certain que, pour les européennes, il faudra envoyer des députés "à gauche" pour nous sortir du libéralisme actuel et nous débarrasser de Barrosso le néocon de service.