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"La haine de l’Occident" est une histoire de désamour

PERLE / vendredi 21 novembre 2008 par Jacques-Marie Bourget
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« La Haine de l’Occident », du Genevois Jean Ziegler, est un chef d’oeuvre. On peut être humain dans la cité de Calvin.

Ils sont fatigants ces gens qui vous mettent sous le nez toute la misère du monde. Surtout que dans la misère, nous y sommes aussi, ou bientôt. Quand on est en train de pester contre une bavette un peu trop dure et que la télé montre un enfant un peu trop maigre, un peu trop noir, on zappe. Ce qu’il y a de bien avec le bouquin de Jean Ziegler c’est qu’on ne peut en effacer le contenu, si vous mettez les yeux dedans, vous êtes foutu, vous allez jusqu’au bout.

Ce livre est révolutionnaire, il dit la vérité

Et vous voilà vous levant la nuit pour acheter des couteaux, des fusils, prêts à casser la gueule de tout ce qui dirige la planète, aux maîtres de monde. Attention quand même, les chasseurs d’ultra gauche étant actuellement en battue, votre guérilla personnelle exige la possession d’un exemplaire du Code pénal, un pyjama pour aller en prison et le téléphone de Vergès. Espérons, pour soulager la tension qui règne en France, que notre MAM va faire interdire le livre de Ziegler, La Haine de l’Occident. Elle aurait raison, ce bouquin est révolutionnaire, il dit la vérité. Sa vérité au « Nord » qui, quatre siècle après l’invention de la traite des noirs, continue son esclavage par un autre moyen : la sauvagerie du capitalisme. Vous allez me dire que je déraille, que j’écris comme Georges Marchais en 1970… Vous avez raison, mais quand l’horreur est géante, les mots sont faibles, rares et petits.

Ziegler, ce révolté qui est l’honneur de la Suisse, l’envers des coffres forts, commence son bouquin par rappeler, comme le dirait Sarkochner, « le devoir de mémoire ». Dès le premier round, le sociologue de Genève nous balance du Sartre dans la gueule : «  Pour aimer les hommes il faut détester fortement ce qui les opprime ». Avions-nous mérité cela, une leçon de ce génie qui ne s’est jamais rendu compte, de 1939 à 44, que l’Allemagne occupait la France ? Passons. En matière d’amour et connaissance de l’humanité, Ziegler vaut mieux que Sartre, et même que BHL ce qui est dire beaucoup.

On tue Ben Barka, qui travaille à l’ONU des oubliés

La mémoire et son devoir (je déteste ces mots collés qui sentent le Marek Halter) commence aux Croisades. Pour notre professeur, c’est alors que ce monde qui n’est pas encore baptisé Sud, prend la haine de l’Occident. Et le dossier ne s’arrange pas. Traite des noirs, colonisation, massacres de l’indigène qualifié « d’animal », pillage des ressources. On a l’impression de savoir tout cela mais la force du rappel est dans le détail. Celui-ci : pour détruire l’industrie textile en Inde qu’elle occupe, le Royaume Uni coupe les doigts des tisserands. Plus facile ensuite de vendre du drap d’Edimbourg ou de Glasgow. Et les tentatives de révolte de tous ces gueux sont vaines, éradiquées, même l’organisation des pays opprimés, par exemple la Tricontinentale, est impossible, on va tuer Ben Barka alors qu’il travaillait à cette ONU des oubliés.

Ziegler nous rappelle la théorie de Maurice Halbwachs, disciple de Durkheim et spécialiste de la « mémoire collective » mort à Buchenwald : après l’horreur d’un choc la société évacue l’évènement au plus profond d’elle-même. Ainsi, ce n’est qu’après plus de vingt ans d’oubli que la réalité de l’Holocauste occupera nos consciences. A partir de cette période, les yeux des hommes s’ouvrent enfin sur tous les massacres du monde. Et l’anthropologue Alfred Métraux peut écrire : «  Sans Auschwitz, les européens n’auraient jamais su ce qu’ils avaient fait aux Africains ». L’heure est donc venue de rendre des comptes, ce que Sarkozy et son papa Guaino, auteur du « discours de Dakar » décalé jusqu’à l’injure, n’ont pas compris.

Pour ces garçons, non seulement l’homme blanc n’a pas à dire pardon, mais il doit continuer de nier l’existence de cet autre, très noir, en lui refusant le droit à son histoire : Savorgnan de Brazza règne à l’Elysée. Ici, après la citation de Sartre, Ziegler nous colle un autre mauvais coup en épargnant Kouchner en tant qu’icône de la bienfaisance (pas sûr, donc, que dans les villages birmans on achète beaucoup le bouquin), alors que le bon Bernard est un membre éminent de la clique.

Jean Ziegler - JPG - 15.6 ko
Jean Ziegler
© Kerleroux

Pour cette faiblesse, absolvons Ziegler, mais qu’il ne recommence pas ou il va finir dans les cellules de rétention, dans la prison après la prison, celle de Rachida.

Bien mieux qu’Orsenna, ce pilleur de Gracq qui a été le Guaino de Tonton, Ziegler nous raconte le drame du coton. Les 250 000 tonnes du Bénin qui sont tombées à 20 000 puisque Bush, quand il donne 5 milliards de dollars de subvention à 6 000 paysans US, permet à ces derniers de mettre sur le marché une fibre qui est moins chère que celle produite à la main et dans la douleur sous le ciel d’Afrique (à fric).

Vous me direz, mais tous ces noirs pleurnichards, qu’ils se plaignent à Lamy, le patron de l’OMC, puisque le dumping est interdit ! Ziegler, bon greffier, est là pour nous servir la réponse du socialiste français : « L’OMC n’est pas une agence de développement ». Non, avec la Banque Mondiale, le FMI, tenu par Strauss-Kahn, et l’OMC sont des outils inventés pour faciliter le pillage du Nord sur le Sud. Ainsi sur 1000 accords de financement en Afrique, deux pour cent seulement touchent une compagnie vraiment autochtone. Le reste ? C’est le Nord qui donne de l’argent à un équivalent Bolloré.

L’Afrique est un casino où le dominant gagne à toutes ses mises

Les miracles d’Inde et de Chine ? Le premier compte toujours 382 millions d’affamés. L’argent va d’abord aux riches comme Mittal. L’Inde est un porte-avion du business de l’informatique qui permet de fermer des usines et des bureaux en Europe. Là comme en Chine la prospérité reste le privilège d’une poignée, ces « nouveaux milliardaires » que l’on nous montre dans les magazines. En Inde, le suicide du paysan ruiné qui s’isole dans une cabane pour se tuer en buvant le pesticide qui a stérilisé sa terre est un nouveau rite, un « habitus ». En Chine, le New York Time nous dit qu’en une année les ouvriers d’une même région ont perdu 40 000 doigts dans des accidents du travail. Une chance, s’ils n’ont plus de doigts ils n’ont pas la tentation de s’acheter des bagues place Vendôme.

Ziegler est très remonté contre le Nigeria. Il le décrit comme une survivance de la Rhodésie, un pays qui était la propriété de compagnies minières exerçant ici tous les pouvoirs d’un état. Depuis 40 ans les généraux dictateurs (avez vous remarqué que l’on ne dit pas «  les généreux dictateurs » ?), qui se succèdent à la tête du pays, ont empoché 352 milliards de dollars, un joli Livret A ! Huitième pays producteur de pétrole, le Nigeria ne peut nourrir son peuple dont 70% vit dans une « extrême pauvreté »…

Plus fort que John Le Carré

Encore heureux que la gentille Banque Mondiale accorde 2 milliards de dollars l’an à ces gentils dictateurs. Ainsi, la Shell et les autres, Shadoks irrésolus, peuvent pomper en paix, la révolte est rare. Si elle monte on lui coupe la tête. Je vous assure que Ziegler, c’est plus fort que Le Carré dans sa «  Constance du Jardinier ». Pas emmerdant du tout de se faire une provision d’une indignation qui va durer autant que l’avenir. C’est-à-dire longtemps.

La touche optimiste nous vient de Bolivie où « l’animal » Evo Morales, tente de remettre le monde sur ses pattes. Ziegler raconte d’où vient cet indio et où il va. Avec au passage, la mise en avant de ces oustachis, croates nazis, réfugiés dans la région de Santa Cruz en 1944, qui, après avoir aidé le doux président Turjman lors de l’explosion de la Yougoslavie, continuent de vouloir faire la peau à Morales, bien normal puisqu’ils continuent de l’appeler « l’animal ».

On ne ressort pas de la lecture de La haine de l’Occident comme on y est entré. On a une rage de rappeur, plus envie de voter (même pour Kouchner c’est dire l’énorme du désarroi). Mais je garde une dent, de sagesse, contre Ziegler : il a écrit le bouquin que tout humain rêve d’écrire, pour peu qu’il ait un Bic.

« La Haine de l’Occident » par Jean Ziegler. Editions Albin Michel, 20 euros, et ça les vaut, on peut abattre des forêts pour imprimer ce livre qui ne nous déprime pas.

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9 MESSAGES

Forum

  • "le grand écart de Kouchner
    le dimanche 23 novembre 2008 à 19:53, Davidlemac a dit :
    Estce qu’on sait pourquoi Ziegler épargne Kouchner ?depuis qu’il a absout Total en Birmanie il est manifeste que le fonctionnement de Kouchner est curieux : un prodigieux grand écart qui l’a mené depuis le PS à être le ministre des affaires étrangéres de sarkozy. Fabuleux itinéraire sauf si on a des infos qui expliquent cela
  • "La haine de l’Occident" est une histoire de désamour
    le vendredi 21 novembre 2008 à 10:52

    Erreur de méthode : on ne fait pas l’éloge d’un livre en disant du mal de vingt personnes (de Marek Halter à Savorgnan de Brazza alias Guaino, en passant, bien sûr, como no ?, par BHL …),et ce par des approximations qui témoignent d’une certaine igorance (par exemple, sur Sartre, qui fit dès l’été 40 le tour de la France en vélo pour monter un maquis des intellectuels tandis que le "résistant" Malraux mangeait des langoustes dans la villa de sa femme collabo,à Villefrance-Cap-Martin,et que le "pur" Camus, la belle Triolet, le sage Aragon publiaient, eux aussi, articles et bouquins qu’on ne leur a jamais reproché - ou encore les ambitions politiques de Ben Barka, bien plus banales que celles qui lui sont prêtées, faut pas charrier…).Bref, la guilottine tombe vingt fois, c’est lourd !

    On reconnaît là le fonds de jugements "vertueux" des talibans de la mauvaise conscience ! Ce name dropping, c’est, hélas, le style BHL, vous voyez qu’il fait école, le bougre ?

    Sur le fond, disons que la mauvaise conscience se vend mieux que la bonne. Quoique … Les "anti-impérialistes" à la Ziegler ont mis quinze ans à reconnaître que les Khmers Rouges étaient des barbares, et ils ont vite oublié les manifs à la MUTU pour les soutenir ! A quand un livre de Ziegler sur les esclavagistes noirs d’hier et d’aujourd’hui (il y en a, et même au Nigéria…) ? Sur les tutsis massacreurs en RDC ? sur les massacres de la "guerre de la chariah" au Libéria ? Elargissons un peu le champ des coupables : l’Occident n’est pas forcément le pire.

    • "La haine de l’Occident" est une histoire de désamour
      le vendredi 21 novembre 2008 à 13:40, Jacques-Marie Bourget a dit :

      Faisant le tour de France à vélo… Mais faisant jouer "Les Mouches" devant des rangées de SS qui, à la censure, ont approuvé son texte. Ces cons là n’ont pas vu que "Les Mouches" est une pièce résistante. Ah ! Si on ne peut même pas faire confiance à des nazis…

      JM BOURGET

      • "La haine de l’Occident" est une histoire de désamour
        le samedi 22 novembre 2008 à 20:25

        En 1941, Camus - journaliste à France Soir, que la censure allemande épluche chaque jour …- fait jouer Le Malentendu et Caligula ; en 1942, toujours sous la même censure que celle qui a toléré Les Mouches(pendant huit représentations, avant de l’interdire), il publie L’Etranger et Le Mythe de Sisyphe… Quant à Elsa Triolet et Aragon, ils publient chez Denoël, qui est la maison d’édition officielle de la propagande allemande !

        La participation de Malraux à la guerre d’Espagne, c’est six mois : après, il part à New York faire des conférences, puis revient en Espagne en 1938 tourner un film. Ca ne vous rappelle pas un"imposteur" contemporain ?

        Quant à Sartre, il est justement allé voir Malraux pour qu’il s’engage dans la Résistance,et de même, Lacan, Gide et d’autres l’ont "secoué". Non content de ne rien faire Malraux est allé ensuite vivre en Corrèze(zone occupée !) chez le père de Josette Clotis, collabo officiel. Il n’a rien fait pour aider sa première épouse Clara Goldschmidt, juive, qui l’avait tiré de ses escroqueries en "Indochine". Citation de la banale Wikipédia (pour ne pas perdre du temps à ces conneries) : "Évadé d’un camp de prisonniers, avec l’aide de son demi-frère Roland, il adopte une attitude attentiste avant d’entrer tardivement en résistance, en mars 1944, après l’arrestation en Dordogne de ses deux frères. Il dit alors être le chef de la région militaire FFI de la région qui s’étend du Limousin au Lot-et-Garonne, un rôle joué indiscutablement à cette époque par un autre".

        Vous en voulez d’autres ? Lisez seulement le Robert des noms propres. C’est le minimum journalistiquement reconnu.Tout cela est vérifiable deux fois, dix fois, cent fois.La critique littéraire, elle aussi, a sa déontologie.

        Donc, pas la peine de balancer des erreurs (ressassées, il est vrai, par l’intelligentsia de droite depuis cinquante ans) pour faire joli. J’espère vous avoir, cependant, apporté quelques informations, pour la prochaine fois…

        • "La haine de l’Occident" est une histoire de désamour
          le dimanche 23 novembre 2008 à 11:35, JM Bourget a dit :

          Je vous parle de Sartre et vous me répondez, d’Aragon… C’est le vieux principe de la justification par comparaison. Je maintiens que Sartre, fondateur de la "Nouvelle Résistance Populaire", a eu le grand oubli de ne pas avoir fait la vraie. Préférant dire "je suis un écrivain qui résiste et non un résistant qui écrit"…Pourquoi ne me parlez vous pas de Jean Prévost, d’Eluard, Desnos, Marc Bloch, Paulhan, du Char des Cahiers d’Hypnos, Vercors plutôt, que de Malraux ? C’est vrai que dans une vitrine du monde, actuel, où le Mitterrand de Vichy et de la Francisque, ami de Jeantet et de Bousquet, jusqu’à la mort, Sartre peut passer pour résistant. D’ailleurs on a naguère retrouvé une fanzine clandestine dans laquelle un érudit a reconnu quelques lignes de Sartre… Dommage qu’il ait été oublié dans l’Ordre de la Libération. La Résistance était une armée de l’ombre avec rôle désigné, organigramme, ordres et contre-ordres, petits chefs et grands chefs, action, risques et jamais une conversation devant un verre au Flore. Je veux dire que quand, comme Sartre, on veut enseigner la liberté et la révolte, on commence par participer vraiment aux travaux pratiques que l’on a sous les yeux. Dans le genre, je lis plutôt Primo Levi.

          JMB

    • "La haine de l’Occident" est une histoire de désamour
      le vendredi 21 novembre 2008 à 14:15, Gracchus a dit :
      Dites intello sans nom, il ne faut pas acheter qu’un livre d’histoire mais toute la collection : Malraux, en Espagne, s’est cogné avec les Allemands, soutien de Franco, alors que Sartre ne savait même pas que l’on pouvait mourir à Madrid…
    • "La haine de l’Occident" est une histoire de désamour
      le vendredi 21 novembre 2008 à 17:27, Gueno a dit :
      "Elargissons un peu le champ des coupables : l’Occident n’est pas forcément le pire" Mais bien souvent celui a qui profite le crime,malgré tout. La situation du Congo ou du Darfour en sont des exemples criants : dans l’une les sociétés minières,dans l’autre les sociétés pétrolieres.
    • "La haine de l’Occident" est une histoire de désamour
      le dimanche 7 décembre 2008 à 14:36, dravot a dit :
      "poliment" et "sans gros mots" ? à ce commentaire ? Impossible.
    • "La haine de l’Occident" est une histoire de désamour
      le lundi 15 décembre 2008 à 16:18

      Trop nul ton comm’ !! Les "Occidentaux" représentent 13% de la population mondiale, et domine (encore) le vaste monde. On est en droit de se poser des questions (à moins que tu ne sois persuadé de la superiorité de "la race blanche"). Et pas la peine de pointer les massacres ici ou là… Regarde plutôt la dignité des peuples du sud :

      http://www.dailymotion.com/relevance/search/sankara/video/x17idb_discours-de-thomas-sankara-a-addis_politics

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