Une enquête judiciaire belge révèle des centaines d’importations de diamants bruts, portant sur des centaines de millions d’euros, dans les Ports Francs de Genève.
En septembre 2005, un juge d’instruction d’Anvers, en Belgique, adresse à la Suisse une demande d’entraide judiciaire. Il soupçonne deux sociétés basées à Genève d’être impliquées dans un trafic de diamants bruts permettant de fiancer des conflits armés en Afrique.
Le trafic ne porte pas sur quelques petites pierres. Le document, que Bakchich a pu se procurer, évoque « 561 importations de diamants bruts, d’une valeur de plus de 370 millions d’euros », entre le 1er janvier 2003 et le 31 octobre 2004. De plus, « des diamants taillés et des bijoux seraient importés en Belgique depuis Genève et apparemment destiné à l’île Maurice, après un retour à Genève ; ces opérations ne paraîtraient pas commercialement justifiées ».
Pourquoi cette affaire ressurgit-elle maintenant ? L’enquête n’est pas terminée. Alors que le juge genevois Jean-Bernard Schmid avait accordé l’entraide, l’avocat Marc Bonnant, défenseur de deux sociétés mises en cause dans ce trafic, s’est opposé à la transmission de documents à la justice belge. Et il a obtenu gain de cause auprès du Tribunal pénal fédéral (TPF), la plus haute instance judiciaire de Suisse, le 14 juillet dernier.
Toutefois, dans l’arrêt du TPF, on découvre que les lots de diamants bruts ne restaient que très peu de temps dans les Ports Francs de Genève. « Ils étaient rapidement réexpédiés à destination d’Anvers avec une augmentation de valeur que rien ne justifiait ». Pour rappel, Anvers est le premier pôle mondial dans le négoce des diamants.
« Cette augmentation est en moyenne de 350% ! A priori, cela n’a pas énormément de sens », constate Jean-Bernard Schmid. Et le magistrat de minimiser le veto du TPF. « Celui-ci ne porte que sur un complément d’information. En revanche, l’entraide judiciaire a été accordée sur l’essentiel de ce dossier qui remonte à de nombreuses années ».
La principale question réside dans l’attractivité des Ports Francs et Entrepôts de Genève. Pourquoi des milliers de gemmes venus du Congo, de Botswana ou d’Afrique du Sud suivent-ils un périple compliqué et stationnent-ils dans des coffres à Genève ? Car contrairement à Anvers ou à Mumbay (Inde), la Cité de Calvin ne possède pas un savoir-faire dans le taillage et le polissage des pierres précieuses.
Pour certains, les Ports Francs seraient une zone de non-droit où des sociétés immatriculées au Costa Rica ou aux îles Vierges mélangeraient en toute impunité des lots “normaux“ de pierres avec des « diamants du sang », venus de régions contrôlées par des mouvements rebelles.
Une accusation qui fait bondir le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) à Berne : la Suisse n’a-t-elle pas participé au lancement en 2002 d’un système international de certification contre les diamants de conflits ? Un système imaginé à Interlaken et baptisé « Processus de Kimberley ».
« La Suisse a introduit l’obligation de déclarer et de répertorier les diamants bruts arrivant/quittant les ports francs dès 2001, pour faire suite aux critiques soulevées à l’époque par l’ONU », assure Fabienne Juilland, collaboratrice scientifique au SECO, responsable du processus de Kimberley.
« Pourquoi prendrait-on le risque de mélanger les gemmes à Genève ? Il serait beaucoup plus facile d’opérer en Afrique où il est très difficile d’exercer des contrôles efficaces le long de certaines frontières », souligne de son côté Franck Notari, directeur du laboratoire GemTechLab, installée aux Ports Francs de Genève.
Loubna Freih, membre du comité exécutif de Human Rights Watch Genève, se montre nettement plus sceptique. Dans une tribune dans la presse suisse, elle demandait en mars dernier à la Suisse « d’unir ses forces avec l’industrie joaillière des quatre coins de la planète pour mettre fin au commerce des diamants du Zimbabwe ».
En raison des faiblesses du processus de Kimberley, les gemmes du Zimbabwe sont exportés illégalement et se retrouvent dans les vitrines des grands joailliers du monde entier. « Officiellement la Suisse n’importe plus de diamants du Zimbabwe depuis 2006. Mais je crois savoir qu’il en arrive toujours », ajoute Loubna Freih.
Au niveau planétaire, la Suisse reste un acteur moyen dans le business des pierres qui scintillent. En 2008, sur des importations mondiales estimées à 38,7 milliards de dollars, elle arrivait en sixième position avec 1,56 milliard, loin derrière l’Union européenne (Pays-Bas, Grande-Bretagne), l’Inde, Israël, la Chine et les Emirats arabes unis (Dubaï).
Une petite poussée de timidité de la part de Bakchich ?
L’affaire a été décrite par le menu, avec les noms des sociétés coupables et des banques qui les ont aidé, dans le bouquin "Société Générale : Secrets Bancaires", un peu dans l’actualité (cf. chapitre 32 : ’Megafraude chez Omega’ page 223)