La fédé internationale de foot continue à militer pour restreindre le nombre de joueurs étrangers dans les championnats nationaux. Le fameux projet "6+5". Seul souci, le droit européen tique…
C’est peu dire qu’à la tête de l’UEFA, on s’est réjoui mercredi soir dernier de la victoire du FC Barcelone dans sa compétition reine de la Champion’s League. Les détracteurs d’un foot business à gros budget prétendument sans saveur et sans identité, façon Premier League anglaise ont donc repris du poil de la bête. Le triomphe de l’intelligence tactique à la catalane servie par les virtuoses blau i grana nous a presque fait oublier la guerre sans merci que se livrent en coulisse, partisans et adversaires de la règle dite du « 6+5 ». Une règle que la FIFA a la ferme intention de voir mise en œuvre en 2012, et qu’à tort ou à raison, le foot professionnel british prend pour une attaque personnelle.
Pas besoin d’être titulaire du Ballon d’or pour comprendre où veulent en venir Sepp Blatter et ses compères de Zurich avec une telle mesure : contraindre les clubs professionnels à débuter tout match de championnat avec au moins 6 joueurs titulaires susceptibles d’être sélectionnés dans l’équipe nationale du pays dans lequel officie le club, n’a d’autre but que de limiter le nombre de joueurs étrangers embauchés dans chaque championnat considéré.
Aux dires de ses adeptes, la mesure est destinée à protéger les systèmes de formation des joueurs des pays où ces systèmes existent, et à rétablir l’équité sportive. D’abord au sein de chacun des championnats, entre d’une part les clubs de haut de tableau à gros budget et les clubs plus modestes ; ensuite dans le cadre des compétitions internationales et notamment, la Champion’s League européenne et ses équivalents dans les autres confédérations membres de la FIFA. Admettons…
Pour justifier une telle mesure, la FIFA s’appuie sur un rapport qu’elle a commandé à une « boite à idées » l’Institut Pour les Affaires Européennes, basé à Düsseldorf qui a pondu un rapport de près de 200 pages sur la question
Les sages de l’INEA ont d’abord cru utile de préciser que l’acceptation de la mission, dirigée par le professeur Dimitris Th. Tsatsos, avait été subordonnée à quelques conditions de forme et de fond (« le résultat de l’expertise n’est en aucune manière prédéfini ( !) La commanditaire, La FIFA, n’est pas en droit de donner des consignes »). Ouf… Après avoir donné ces gages de leur indépendance d’esprit, les experts se son attelés à développer leur thèse selon laquelle la règle du « 6+5 » ne violerait pas le droit communautaire.
La « spécificité sportive » et l’autonomie réglementaire qui en découle sont reconnues par le droit communautaire rappelle le professeur Jurgen Gramke signataire du rapport et président de l’INEA. Or, la règle du « 6+5 » a pour but principal de garantir l’équité dans les compétitions ; elle n’interférerait donc pas avec la liberté de circulation garanti par le droit communautaire, en ce qu’elle ne représente qu’une règle sportive supplémentaire, édictée dans l’intérêt général du sport et de la fonction sociale qu’il exerce. Pour les experts de Düsseldorf, une telle règle va très au delà de la conception purement économique ou marchande du foot-business, régie elle, par les textes relatifs aux droits fondamentaux et aux règles de droit de la concurrence.
Passée la présentation un brin angélique de l’affaire, on sent parfois comme une hésitation dans les propos des experts de l’INEA ; leur rapport concède d’ailleurs que « …la règle 6+5 représente, à la rigueur, une discrimination indirecte, voire dissimulée au sens de l’article 39 CE… » . Une concession qu’ils écartent cependant d’un trait de plume en s’appuyant sur un dernier argument encore plus contestable, à savoir que « la règle 6+5 est également ‘proportionnée’ étant donné que la limitation de mise en jeu qui serait réalisée pour les joueurs non sélectionnables en équipes nationales, serait très faible et ne représenterait que de très petits inconvénients économiques pour les clubs sportifs… ».
Une affirmation sans preuve qui passe par profits et pertes, 2 constats incontournables.
Primo, que, la performance économique de l’entreprise de spectacle sportif est corrélée avec ses résultats sur la pelouse ; secondo, comme l’illustre parfaitement la situation du championnat de France de L1, que ce sont bel et bien les transferts, c’est à dire le négoce de joueurs devenu une activité économique à part entière, qui sauve la L1 du naufrage économique. Face à ce constat, l’argument de la « proportionnalité » de la mesure ne tient plus…
Jan Figel, le Commissaire européen en charge de la culture et, par une bizarrerie bruxelloise, la plus haute autorité en matière de sport, a décidé de faire procéder à une étude approfondie du rapport de l’INEA. Avant même de connaître les conclusions de ses services, il a singulièrement refroidi les ambitions de la FIFA.
Dans une interview accordé le 3 Avril au blog « EPL TALK » , sans doute le 1er blog mondial consacré à la Premier League anglaise, il s’est lâché sans langue de bois : « un système de quota basé sur la nationalité serait tout simplement illégal en droit européen actuel.. » ou encore, un peu plus loin sur le même thème : « …l’idée principale derrière le rapport est que la règle 6+5, dans la mesure ou elle n’est pas basée sur la nationalité mais sur l’éligibilité à concourir pour une équipe nationale, ne violerait pas la loi européenne. L’opinion de la Commission est inchangée : même reformulée, la règle 6+5 implique toujours un quota basé sur la nationalité puisque seuls des nationaux peuvent jouer pour des équipes nationales.. ». Figel administre enfin son coup de grâce lorsqu’il rappelle que « …la spécificité du sport ne peut être invoquée pour justifier une exonération totale par rapport au droit communautaire, ce que la règle 6+5 vise à obtenir… ».
Au cours du même entretien, le Commissaire européen lâche tout de même une confidence : en mai 2008 la Commission Européenne a étudié la proposition de l’UEFA désignée sous le nom de « Home Grown Player Rule » (« Règle des joueurs élevés-maison ») : une idée alternative selon laquelle, dans le groupe « A » de 25 joueurs de chaque sélection nationale, 8 d’entre eux devraient, entre 15 ans et 21 ans, avoir été formés pendant au moins 3 ans dans un centre de formation relevant de la compétence de la fédération nationale concernée. Etrangement, la Commission aurait conclu qu’une telle disposition ne constituerait pas une discrimination directe et semble compatible avec le droit européen. Il a revissé le couvercle sur le cercueil de la proposition « 6+5 » en concluant que « si la FIFA veut imposer la règle 6+5 au sein de l’Union, n’importe quel club professionnel ou n’importe quel joueur affirmant être traité de manière inéquitable du fait de la règle, pourrait exercer un recours devant les tribunaux » et, a-t-il ajouté, « ils gagneraient à coup sûr ».
S’y ajoutent 2 arguments de circonstance : le premier c’est que la mesure « 6+5 » vise d’évidence, en priorité le football professionnel anglais, dont la Premier League emploie la plus forte proportion de joueurs étrangers (65,1% d ‘après le rapport de l’INEA). Des grands championnats européens, c’est l’Espagne (35,2% d’après la même source) qui en emploie la plus faible proportion…et qui, pour autant, rafle le trophée suprême de la Champion’s League grâce au Barca ! Mieux encore, l’Ukraine qui n’emploie que 32,1% de joueurs étrangers, a vu son club du Shakhtar Donetsk s’adjuger la coupe de l’UEFA il y a quelques jours ; alors, fausse solution l’équation 6+5 ? Le second argument tient à une simple observation ; rarement en retard pour promouvoir les idées novatrices, le foot-business à la française est demeuré d’une exquise sobriété sur la règle controversée. Une discrétion qui intrigue. En particulier à la lecture d’un petit couplet indigné d’un rare réalisme, chanté à pleins poumons par Jacques Thebault, membre éminent de la grande famille de la FFF, et dont on retrouve les « lyrics » en clôture du procès verbal de son Conseil Fédéral du 20 mars 2009 : « Jacques Thebault regrette que les dirigeants des clubs osent encore évoquer les charges fiscales et sociales pesant sur les clubs et les joueurs pour excuser les résultats décevants au niveau international. Dans le contexte de la crise actuelle qui menace des dizaines de milliers d’emplois, ce discours est inaudible, moralement injustifiable et nuisible à l’image du football. D’autres arguments méritent d’être pris en compte »….Lesquels grand Diable ?
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