Le marché des transferts se rétrécit et étrangle l’économie des clubs, notamment français… Que faut-il craindre, ou espérer, de la crise qui frappe l’Europe du foot ?
C’était parfaitement prévisible, mais les médias spécialisés ont forcément tardé à confirmer l’évidence : ce marché estival des transferts, qui permet de faire de l’actualité avec une foule d’informations plus ou moins vérifiées, est plat comme une interview d’après-match. La tendance, sensible depuis deux à trois ans, s’est accentuée et contrairement à l’an passé, peu de transactions spectaculaires ont masqué le ralentissement général.
Difficile d’imaginer un autre scénario quand le Barça déclare une perte nette de 77 millions d’euros sur 2009/2010, que plusieurs clubs anglais flirtent avec la liquidation pure et simple et que les plus prestigieux d’entre eux sont écrasés par les dettes. Les prix ne baissent pas forcément, mais le nombre de transactions diminue drastiquement [1].
Résultat : les clubs qui ont mal anticipé se retrouvent avec un stock de joueurs trop important, dans une période où ils ont urgemment besoin de réduire leur masse salariale et de réaliser des rentrées de cash pour équilibrer leurs comptes. Et accessoirement de recomposer leur effectif en palliant aux manques. Mais les arrivées sont conditionnées aux départs et c’est toute la machine qui se grippe. Parfois, il ne s’agit même plus de vendre un joueur, mais de se délester de ses feuilles de paie, avec une épidémie de joueurs "laissés libres" ou abandonnés en fin de contrat [2]. Certains acceptent même des baisses de salaire, comme Cris.
Si la tendance se confirmait, on est d’abord tenté de considérer les évolutions positives qu’elle pourrait favoriser : une baisse des salaires, déjà amorcée l’an passé (moyennant une augmentation de la part des primes aux résultats). Même déflation pour le montant moyen des transferts, mais surtout de leur nombre. Soit une plus grande stabilité des effectifs… qui entretient l’espoir de projets sportifs conçus pour plus d’une ou deux saisons et de groupes bénéficiant d’une certaine continuité pour progresser collectivement et présenter un jeu plus mûr, voire plus audacieux. Les meilleurs joueurs, moins enclins à filer à la première offre, participeraient plus durablement à ces projets au sein de leur club. Les effectifs professionnels seraient réduits [3], les jeunes plus volontiers intégrés.
Un peu moins de mercenariat, en quelque sorte, au prix, certes, d’une probable augmentation du nombre de chômeurs. Dans ce scénario, les clubs s’attacheraient enfin à former et acheter les joueurs plus pour leur valeur sportive que pour les bénéfices attendus de leur revente.
Voici pour la version optimiste. Malheureusement, pour le football français, l’assèchement des flux de footballeurs vers les championnats acheteurs comme l’Angleterre est très problématique, le "trading de joueurs" étant devenu un moteur économique crucial pour nos clubs, petits et grands. Le baroud de l’Olympique lyonnais, l’été dernier, était pour le moins périlleux : les 76,5 millions d’euros dépensés ce même été pour Lisandro, Gomis, Bastos et Cissokho ne pouvaient être contrebalancés que par des ventes exceptionnelles… très peu probables. OL Groupe a officialisé un chiffre d’affaires en baisse de 16,6% pour la saison dernière et annoncé un résultat consolidé du groupe "significativement déficitaire"… ainsi que deux prochains exercices de "réduction significative de la masse salariale".
Mais l’OL n’est pas seul concerné… ne serait-ce qu’en raison de son rôle, jusqu’à présent, de gros acheteur sur le marché domestique. La DNCG a estimé que le marché estival pourrait ne générer que 150 millions d’euros de plus-value pour les clubs, loin des 265 millions réalisés il y a deux ans (215 l’an passé) et des 240 millions qui seraient nécessaires à l’équilibre selon Jean-Pierre Louvel, président de l’Union des clubs professionnels de football (UCPF).
La crise économique qui mine l’ensemble du football européen prend la forme en France d’une crise du modèle économique national, devenu excessivement spéculatif, rendant les clubs dépendants "d’une donnée exogène qu’ils ne maîtrisent pas" (Frédéric Bolotny, Le Figaro 19 juillet). Dans son rapport 2008/2009, la DNCG diagnostiquait "une crise dans le modèle français de rentabilité, fondé principalement sur le formation et le négoce de joueurs". Philippe Piat, président de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), a renchérit : "On est arrivé aux limites d’un système pernicieux (…), basé sur de la spéculation. Les clubs prenaient pour hypothèse qu’ils pourraient vendre leurs joueurs avant la fin de leur contrats" (La Croix, 7 août).
Pour le football hexagonal, outre l’aggravation des déficits (plus de 100 millions de pertes cumulées pour les clubs français sur le dernier exercice, le deuxième de suite dans le rouge – 33,5 millions en 2008-2009), le risque est désormais que les clubs délaissent la formation, désormais moins lucrative…
À l’échelle du continent, on peut aussi craindre que cette dépression ne fasse qu’aggraver les écarts de richesse entre les clubs du haut du panier et les autres [4]. Certains actionnaires ont en effet conservé leur pouvoir d’achat, à l’instar de Manchester City ou Chelsea [5]. Un journal dominical anglais a calculé que le rapport entre la valeur (en termes de montants des transferts) des onze joueurs alignés par City ou Chelsea au coup d’envoi de la première journée était de 12 fois celle des joueurs de Blackpool ou West Bromwich…
Les espoirs sont tout de même permis : devant des dérives patentes, la "régulation" est redevenue un terme populaire, même en Angleterre, et l’UEFA a commencé la mise en place progressive du "fair-play" financier. Il y a probablement trop de chemin à parcourir pour restaurer la suprématie de la logique sportive sur la logique économique, mais c’est toujours cela de parcouru – au moins dans les esprits.
Avec
Lire ou relire sur Bakchich.info :
[1] "Il n’y a pas d’argent pour recruter. Cela fait des années que ça dure, mais là ça devient hors-catégorie", a récemment déclaré Gervais Martel (Le 10 Sport).
[2] Inversement, de plus en plus de joueurs prennent le risque d’aller au bout de leur contrat pour avoir toute liberté de choisir un club (qui n’aura pas d’indemnité de transfert à payer).
[3] La Premier League, dans le but de préserver sa formation et d’améliorer l’équilibre économique de la compétition, vient de limiter à 25 joueurs les effectifs professionnels, dont 8 formés localement. La mesure entrera en vigueur le 1er septembre.
[4] Même processus pour les joueurs : la baisse encore légère des salaires (-2% en France la saison dernière) risque de concerner les joueurs "moyens", pas les vedettes.
[5] Chelsea a conclu le transfert du Brésilien Ramires contre plus de 20 millions d’euros. Manchester City a acquis Balotelli pour 28 millions d’euros et atteint le total de 100 millions pour son recrutement estival (source lequipe.fr au 13 août).
En tout cas, à l’OM, ils ont encore des liquidités car ils viennent d’acheter Rémy et Gignac pour plusieurs millions d’euros.
Attention, d’ici la fin du mois, il pourrait y avoir des surprises. Pourquoi pas la venue d’Anelka au PSG… ?!