Un joueur brésilien condamné à verser 12 millions d’euros à son club ukrainien, qui vient de remporter la coupe d’Europe…Le foot incarne à merveille la glorieuse incertitude du sport.
C’est raté ; tous les joueurs qui s’apprêtaient à faire un bras d’honneur à leur club au cours du mercato d’été en s’appuyant un peu vite sur « l’arrêt Webster » rendu il y a quelques mois en faveur d’Andy Webster, obscur joueur écossais de Heart of Midlothian, en auront pour leurs frais. Et l’addition peut être salée à en juger par la facture présentée par le TAS (Tribunal Arbitral du Sport) à l’ami Matuzalem lors de sa décision du 19 mai 2009.
Matuzalem, talentueux joueur brésilien tenté par l’aventure ukrainienne, avait signé avec le Shakhtar Donetsk un contrat de travail de cinq ans prenant effet le 1er juillet 2004. Très confiant dans la marge de progression de leur recrue, les ukrainiens avaient assorti la convention d’une « clause libératoire » moyennant le versement de 25 millions d’euros à n’importe quel moment du contrat. Le 2 Juillet 2007, soit au terme de sa période dite de « stabilité », Matuzalem, qui était entre temps devenu capitaine de l’équipe, décida d’imiter son collègue écossais et de résilier unilatéralement son contrat. A ses employeurs ukrainiens un brin fâchés, il proposa de régler le solde de son salaire contractuel à titre d’indemnité de bras d’honneur.
Dès le 19 du même mois, sans doute encouragé par un agent très affamé et persuasif, il s’engageait en faveur du Real Zaragoza. Lequel, un an plus tard quasiment jour pour jour, décidait de le prêter avec option d’achat à la Lazio de Rome pour la saison 2008-2009.
Dès le 25 juillet 2007, le Shakhtar avait porté le différend devant la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA en demandant que lui soit attribué par l’instance zurichoise à titre de dommages et intérêts, le montant de sa clause libératoire « contractuelle » de 25 millions d’euros. Le 2 novembre 2007, les consigliori de « Sepp le Couillu Blatter » attribuaient pour solde de tout compte 6,8 millions d’euros d’indemnité au club ukrainien, qui décida évidemment de faire appel de la décision devant le TAS.
Les juristes de l’auguste cour arbitrale de Lausanne, au rang desquels on relève à nouveau la présence de notre Jean-Jacques Bertrand national, ne l’ont pas entendu de cette oreille. Ils ont surtout relevé que la rupture du contrat de travail par le joueur, même à l’issue de la période de stabilité de trois ans, demeure une violation de ses obligations contractuelles dès lors qu’elle intervient « SANS JUSTE MOTIF ». Bertrand et ses confrères n’ont pas manqué de souligner que Matuzalem avait lâché ses partenaires quelques semaines avant l’ouverture des phases éliminatoires de la Coupe de l’UEFA et alors même qu’il était devenu le capitaine et un élément essentiel de l’équipe du Shakhtar.
Dans ces condition, les juges ont décidé que la recherche du montant de la réparation du préjudice causé au club devait être guidé par le principe de « l’intérêt positif ». Un concept familier des juristes qui consiste à déterminer le montant de l’indemnité qui mettrait la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté normalement.
Déduction faite de l’économie de salaire réalisée par le Shakhtar du fait de la rupture anticipée du contrat, les juges ont finalement décidé de lui attribuer à titre définitif, une indemnité de 11 858 934 euros à la charge solidaire du joueur et du Real Zaragoza, avec intérêt de retard au taux de 5% à compter du 5 juillet 2007.
En passant, on ne peut résister à l’envie de rappeler aux bons connaisseurs de la chose footballistique française, que les « fameuses » clauses libératoires sont prohibées par notre réglementation, du simple fait qu’elles transforment des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée. Bien entendu, les accommodements à toutes les sauces sont légions, et l’on ne compte plus les contrats assortis de ces petites facéties qui ont été homologuées sans que personne n’y trouve rien à redire…
Stephen Sampson, l’avocat du « malheureux » employeur d’Andy Webster dont le TAS avait reconnu la légitimité des motifs de résiliation de son propre contrat, s’est cru autorisé à affirmer que « cette décision annule les fâcheuses conséquences de l’arrêt Webster…les joueurs savent maintenant qu’ils ne peuvent quitter leur club employeur en se contentant de leur verser leur salaire contractuel restant à courir. Désormais, le TAS calculera les dommages et intérêts en fonction de la valeur perdue par le club… ». A croire que le pauvre garçon n’a rien compris à l’histoire et ne fait pas la différence entre un juste motif et un bras d’honneur. Pas forcément rassurant pour ses prochains clients…
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