Antoine Nivaggioni n’attendra pas en prison son procès pour escroquerie. Une bien étrange erreur de procédure l’a sorti de cabane, le 14 septembre.
Bien la peine de se taper quatorze rocambolesques mois de cavale ! Arrêté le 9 janvier dernier, Antoine Nivaggioni, le patron de la Société Méditerranéenne de Sécurité (SMS, 300 salariés, 3e employeur de l’île), est libre.
Soupçonné par la Jirs (Juridiction interrégionale spécialisée) marseillaise d’être au centre d’un vaste réseau d’escroquerie et marchés truqués en cheville avec la chambre de commerce d’Ajaccio, le toujours mis en examen a été libéré le 14 septembre de la prison des Baumettes.
Un élargissement sans tambours ni trompettes pour cet « ancien militant du MPA [Mouvement pour l’autodétermination Corse, Ndlr] homme de réseau influent et redouté », décrivent les flics, « au train de vie assez flambeur ». Sans non plus qu’aucune décision juridique n’ait été prise au sujet de ce « natio » reconverti dans les affaires. « Sa levée d’écrou a été mécanique et non juridique », précise, toute esbaudie, une concierge du palais de justice de Marseille.
En fait, la libération du garçon est la conséquence d’une jolie boulette. Le patron de la SMS n’a tout bonnement pas été convoqué dans les délais devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui devait statuer sur sa mise au frais. Sa levée d’écrou a donc été décidée sitôt expirée sa prolongation de détention.
Peu indulgent avec le juge chargé de l’enquête, Charles Duchaine, un temps en poste à Bastia, Corse-Matin pointe « un oubli du renouvellement du mandat de dépôt par le magistrat instructeur », et une enquête qui se dégonfle.
N’en déplaise aux confrères insulaires, « Duduch », comme le taquinent les journalistes du Vieux Port, n’a pas grand-chose à voir avec la bévue. « Le contentieux de la détention lui a été retiré dans cette affaire », décrypte un membre du parquet marseillais.
En clair, le sieur Duchaine n’avait plus son mot à dire. Tout comme le juge des détentions et des libertés. En effet, à l’occasion de la première prolongation du mandat de dépôt de Nivaggioni, en mai dernier, la chambre de l’instruction s’était saisie de la question. Et c’était à la cour d’appel d’Aix-en-Provence qu’incombait de convoquer l’embastillé.
Selon les informations glanées par Bakchich aux alentours du cours Mirabeau, le greffe a mangé la consigne. Sans que la hiérarchie judiciaire ne moufte. Ni le parquet, ni la chancellerie, à qui le dossier de la SMS a pourtant été « signalé » et a fait l’objet de nombreuses notes d’information circonstanciées.
Bref, un nouveau voile de doute jeté sur une affaire qui n’en manquait déjà pas, depuis la dénonciation de malversations au sein de la SMS dans une note Tracfin du 14 décembre 2006.
La société de sécurité, mise en place par d’anciens « natios », a dégotté des marchés très sensibles : la sécurité de l’aéroport d’Ajaccio, de Toulon, de la SNCM à Marseille et Ajaccio… Et certains dans des conditions que les magistrats marseillais trouvent fort suspectes. Leur enquête a surtout mis à jour les étranges liens entre Antoine Nivaggioni, certains hommes politiques corses et des hiérarques de la police. L’avancée de leurs investigations a provoqué un joli boxon et une mini-guerre de flics.
Ce n’est pas tout. Figure montante du nationalisme insulaire, un temps choyé par Sarko, Jean-Christophe Angelini se fait alpaguer le 17 janvier 2008. Et mettre en examen pour avoir tenté, selon les magistrats, de fournir un faux passeport à son pote Antoine. Ami d’enfance de Frédéric Péchenard, patron de la Direction générale de la police nationale (DGPN), Éric-Marie de Ficquelmont, est, lui, mis en garde à vue le même jour, pour les mêmes raisons, avant d’être relâché. Cette éminence grise de Veolia a investi, durant la cavale de Nivaggioni, près de 200 000 euros dans la SMS.
Deux arrestations qui ont résonné de la maison Poulaga à l’Élysée. Un ex des RG et un membre de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), suspectés d’avoir alimenté la SMS en informations sur leurs enquêtes, ont même été convoqués. Ambiance.
« Les relations entre Nivaggioni et les flics corses sont un secret de polichinelle, susurre un enquêteur qui connaît bien le dossier. Après, on peut fantasmer sur toutes les protections dont il a bénéficié. » Avec la libération gag de Nivaggioni, nul doute que le polichinelle va ressortir du tiroir. Pendant ce temps, la SMS, rachetée par ses salariés est devenue Arcosur. Sans perdre aucun contrat. Et au moins deux de ses dirigeants sont ravis de la libération de Nivaggioni. Ses chers et tendres enfants…
A lire ou relire sur Bakchich.info
Le plus hallucinant est qu’un dossier de malversations financières soit classé secret défense !!!
Au cours de l’été 2006, la police judiciaire corse s’intéresse de près aux marchés publics passés par la SMS (Société méditerranéenne de sécurité), une petite entreprise fondée au début des années 2000 par Antoine Nivaggioni, ancien leader nationaliste, devenu rapidement l’un des premiers employeurs de l’île avec trois cents salariés. Comment une société dont le gérant a été inquiété pour meurtre, que les services de renseignement de la police considéraient comme l’un des responsables du FLNC Canal-habituel, impliqué dans des attentats et des assassinats, a-t-il pu bâtir aussi vite une fortune considérable ? Rapidement, les soupçons de collusion avec les renseignements généraux - qui ont récemment fusionné avec la DST pour former la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) - se font jour. La PJ dispose d’écoutes téléphoniques - publiées dans cet ouvrage - prouvant que Nivaggioni était en contact régulier avec plusieurs fonctionnaires de haut rang. Les enquêteurs en sont persuadés : Nivaggioni est " protégé ". L’affaire de la SMS menacerait-elle des policiers ? Dissimule-t-elle quinze années de négociations secrètes entre l’État, des responsables de la lutte armée indépendantiste et les franges du grand banditisme insulaire ? Quels intérêts cachent les mystérieuses multinationales aux mains de Corses implantées en Afrique et en Amérique du Sud ? L’un des personnages les plus en vue de cette mouvance n’était autre que Robert Feliciaggi, élu de droite à l’Assemblée de Corse et milliardaire que l’on rattache volontiers au gangstérisme corse. Cdincidence, il est abattu au mois de mars 2006, peu avant le déclenchement de l’enquête sur la SMS. Guerre des gangs, sourdes luttes d’influence entre services de police et intérêts occultes de la France à l’étranger, l’affaire de la SMS est loin d’avoir livré tous ses secrets… Une enquête démêle enfin la pelote de cette affaire dont le dossier judiciaire représente à ce jour plus de 40 000 pages.