Un millier de personnes ont assisté aux obsèques de l’ex-militant nationaliste Antoine Nivaggioni, tué par balles à Ajaccio. Retour sur le parcours d’un homme d’affaires hors catégorie.
Fini de frimer. Après une vie bien remplie, du nationalisme violent à la flamboyante (et opaque) gestion de société, Antoine Nivaggioni s’est retrouvé criblé. D’ennemis. Et de balles. Une trentaine servies au petit matin, par des loustics sortis d’un coffre de voitures garé devant le domicile de sa compagne, à Ajaccio, le 18 octobre.
Réveil fatal -à quelques mètres d’une école- et fort préparé. "Ils ont brûlé la voiture et les armes qui ont servi au guet-apens très vite", souligne un connaisseur des traditions insulaires, qui s’étonne du manque de prudence de Nivagg’. Déjà visé par une tentative en mai dernier, le garçon sortait bien armé, mais sans grande escorte ni précaution. Jusqu’alors sans dommage pour un Antoine comme protégé par la grâce.
Proche d’Alain Orsoni, charismatique leader du mouvement pour l’autodétermination dans les années 90, Nivaggioni sort indemne de la sanglante guerre entre nationaliste. Pas une blessure et seulement une condamnation en 2001 pour le port d’une arme… qui servit à la tentative d’assassinat contre Roch Orsini en 1993. "Le flingue retrouvé était encore chaud dans ses mains", se remémore, lyrique, un enquêteur.
Et le fier-à-bras réussit dans le sillage du bel Alain sa reconversion dans le milieu des affaires. En 1996, le MPA s’autodissout et gagne le sobriquet de Mouvement pour les affaires. Avec, en héritage, l’usufruit de la chambre de commerce d’Ajaccio… et la mainmise sur de nombreux contrats ou offres de marchés publics.
Après quelques allers-retours vers Barcelone et l’Amérique du Sud, histoire de rendre visite à Orsoni recyclé dans les jeux de hasard, l’ex-natio choisit de reposer ses valises sur ses terres, à Ajaccio. Et participe activement à l’émergence d’une florissante société, la SMS -pour Société méditerranéenne de sécurité- au tournant des années 2000.
Sécurité à l’aéroport d’Ajaccio, autour des hôpitaux de Marseille, du côté de l’aéroport de Hyères. La réussite de l’ancien "autodéterminé" se nourrit du lait des finances publiques. De la reconversion idéologique réussie. Presque neuf millions d’euros de contrats avec la chambre de commerce d’Ajaccio entre 2002 et 2006, où l’amical Antoine n’a que des amis. Du président Raymond Ceccaldi au président de la Commission d’appel d’offres Francis Marie Pantalacci, en passant par le commissaire aux comptes Michel Gasbaoui, également expert-comptable… de la SMS !
15 000 euros de salaire par mois sans compter les à-côtés. Et 900.000 euros de gentils prêts concédés sans demande de remboursement par des sociétés, des membres de la CCI d’Ajaccio ou même de Toussaint Luciani, proche de feu Robert Félicciagi, tué en mars 2006 et éminent personnage politique de l’île. Un pactole dont profitent ses amis et moitiés.
Séparé de l’élue Nadine Nivaggioni, Antoine cherche du réconfort auprès de quelques dulcinées. Sans trop regarder à la dépense. Là 15000 euros pour une maîtresse, en juin 2006 52000 euros de bijoux pour une proche amie, et des cylindrées de marque qui se succèdent. BMW 320, AUDIA2, Volkswagen New Beetle, Smart…. Un connaisseur volontiers prêteur. Le florissant patron n’hésite pas à laisser les clés de son 4x4 Touareg à ses amis, notamment Tony Quilichini, surnommé "Le Boucher" par les pandores de l’île de Beauté.
Des amis, de l’argent, de l’entregent et une gouaille, rafraîchie en 2007, Annus Horribilis. La SMS se présente au tribunal du commerce au bord de la faillite, en raison des marges "corrélatives fixés au plus justes, des encaissements difficiles à obtenir"… Bref peu de grisbi, sauf pour les frasques d’Antoine.
Ces mesquins limiers de Tracfin, étonnés que tant d’argent transite par les généreux comptes d’Antoine se réveillent. Et alertent à la fin 2006 la justice, qui s’étonne elle-même des prêts accordés par la SMS à son patron de fait, qui aurait tendance à confondre la caisse de la boîte et sa bourse personnelle, voire à dissimuler sous l’aspect de généreux donateurs, des rackets en bonne et due forme.
Même la DGCCRF s’en mêle et ressort ses suspicieux rapports sur l’attribution des marchés publics à la SMS, entachés de tant d’irrégularités que les juges marseillais, saisis du dossier, les traduisent dans le vilain vocable de favoritisme, escroquerie, abus de biens sociaux. Aussi chaudement habillé, Nivaggioni préfère passer 14 mois loin de ce brouhaha.
Départ de cavale en novembre 2007, pile au moment où les flics perquisitionnent les locaux de la société, passent au grill le beau-linge de la chambre de commerce et fouillent les comptes de la société. La grâce encore une fois. Ou pour les non-croyant, une certaine porosité des milieux policiers de l’île. Voire la bienveillance du "Ministère de l’Intérieur où des serviteurs autoproclamés l’avaient apparemment considéré, pour des raisons qui ne seront jamais explicites, comme un interlocuteur nécessaire en se gardant toutefois de préciser à quoi et à qui", s’agacera même Marc Rivet. Le vice procureur marseillais, dans son drôlatique réquisitoire de renvoi devant le tribunal correctionnel de l’affaire SMS, daté du 19 avril 2010, souligne le bel entregent de Nivaggioni, dont les écoutes révèlent de régulier contact avec d’actuels agents de la DCRI, des retraités des RG, des politiques locaux et des capitaines d’industrie…tous à son chevet pour rendre plus gracile son exil.
Les hommes d’affaires Jean-Luc Schnoebelen et Eric de Ficquelmont, investissent 400 000 euros dans sa société. Dans une vision très "germanopratine" de la procédure se moque le proc’, Shcnoboelen tente même de convaincre la journaliste Christine Kelly d’interviewer Nivaggioni en cavale. L’approche, loin du maquis, se bornera à un rendez vous au bar du Warwick à Paris (Paris 8e), entre l’industriel, la journaliste et l’élu nationaliste Jean-Christophe Angelini.
Péché véniel en comparaison de la petite conspiration mise en place pour faire parvenir un faux passeport au fuyard. En janvier 2008, c’est au tour de Schnoebolen, Angelini et de leur complice de passer au tourniquet de la garde-à-vue, couronnés d’une mise en examen… Ficquelmont, grand pote du patron de la police Frédéric Péchenard, se contentera d’un interrogatoire formel de 24 heures et échappera tant à la mise en examen qu’au renvoi devant le tribunal !
Mais la déveine de ses comparses semble encore bien loin d’Antoine. Arrêté en janvier 2009, le fugitif sort de cabane dès septembre, au bénéfice d’une rareté judiciaire… La cour d’appel d’Aix-en-Provence oublie de le convoquer pour prolonger sa détention. Levée d’écrou !
Dehors, Nivaggioni retrouve son ami Alain Orsoni, devenu en 2008 président du club de foot d’Ajaccio, son joli train de vie…et sa belle société. Presque en l’état. Racheté à la barre du tribunal de commerce par ses salariés, l’entreprise n’a pa eu à cesser durant trois mois son activité. Une rareté. Son agrément n’a pas été retiré par la préfecture. Et aucun contrat n’a été perdu. Mieux, la SMS devenu Arcosur compte comme dirigeants deux des enfants d’Antoine et un mis en examen dans le dossier. "L’intelligibilité de la procédure emporte que soit préalablement évoqués les éléments d’insularité qui en ont fait sel et contribué à son exotisme", écrit poète, le procureur Rivet. Bienvenue chez toi Papa !
Las, une si insolente réussite n’a semble-t-il pas déplu qu’aux juges du continent. "Difficile de dire d’où le coup est parti, sussure un grand flic du coin. A force de proximité avec les flics, il avait mauvaise réputation. Beaucoup lui en voulaient, notamment dans le grand banditisme".
A commencer par les rivaux ajacciens du Petit Bar, vers qui s’oriente l’enquête en cette fin octobre. Les lointains héritiers de feu Jean-Gé Colonna, parrain du Sud décédé en novembre 2006, ont longtemps disputé la mainmise sur la ville au duo Orsoni-Nivaggioni. Et ont encore en travers l’article en leur honneur, sorti dans le Point du 19 octobre 2006 : "le gang qui fait trembler la Corse". Écrit sous la dictée de l’intermédiaire multicartes Marc Francelet, l’article avait eu droit à une relecture attentive de Nivaggioni et de son officier traitant des RG. "La poussette", comme jargonnent les flics eut pour effet de piéger les jeunes loups. En 2010, entre les détenus et les morts, le Petit Bar ne fait plus table pleine.
En revanche un millier de personnes ont assisté aux obsèques de Nivaggioni le 20 octobre en l’église Saint Roch d’Ajaccio. Une dernière flambe de l’au-delà ? "Sans doute pas, promet un enquêteur, il y aura riposte". Et sans doute avant la fin de l’année et les élections à la chambre de commerce et d’industrie d’Ajaccio, désormais orpheline de son tuteur.
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