A l’heure des ripailles de fin d’année, tour des cuisines, des cuistots et des cantines préférées de nos gouvernants. Bon appétit, bien sûr…
La belle affaire ! Le repas gastronomique français rejoint l’inventaire du patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco. Un beau coup de communication politique signé Nicolas Sarkozy, plus soucieux de son image sur la scène internationale que de gastronomie. Et après ? Rien de plus, rien de moins. Le coq français monte sur ses ergots, fait preuve d’une belle arrogance et se fait oublier. Dans les cuisines de la République (éd. Flammarion), ouvrage cosigné par Pascale Tournier, journaliste à Bakchich, et Stéphane Reynaud décortiquent par le menu les habitudes alimentaires de la classe politique française. Où l’on découvre un Xavier Bertrand en proie à la fringale ou un François Fillon adepte de la glace au Malabar. Où l’on apprend aussi que nos dirigeants continuent de croire que leur pays reste celui des grands chefs, des grands vins et de l’art de vivre. Pendant ce temps, les innovations culinaires se font ailleurs, en Espagne par exemple, tandis que les critiques gastronomiques étrangers étrillent plus que jamais notre façon désuète d’accommoder les plats. Vue d’ailleurs, la cuisine française reste passéiste et prétentieuse. À l’image de nos élus ?
Fracture alimentaire
Étrangers à cette vision, nos politiques n’en finissent pas de se mettre à table avec appétit pour traiter de politique, comme toujours. Révélant, dans leurs habitudes alimentaires, l’énorme fossé qui les sépare des Français. Nos concitoyens plébiscitent le couscous parmi leurs plats préférés ? Cette préparation est interdite dans les palais de la République, où elle est jugée trop vulgaire. Trop arabe aussi. Surtout, quand nos élus ne profitent pas des services bondés de cuisine trois étoiles des ministères, ils fréquentent des restaurants dont les additions sont inaccessibles à la plupart d’entre nous. En France, un couple avec deux enfants et un seul Smic pour revenu ne dispose que de 8,34 euros par jour pour se nourrir. À titre de comparaison, une entrée chez Laurent, une adresse fréquentée par les politiques de toutes les obédiences, coûte autour de 90 euros…
Privilège de palais
Une fracture alimentaire voit le jour. D’un côté, des Français qui sont devenus les deuxièmes consommateurs au monde de pizzas, habitués aux aliments low-cost des supermarchés ; de l’autre, des politiques rassasiés de truffes à 4 800 euros le kilo. La gastronomie des palais est devenue un privilège. Chers élus, attention, un jour, une reine perdit la tête pour une histoire de brioche.
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La République reste bonne fille, elle pourvoit grassement à la subsistance de ses élus, sans regarder les dépenses, contrairement à la communication officielle, qui promeut la rigueur. Dans les ministères, le personnel d’intendance est ainsi passé de 234 à 303 agents, soit une progression de 34% entre 2006 et 2009, observe le député apparenté PS René Dosière. (…) Du temps du gouvernement Raffarin, les cuisiniers et les maîtres d’hôtel étaient 234 à exercer dans l’ensemble des ministères. Avec Villepin, ils étaient 287. À son arrivée en 2007, François Fillon s’est montré plus scrupuleux des comptes publics : le nombre est retombé à 234. Deux ans plus tard, c’est l’inflation, avec 303 personnes à officier pour les cabinets ministériels. La palme revient au ministère des Affaires étrangères (…). Entre 2008 et 2009, l’équipe est passée de 22 à 40 personnes. Puisque la politique étrangère de la France se fait à l’Élysée, il reste au moins [à Bernard Kouchner] de vendre la France aux hôtes étrangers autour d’une table délicate. Le ministère de l’Espace rural et de l’Aménagement du territoire, dirigé en 2009 par le centriste Michel Mercier, est moins réputé pour ses réceptions officielles. Il n’empêche, les huit membres du cabinet ont de la chance, ils disposent chacun d’un cuisinier ou d’un maître d’hôtel pour leur déjeuner ou leur dîner.
Pour Nicolas Sarkozy, qui soutient personnellement [l’]inscription du repas des Français sur la liste du patrimoine immatériel [de l’Unesco], la gastronomie se fait, ici, outil politique à part entière. Objectif : s’appuyer sur l’un des piliers fondamentaux de notre socle culturel et historique pour mieux promouvoir la place de la France dans un monde en proie à la concurrence économique et politique, renforcer la cohésion sociale et, à l’occasion, l’identité nationale.
Façon napoléon
La vision utilitariste qu’a Nicolas Sarkozy de la gastronomie n’est pas sans rappeler celle de Napoléon Bonaparte. Comme le rapportent les contemporains de l’Empereur, ce dernier ne s’intéresse nullement à la table, mais il sait en faire une arme. « Des problèmes de santé et la crainte de devenir obèse rendent Bonaparte indifférent à la grande cuisine. Il ne mange que lorsqu’il en a envie et parfois son repas ne dure pas plus de cinq minutes (…). » Napoléon tient à passer pour un militaire, un guerrier, et non pour un de ces politiques bedonnants. Comme le président Sarkozy, toujours soucieux de se présenter comme un homme d’action.
Repas de 12 minutes
Lors du vingt-cinquième sommet des chefs d’État africains, les 31 mai et 1er juin 2010, à Nice, Nicolas Sarkozy reçoit à La Petite Maison ses invités, parmi lesquels Jacob Zuma, Abdelaziz Bouteflika et une dizaine d’autres, en un minimum de temps. Nicole Rubi, la restauratrice, raconte : « Le menu était composé de sandwichs aux truffes, de brouillade aux truffes, de salade d’artichauts, de salade de crevettes tièdes à l’huile d’olive, de langoustines rôties, de linguine au homard. Il se terminait par des fruits rouges du pays et de la glace. J’ai dû servir le tout en une heure et cinq minutes. Mais c’était un record de durée ; une autre fois (…), on m’a demandé de tout servir en quarante minutes. Les chefs de l’Élysée racontent qu’à Caen un déjeuner a été expédié en douze minutes. » Napoléon n’aurait pas mieux fait. (…) Mettre au Panthéon notre tradition héritée de Gargantua revêt-il vraiment un sens ? Que désigner sous le mot « gastronomie » ? Une tradition vivante, populaire, une expression culturelle façonnée par notre histoire et nos territoires, ou un art de la haute voltige célébré par quelques grands chefs étoilés ? Une chose reste sûre : faire valoir la supériorité de notre boeuf bourguignon sur celui du Mexique ou du Japon est vécu par certains de nos voisins comme une preuve supplémentaire de notre arrogance tellement française. Surtout lorsque le président Nicolas Sarkozy, prompt à exploiter la dimension patriotique de l’alimentation, déclare au Salon de l’agriculture, le 28 février 2008 : « Nous avons la meilleure gastronomie du monde, enfin, de notre point de vue ! Nous voulons que cela soit reconnu au patrimoine mondial. »
Arrogance française
Les liens d’amitié qu’entretient Guy Savoy avec le chef de l’État ont aussi certainement contribué à l’appropriation du dossier par l’Élysée. Le triple étoilé reçoit en effet Nicolas Sarkozy depuis la période de Neuilly. C’est lui qui a cuisiné, pour son cinquante-troisième anniversaire, la célèbre soupe d’artichauts aux truffes dont le président raffole. (…) Avant de partir à son cours de kung-fu, le cuisinier à la barbe poivre et sel dément cependant toute influence de sa part auprès de Sarkozy. (…) Assis à la table numéro un (…), il explique qu’« avec Nicolas Sarkozy, on n’a jamais discuté de l’histoire de l’Unesco. On a des conversations sur les plats que je prépare. Je connais juste son attachement à certaines valeurs. Il est convaincu que tous les gens qui travaillent la terre et la mer sont des fervents bosseurs. » (…) Lors de la première réunion du 4 avril 2009, les experts de l’Unesco se sont montrés bien sceptiques sur la demande de la France. Ils ne veulent pas (…) favoriser le commerce des produits français. [Mais], courant 2009, la chancelière Angela Merkel lui a tapé dans le dos en s’exclamant : « Elle est géniale, ton idée de l’Unesco ! »
Depuis juin 2009, [Christophe Langrée] est à la tête d’une brigade de 22 personnes au service de François Fillon. C’est le premier chef étoilé venu du privé à tenir les fourneaux d’un ministère. (…) Dynamique, le toqué de Matignon décide de casser tous les codes et de chahuter une cuisine bourgeoise un peu endormie à son goût. Son prédécesseur utilisait parfois des surgelés ? Une hérésie. Pas question pour lui de faire du Escoffier. « On m’a dit : “Ne servez pas à François Fillon des produits exotiques, et pas que du poisson !” J’ai fait tout le contraire. J’ai déjà servi du couscous mais plus travaillé. C’était une côte d’agneau avec de la semoule, des pois chiches, agrémentés de jus de légumes. Des sushis ont été présentés pour des cocktails. Et j’ai aussi réalisé un hamburger au thon rouge et au foie gras. Le commandant du protocole m’avait dit non. François Fillon a eu aussi le droit à une glace au malabar. À chaque fois, il a tout mangé. »
L’Italie de Fillon
Pour le chef, François Fillon s’y connaît en cuisine italienne. « Un jour, je lui ai proposé des pâtes qui étaient trop cuites à son goût. Il m’a dit : “Faites un stage pour apprendre à cuire les pâtes.” Quelques jours plus tard, je lui ai donné des pâtes, pour qu’il les emmène chez lui dans la Sarthe, en week-end. Je lui ai lancé : “Vous savez les cuire ?” Il a souri. » (…) Xavier Bertrand, lui, se montre fataliste quant à son cas. « Manger est à la fois un plaisir et un léger problème pour moi. Je me suis fait une raison, je ne serai jamais mince. Il y a des combats que je suis prêt à mener, mais pas celui de la minceur. C’est aussi une question de métabolisme. Quand je regarde la carte d’un restaurant ou que je passe devant la vitrine d’un charcutier traiteur, je pourrais prendre un kilo rien qu’en lisant ! J’aime la viande, je ne mange aucun poisson, aucun crustacé, c’est pour cela que j’ai plus de difficultés à perdre du poids. Souvenez-vous de l’adage : le plus gras des poissons est plus maigre que la plus maigre des viandes. »
Les compotes de Bertrand
Le secrétaire général de l’UMP, qui se « prostituerai[t] pour un cervelas vinaigrette, une salade de lentilles ou un cassoulet », a carburé au régime andouillette-verre de chablis le matin, du temps de son passage à l’Assemblée nationale entre 2002 et 2004. Il s’astreint aujourd’hui à une stricte discipline. Pour se sentir bien dans son corps et dans sa tête, paraît-il. (…) Xavier Bertrand est aussi désormais très organisé. « Si vous ne faites pas attention, vous êtes sûr de prendre quelques kilos. En campagne, j’ai mes petites compotes et mes gâteaux dans ma voiture, pour éviter de céder à la fringale et de me jeter dans une boulangerie pour acheter un croissant ou autre » (…)
Dans une enquête menée pour le magazine Notre temps, le couscous est considéré comme le deuxième plat préféré des Français, après la blanquette de veau, mais devant les moules frites. Devenu le symbole de la réussite de l’intégration à la française, il est servi régulièrement dans les hôpitaux et les cantines scolaires. À New York, lors du Bastille Day, fêté chaque 14 juillet par la communauté française (…), les stands de couscous et de merguez sont à l’honneur (…) en dignes représentants de notre gastronomie hexagonale.
Tradition
Chez nous, ce respectable plat méditerranéen reste le grand absent des tables de la République. Joël Normand, l’ancien cuisinier de l’Élysée, qui a travaillé pour tous les présidents de la Ve République, excepté Nicolas Sarkozy, se montre formel : « Jamais un couscous n’a été présenté à un dîner officiel. Selon les services du protocole, le mot “couscous” ne passe pas. Choucroute de poissons, oui, une escalope à la milanaise à la rigueur. Pour un déjeuner de travail, on a réalisé une fois des épaules d’agneau braisé, avec des pois chiches, de la semoule et des épices. Mais on n’a jamais dénommé ce plat “couscous”. » Même chose au restaurant du Sénat, où le mets d’origine maghrébine n’a pas droit de cité. « Je ne mettrais pas sur la carte l’expression “couscous”. Mais je pourrais servir un agneau grillé avec de la semoule », explique Pascal Mousset, le gérant de la cantine des parlementaires. (…) Quand [Roger Karoutchi] était secrétaire d’État chargé des Relations avec le Parlement, de 2007 à 2009, il aurait aimé manger davantage de couscous merguez. Mais impossible d’en déguster au secrétariat d’État (…), à l’hôtel de Clermont, dans le VIIe arrondissement. Dans son tout nouveau bureau d’ambassadeur auprès de l’OCDE, ce natif de Casablanca explique cet état de fait : « Les cuisiniers s’évertuent à faire de la cuisine française, de tradition bourgeoise. Ils ne sont pas formés à concocter d’autres types de plats. Une paëlla et des penne à l’arrabiata à la limite, des mets très différents, non. Cela n’a pas de sens, de toute façon. De temps en temps, je demandais à mes équipes deux merguez, avec de la purée. (…) Jamais ils ne les ont réussies. (…) » (…) Déjà en 2003, il avait remarqué que les cuisiniers de l’hôtel de Clermont ne savaient pas mitonner le couscous. « À cette époque, Nicolas Sarkozy me dit : “Il faut que tu acceptes de retirer ta candidature aux régionales en faveur de Jean-François Copé”, alors secrétaire d’État aux Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement sous Jacques Chirac. Je vais le voir dans son ministère. Copé fait dresser sa table dans son bureau. J’ai le droit à un couscous. Il était tout content d’entendre que je lui dise que c’était un très bon couscous. En sortant, je me suis dit qu’il aurait mieux fait de me faire un steak frites. »
Rigidité
Karoutchi, président du groupe UMP au conseil régional d’Ile-de-France, reconnaît qu’il n’a pas forcément envie d’imposer ses choix : (…) « On ne peut pas aligner ses goûts, explique l’ancien secrétaire d’État. Et puis, dans les ministères, vous recevez du monde. Et ce n’est pas sûr que tout le monde aime le couscous. Le ministère est censé représenter l’État, la République, qui s’incarne dans la cuisine française classique. » (…) « Symboliquement, la République impose à ses commensaux de s’assimiler et d’intégrer son histoire », soutient le psychanalyste Jean-Pierre Winter. Le critique gastronomique Sébastien Demorand d’enfoncer le clou : « Ce refus de servir du couscous révèle le rapport néocolonial qu’entretient le politique avec certains de ses sujets. » (…) Bien que digéré dans le quotidien des Français, le couscous reste un plat de migrant tenu à distance par le pouvoir. Constituerait-il un plat de seconde zone, comme les citoyens français qui le préparent ? Une telle conception va totalement à l’encontre des propos de Nicolas Sarkozy qui ne cesse de revendiquer une France du métissage pour le XXIe siècle. La cuisine de la République, dont il est le garant, n’en est pas le reflet. En niant une certaine réalité, elle demeure rigide.
Allez mes amis !
Encore une petite rasade de tous pourris !
Il serait temps, avec les gigantesques émoluments ouverts mais aussi occultes, que nos élites, classe politique, élus de toute sorte paient leurs dépenses personnelles sur leurs deniers.
En tant que contribuable, j’en ai plus qu’assez de me faire parasiter par ces fainéants de tous bords.
Vous êtes un peu injustes.
Reprochez-vous au chef de Bouteflika de ne pas servir de blanquette de veau ? …. et pourtant une partie de l’histoire de l’Algérie le justifierait.
(Vous noterez que je ne fais pas de provocation en proposant du veau …)
"Où l’on apprend aussi que nos dirigeants continuent de croire que leur pays reste celui des grands chefs, des grands vins et de l’art de vivre. Pendant ce temps, les innovations culinaires se font ailleurs, en Espagne par exemple, tandis que les critiques gastronomiques étrangers étrillent plus que jamais notre façon désuète d’accommoder les plats. Vue d’ailleurs, la cuisine française reste passéiste et prétentieuse."
Article assez drôle qui porte aux nues, d’une part, la nouvelle cuisine prétentieuse et, d’autre part, ce plat tellement moderne qu’est le couscous ….
Quand on est prêt à tout pour atteindre sa cible (la cuisine traditionelle "française"), on évite d’utiliser des armes incompatibles …