Examiné à la barre d’un tribunal marseillais, le transfert de Lorik Cana du PSG vers l’OM lève à lui seul le voile sur les pratiques délictuelles et convenues du milieu du foot. Où le droit devient un prétexte fumeux.
10 juin 2009, 6ème chambre du tribunal correctionnel de Marseille, deux hommes à la barre face aux juges. A gauche, Christophe Mongai, 37 ans, agent de joueurs et patron de Union Sports Management, chemise beige sur le pantalon, cheveux bruns tombant sur la nuque, léger embonpoint (certainement dû aux repas d’affaires). A droite, Agim Cana, 53 ans, « retraité du football », chemise blanche sur le pantalon, allure svelte, cheveux gris et courts. Ils doivent répondre tous les deux de faux, usage de faux, d’abus de biens sociaux. Le premier pour complicité d’exercice illégal d’agent de joueurs, le second pour exercice illégal d’agent de joueurs et menace de mort faite sous condition.
Aussi fin connaisseur du foot qu’amateur de bon mots, le président Turbeaux mène les débats. En 2006, le bon juge avait notamment condamné, le jour du coup d’envoi de la Coupe du monde, Robert Louis-Dreyfus à 3 ans de prison avec sursis et 375 000 euros d’amende et Rolland Courbis à 2 ans ferme et à la même amende…Entre autres.
En préliminaires, le Président du tribunal demande à Mongai les prémisses de son idylle avec Lorik Cana. « C’était en décembre 2004, une rencontre a lieu avec Lorik Cana et son père, dans une brasserie de Chambourcy (78). Le père apportait le joueur, la contrepartie c’était 50% des sommes. » « J’ai négocié son nouveau contrat avec le PSG, j’avais de bons rapports avec M. Graille, le Président, son salaire est passé de 6000 Euros par mois à 60 000 Euros ». Joli boulot.
Agim Cana, ancien joueur de football professionnel, a terminé sa carrière en 1990 en Suisse à Montreux, « plus célèbre pour son festival de jazz que par son club de football », remarque, narquois, un avocat, attendant l’évocation de son affaire. Petit sacripan impatient…Heureusement, la passe d’armes qui vient ravit la salle, et décrit le difficile quotidien des footeux.
Question du Président Turbeaux : « comment vivez-vous dans votre famille ?
R : avec le salaire de Lorik
Q : avez-vous signé un contrat avec votre fils, comme salarié, ou avec Monsieur Mongai ?
R : non on a établi une convention
Réponse du Pdt : une convention qui fait peur avec des clauses surprenantes !
Le Pdt : « vous savez il y a dans d’autres sports professionnels où les sportifs paient leur entourage, ils font des contrats et ils paient, dans le foot non ! »
Agim Cana a reçu le 23 juin 2005 un virement de 15.325 Euros sur son compte au Kosovo, une somme qui correspond pile poil à la moitié de la commission perçue par Mongai suite à la renégociation du contrat du fiston Cana. C’est pour « aider la famille restée là-bas » Pour bien faire, l’agent de joueur et ancien journaliste à La Provence rédige lui-même une facture qu’il envoie à Agim, qui la renvoie signée, l’agent intègre le document dans sa comptabilité.
« Cette facture c’est du pipeau !!! » , s’écrit le Turbeaux en agitant la facture.
Mongai, droit dans ces bottes :« je ne suis pas d’accord, il m’a rendu service ! »
Et l’agent de joueurs de donner les détails du contrat de transfert : « je devais négocier un joueur pour moins d’un million d’euros par an, le salaire de Lorik : 80 000 euros/mois soit 960 000 euros/an, l’O.M m’a donné une commission de 8%. Je sais que c’est illégal d’être à la fois agent du club et du joueur, mais je sais que la loi va changer, le texte a été voté par le Sénat… ». « Normalement pour un transfert c’est 7%, le 1% supplémentaire, Lorik est vraiment un bon joueur, parfois les clubs qui veulent arracher un très bon joueur peuvent monter jusqu’à 10% ! ». « Le 25 août 2005, Lorik Cana signe pour 4 ans avec l’O.M, pour un salaire de 90 000 euros/mois la 1ère année et 100 000 les 3 autres années, pour le transfert l’OM paye 3 millions d’euros ». Bref, le désormais capitaine de l’OM a vu son salaire, entre le printemps et l’été 2005, passer de 6 à près de 100 000 euros par mois.
Question du Président Turbeaux : »Vous dites quoi sur les infractions reprochées ? »
Réponse de l’agent de joueur : « tout le monde fait cela, cela se passe tous les jours, notamment avec les joueurs d’origine africaine, on verse de l’argent aux frères, aux pères, aux mères, aux cousins… Je pensais être dans la légalité. Je n’ai jamais été sanctionné par la fédé ! »
Le magistrat remarque que l’agent avait été convoqué le 27 octobre 2007 par la FFF et plus précisément par la commission des agents sportifs pour s’expliquer sur le transfert. Inflexible, la fédération avait noté que l’agent avait contrevenu aux textes ; sans envisager de sanction. Molla lex sed lex comme on dit à la fédé…
Place à la menace de mort sous conditions, cette accusation vise uniquement le père du capitaine de l’OM. La scène se passe le 24 août 2005 dans le bureau de Jean-Michel Moutier, ancien gardien, « Moumoutte » pour les amis, le responsable de la section professionnelle du PSG de l’époque. Depuis la reprise du championnat 2005/2006, papa Cana ne voit plus son fiston jouer. Modeste M’Bami joue à sa place. Laurent Fournier, l’entraîneur d’alors préfère le joueur camerounais.
Papa Cana pas content, la discussion s’envenime. Agim Cana reconnaît « avoir été en colère ce jour là », mais conteste farouchement avoir imité le canon d’un pistolet avec ses doigts pointés en direction de Moutier, ni avoir dit : « tu vas comprendre les méthodes albanaises ! » Olivier Martin, l’avocat de papa Cana, constate que ni le club ni « Moumoutte » n’ont porté plainte. Certes, mais Jean-Michel Moutier, absent à l’audience, est représenté par son avocat. Maître Iorio plaide le traumatisme de son client et réclame 300 000 euros de dommages et intérêts.
Marc Cimamonti, procureur de la République, est venu en personne requérir « son dossier ». Alerté le 16 septembre 2005 par un rapport du groupe des violences urbaines (une unité de la police marseillaise spécialisée dans le foot, elle surveille comme le lait sur le feu les supporters et bien sûr tout ce qui se passe dans « le plus grand club du monde ») sur les étrangetés du transfert, le magistrat, jamais tendre avec l’impunité dont jouit le foot en général et l’OM en particulier, ouvre le 14 avril 2006 une enquête préliminaire, confiée à la DIPJ de Marseille. Et ses limiers s’activent. Investigations bancaires sur le Côte-d’Azur et à Monaco et interrogatoires à tout bout de champ. Le gratin du football passé à la casserole. Côté PSG : Eric Pecout, auditeur superviseur du club, Alain Roche, toujours en charge du recrutement parisien, Jean-Michel Moutier (désormais retiré du club le plus drôle du monde) et même Pierre Blayau, alors président, désormais patron de Geodis. Côté marseillais : Christophe Mongai, Agim et Lorik Cana connaissent les joies subtiles de la garde à vue le 7 juin 2007. Papa Diouf n’est qu’interrogé.
Pour « Cima », aucun doute, il y a eu infractions. Des menaces de mort : « nous n’admettons pas les recours à l’atteinte à la personne, ni les menaces ! ». Et un laisser-aller plus que coupable de la Fédé, qui « n’a pas fait les diligences nécessaires pour saisir la justice ! » Le proc’ s’appuie sur un rapport de synthèse des flics de la financière de Marseille qui pointent « la légèreté et l’inconséquence du service juridique de la 3F »
Avant d’en terminer, Marc Cimamonti avoue s’être posé la question sur l’opportunité de poursuivre le joueur, « voyant que le fils était à la remorque du père… ». Mais a séché.
Seuls le père et l’agent sont sur le banc des accusés. Mongai pour qui est requis 1 an de prison avec sursis, 3 ans avec sursis l’interdiction d’exercer sa profession et 230 000 euros d’amende.« Vous ne devez pas le blâmer pour en faire un exemple ! », tente son avocat Fabrice Giletta. Et Agim Cana qui risque 18 mois de prison avec sursis et 130 000 euros d’amende, dont l’avocat Me Olivier Martin reconnaît qu’il y a eu un pacte avec Mongai, mais conteste l’intention de commettre l’infraction. Quant à la menace de mort, « c’est une farce ! ».
Jugement le 9 septembre. En attendant, les prochains clients du redoutable président Turbeaux. Favoris du milieu judiciaire pour passer devant la chambre, Christophe Bouchet, l’ancien président de l’OM qui a signé un contrat litigieux avec Philippe Christanval. Ancien joueur, paraît-il.
A lire ou relire sur Bakchich.info
Messieurs, un peu de sérieux svp, "Passez de 6000 à 60000 euros/mois…jolie boulot" mais à l’époque avec l’explosion des droits-tv même mon grand-père aurait fait mieux… et ce n’est pas modeste m’bami mais bien dhorasso (que le psg venait de faire signer)qui était préféré à cana…
n.b : si vous avez besoin d’un spécialiste du football…