Un livre, un plan média calibré sur mesure… tout a été pensé par Juppé pour son retour aux affaires. Reste à connaître la réponse définitive de Sarko. Portrait.
Il faudrait faire l’autruche pour ne pas comprendre : Alain Juppé veut revenir au gouvernement ! Martelé dans les médias et dans son dernier livre Je ne mangerai plus de cerises en hiver…, le message est clair. Celui qui a toujours été fidèle à Jacques Chirac aimerait profiter du prochain remaniement prévu, en principe, au moment des prochaines élections européennes, pour obtenir un maroquin. Plutôt un gros, d’ailleurs. Pourtant, le maire de Bordeaux avait juré aux Bordelais qu’il s’occuperait d’eux « à 150% ». C’est bien connu, en politique, les promesses n’engagent…
Manifestement, Juppé n’a jamais totalement digéré d’avoir dû abandonner il y a deux ans, après sa défaite aux législatives, le ministère de l’Écologie, du Dévelopement et de l’Aménagement durable (Medad). Un gros machin taillé sur mesure et récupéré in fine par Jean-Louis Borloo. Ce même Borloo qui avait évoqué la TVA sociale entre les deux tours des législatives, coûtant à la majorité une trentaine de sièges : « dont le mien », insiste amer Juppé.
Celui que Jacques Chirac avait qualifié de « meilleur d’entre nous » - « Ce qui me devint plus tard tunique de Nessus », confie l’intéressé - n’a, de son propre aveu, jamais tourné la page. Encore moins celle de son départ de Matignon, en 1997 : « La même question lancinante rôde encore : pourquoi, comment me suis-je planté ? ». « Au moins, fait-il un effort pour revenir sur ses propres responsabilités », glisse un ex-ministre de son gouvernement. Il est vrai que Juppé n’hésite pas à revenir sur le fond - « trop de réformes en même temps » - et sur la forme - des « petites phrases » cassantes qui laissent des traces…
L’homme politique décortique, analyse, dissèque. Comme pour cette expression « droit dans mes bottes » et qui, dix ans après, lui colle encore à la peau. « Est-ce le mot “botte” ? Est-ce le mot “droit” ? J’admets qu’il puisse faire peur. C’est peut-être alors la préposition “dans” ». Avec cet aveu qui en dit long : « À quoi peut tenir un destin ! ».
Difficile à avaler pour celui qui « pouvait raisonnablement imaginer accéder un jour à l’Élysée », décrypte un élu UMP, ex-collaborateur de Juppé. « Alain s’y était préparé intellectuellement et politiquement ». Le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Nanterre, le 30 janvier 2004, dans l’affaire des emplois fictifs du RPR, est venu interrompre cette brillante ascension politique avec ces quelques mots : « Agissant ainsi Alain Juppé a, alors qu’il était investi d’un mandat électif public, trompé la confiance du peuple souverain… » Un coup de poignard pour Juppé. « Cette phrase était terrible », lâche un de ses proches. « Il a payé parce qu’il était le secrétaire général du RPR mais il ne s’est jamais mis d’argent dans les poches. C’est tombé sur Juppé au titre d’une responsabilité collective ». Aujourd’hui l’ex-Premier ministre conserve quelques inconditionnels à l’UMP mais n’a plus de réseau.
Juppé, né en 1945 à Mont-de-Marsan, est un pur produit de la méritocratie française. Issu d’une famille modeste, ce troisième de quatre fils est exceptionnellement doué. Dès l’école primaire, le petit Alain est remarqué par sa maîtresse. De quoi faire la fierté de ses parents et nourrir chez sa mère une ambition frénétique. Au point que si le petit s’avise de revenir avec une place de second, sa mère l’accueille avec des coups de parapluie. C’est dire ! « Elle avait pour lui », confiait à Libération en mai 1986, le père de Juppé, « un petit faible, elle en a fait sa chose ». Le petit Alain a d’ailleurs le droit à des cours particuliers à la maison, ce qui en fait le premier de la classe. « J’étais incontesté dans mon royaume », racontait Juppé dans un précédent ouvrage, La Tenation de Venise.
Très jeune, on note chez Juppé une assurance dont il ne se départira plus. En 1962, l’intéressé, boursier, entre en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand. Juppé ne cache pas ses intentions à ses camarades : « Je vais faire Normale, l’agrégation de lettres puis l’ENA et l’Inspection des Finances », affirme-t-il à l’époque. Un programme qu’il suivra point par point, non sans élégance. Juppé obtient la cinquième place à sa sortie de l’ENA et choisit la dite Inspection.
En 1976, Jacques Chirac, sur le point de quitter Matignon, cherche « un agrégé sachant écrire ». Jacques Friedmann, grand ami de « Chichi » et chef de service à l’Inspection des Finances, joue l’entremetteur. Dès lors, Alain Juppé évoluera aux côtés de son aîné. Virage ? Prise de distance ? Dans son livre Je ne mangerai plus de cerises en hiver…, le maire de Bordeaux affirme n’avoir jamais fait partie du premier cercle de l’ex-Président. Les deux hommes aimaient pourtant présenter autrefois leur relations comme filiales… « Juppé a choisi d’être fidèle à Chirac qui l’a fasciné et avec qui il s’est construit en politique. Il n’est jamais revenu sur sa loyauté », témoigne un de ceux qui les a suivis pendant des années. Signe de ce respect mutuel : Chirac, connu pour son tutoiement facile, vouvoie Juppé.
Mais aujourd’hui, le Président, c’est Sarkozy. Et entre les deux hommes, il n’y a jamais eu de franche complicité. Juppé lâchait le Parisien, il y a quelques jours : « Travailler avec lui, ce ne doit pas être de tout repos ! » Une petite phrase, qui figure aussi dans son livre et qui n’est pas passée inaperçue à l’Élysée. Comme les critiques de Juppé sur la réintégration de la France dans le commandement de l’Otan.« Entre ses piques et sa popularité niveau zéro », rapporte un haut-dirigeant de l’UMP, « son entrée au sein du gouvernement n’est pas forcément une priorité pour Sarkozy ! » L’impopularité… un problème récurrent pour Juppé sauf si l’homme bénéficie de la « nostalgie chiracomaniaque » ambiante.
Juppé chercherait-il d’ailleurs à casser l’image d’un homme froid, qui selon ses proches « n’a rien d’exact ». Ce livre s’achève sur une déclaration d’amour à sa femme Isabelle : « C’est la passion. J’aime l’attendre. Attendre de la respirer, de la toucher. Elle me connaît par cœur, c’est le cas de le dire. J’ai compris que là est l’essentiel et que je ne suis plus prêt à sacrifier l’essentiel à l’accessoire. »
Sarkozy est prévenu : Juppé est chaud bouillant.
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