Qu’on se le dise. A Bordeaux, la semaine du développement durable (du 1er au 7 avril) est bobo. La mairie s’est fendue, jeudi 27 mars 2008, d’un communiqué détaillant le programme qui tient plus de la carabistouille écolo que d’une véritable action verte, malgré les annonces du grand Manitou vélocipédiste Alain Juppé, triomphalement réélu le 9 mars dernier
Vélocipédiste, pas sûr qu’Alain Juppé le reste longtemps. Mercredi 2 avril, la mairie a présenté son parc flambant neuf de « véhicules propres ». Smarts pour les agents, Toyota Prius (hybrides) comme voitures officielles. Après la gauche caviar, la droite tofu. Dans le même temps, une opération quartiers propres est prévue. Quèsaco ? Kärcher pour tous ? Non, une « sensibilisation au recyclage et à la récupération », grâce à une collecte… de vêtements. Si l’intention est louable, on peut s’interroger : l’urgence du recyclage concerne t-elle les fringues ?
Et le programme de cette semaine sainte d’aller crescendo. Oyez oyez, bonnes gens ! Du vendredi 4 au dimanche 6 avril, sur le quai Richelieu, les « échoppes éco-citoyennes » proposent aux Bordelais un eldorado de produits estampillés commerce équitable et bio. Au milieu de l’épicerie asiatique ou de l’artisanat africain, les « éco-citoyens » qui s’agrippent mesquinement à leur confort pourront toutefois acheter des coussins en lin bio. De quoi s’endormir dans un bon lit douillet l’âme en paix.
Samedi, réveil en fanfare : journée jardinage pour toute la famille. Du moins pour celles qui ont un jardin. Quant aux gueux qui habitent un appartement, ils n’ont qu’à venir voir à quoi ça ressemble, grâce à la visite du Jardin botanique. La mairie expliquera à des habitants qui n’ont pas de jardin comment le cultiver durablement.
Al Gore a insisté pour assister au final en apothéose concocté pour dimanche. La radicalité écolo du programme a dû l’attirer. Et puis finalement, non. Départ à vélo et rollers jusqu’au bois de Bordeaux pour un pique-nique champêtre, avant – tenez-vous bien – la « réintroduction des vaches dans les prés du bois de Bordeaux ». La capitale girondine sera enfin une ville verte.
Tout ce programme serait risible si le sujet n’était pas si grave. Car Bordeaux en est encore à l’année zéro de l’écologie. Une poudre aux yeux écolo qui dépasse largement les clivages politiques : selon la Communauté urbaine dirigée par la gauche, 82 % des habitants trient leurs déchets. Or, pour Sébastien Darsy, seuls 10 à 15 % des déchets de l’agglomération sont triés et recyclés : pas de poubelles de tri à disposition, et des conteneurs essaimés avec parcimonie dans la ville.
Dans certains quartiers, les plus motivés doivent prendre leur voiture pour déposer le verre, le carton et le plastique qu’ils ont consciencieusement triés. Le reste des 400 000 tonnes de déchets annuels de l’agglomération finit soit dans un incinérateur, à Bègles ou Cenon, soit dans un site d’enfouissement.
Et les responsables des centres d’incinération confirment qu’il est impossible d’être certain que tout n’est pas mélangé. Pourtant, Alain Juppé comme Vincent Feltesse (qui a remplacé Alain Rousset, candidat malheureux aux municipales, à la tête de la Communauté urbaine), sont favorables à l’incinération des déchets.
Bordeaux veut montrer patte blanche, et prouver qu’elle prend le problème à bras le corps. Mais la plaquette de 30 pages éditée par la Cub explique surtout aux Bordelais que leur empreinte écologique est trop importante. Et la ville, d’après une étude publiée en 2007 et fondée sur les chiffres de l’ONU , ne figure pas au palmarès des 72 villes les plus propres dans le monde, à l’inverse de Paris, Lyon, Nantes et Marseille.
Alain Juppé, depuis son séjour québécois, répète à l’envi sa conversion écologiste. Et la Communauté urbaine a lancé une distribution générale de poubelles de tri. En attendant de voir, les Bordelais peuvent toujours s’esclaffer à la vue du programme de la Semaine du Développement Durable. Et deviser sur l’impact écologique de la réintroduction des vaches dans le bois de Bordeaux.