La menace d’une attaque de Nestlé sur L’Oréal n’a jamais sérieusement existé. Cette rumeur, lancée par l’Elysée, avait pour but de favoriser l’arrivée d’un chevalier blanc tricolore, le groupe LVMH.
Liliane Bettencourt, actionnaire principale de L’Oréal, numéro un mondial des cosmétiques, et sa fille Françoise Bettencourt-Meyers se sont finalement réconciliées après trois années de querelles qui ont fait trembler la République française. Eric Woerth, l’un des ministres les plus en vue, longtemps en charge du Budget, a laissé dans cette affaire son avenir politique.
Devant cette improbable réconciliation, la presse évoquait ironiquement un « conte de Noël », parfois orthographié « comptes de Noël ». Mais elle ne pose pas les vraies questions. En effet, le principal bénéficiaire de cette fraternisation est Jean-Pierre Meyers, le gendre de Liliane Bettencourt. Il devient directeur général de Téthys, le holding familial, détenteur de 30,9% de L’Oréal.
Or, de nombreux documents, saisis par la justice, attestent que Liliane Bettencourt a très longtemps soupçonné sa fille et son gendre de vouloir vendre le groupe de cosmétiques à Nestlé. Dans un courrier, n’écrit-elle pas : « Jean-Pierre Meyers attend seulement le jour de ma mort pour vendre L’Oréal (…) Je crois qu’ils craignent d’attendre longtemps ».
Pourquoi ce retournement de situation ? En fait, il n’y a jamais eu de tentative d’OPA de Nestlé sur l’Oréal (dont il détient 29,8 % des actions). En revanche, il y a bien eu une véritable manipulation, orchestrée par l’entourage de Liliane Bettencourt, une dame aujourd’hui âgée de 88 ans, pour le lui faire croire… et la pousser à tomber dans les bras d’un sauveur français, le groupe Moet Hennessy Louis Vuitton (LVMH), numéro un mondial du luxe, dirigé par Bernard Arnault, un proche de Nicolas Sarkozy.
Le site Mediapart a été le premier à révéler cette manœuvre, rappelant que dans le passé déjà « la menace d’une attaque étrangère a servi de nombreux coups fourrés dans le capitalisme français », écrit en octobre dernier Martine Orange dans un article intitulé : « L’Oréal : à qui profite le crime ? ». Pour mémoire, une simple rumeur – jamais identifiée – d’une OPA sur l’UAP en 1996 a servi de prétexte à Axa pour s’emparer du groupe d’assurances.
En novembre 2010, le magazine Le Point titre à son tour sur « Le plan secret de l’Elysée pour que LVMH rachète L’Oréal ». Mais curieusement, il ne s’agit pas d’un grand dossier, simplement d’un petit article, pour simplement montrer que le magazine n’est pas dupe. Bakchich, s’appuyant sur une source interne de L’Oréal, en tire les mêmes conclusions.
Pour mieux saisir le contexte, il faut se souvenir qu’André Bettencourt, le mari de Liliane (décédé en 2007) a été à plusieurs reprises ministre. En 1974, craignant l’arrivée de la gauche au pouvoir et les nationalisations, La famille Bettencourt, propriétaire de l’Oréal, signe un pacte d’actionnaires avec Nestlé. Depuis, cet accord a toujours été respecté. Le groupe suisse ne peut pas augmenter sa participation dans L’Oréal du vivant de Liliane Bettencourt et dans les six mois suivant son décès.
Malgré la neutralité de la multinationale de Vevey, le chiffon rouge helvétique est agité à la fin 2007, au lendemain même de la disparition d’André Bettencourt. Patrice de Maistre, introduit dans l’empire des cosmétiques par Lindsay Owen-Jones, le patron de L’Oréal (et adversaire de Nestlé), devient le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt. Il siège à Thétys, le holding familial, il est directeur général de la fondation Bettencourt, et surtout, il embauche Florence Woerth, l’épouse d’Eric Woerth, alors ministre du Budget.
Parallèlement, Patrice de Maistre ne cesse de dénigrer François Bettencourt-Meyers et son mari Jean-Pierre Meyers, de confession juive. Parlant des juifs, il déclare en ricanant : « Oui, c’est bizarre, ils sont toujours là où il y a de l’argent », comme le révèle une écoute téléphonique. Patrice de Maistre réussit à convaincre la vieille dame que sa fille et son gendre sont les chevaux de Troie de Nestlé.
Par ailleurs, le photographe François-Marie Banier, ami de Liliane Bettencourt, mais aussi très proche de Lindsay Owen-Jones (le journal Le Monde évoque « l’étroitesse » de leurs relations) ne se contente plus de réclamer de l’argent et des œuvres d’art à sa protectrice. Dès le décès d’André Bettencourt, Il exige un siège au conseil d’administration de L’Oréal et, plus curieusement, que Liliane Bettencourt lui cède… 1,26 % du groupe de cosmétiques.
« Ce pourcentage n’est pas innocent. En retranchant 1,26% de 30,9%, on fait tomber le capital de la famille Bettencourt dans L’Oréal à 29,64%, contre 29,8% pour Nestlé, et on peut crier au loup ! », lâche un cadre de l’entreprise. Ensuite, il suffit d’appeler au patriotisme économique et de réclamer l’arrivée d’un chevalier blanc français. En l’occurrence Bernard Arnault, dont le groupe LVHM, faiblement endetté, pourrait racheter L’Oréal.
Ce n’est donc pas un hasard si le 12 juillet 2010, Nicolas Sarkozy lance à la télévision : « Je souhaite que L’Oréal, 17 milliards de chiffre d’affaires, 64 000 employés, ne parte pas dans un autre pays ». Alors, que s’est-il passé pour que cette belle mécanique s’enraye ? Le principal intéressé a tout simplement fait faux-bond.
De la même façon que Nestlé, centré sur son métier, l’agroalimentaire, ne fait pas de L’Oréal sa priorité, LVMH lorgne sur une autre cible, Hermès, plus stratégique pour lui que L’Oréal. Or, le numéro un mondial du luxe peine à réussir son OPA sur le groupe Hermès. Pour l’instant, il n’a réussi qu’à franchir la barre des 20% du capital. Pas question pour lui de se lancer dans un autre abordage.
Commentaire acide du magazine Le Point : Bernard Arnault est, certes, un proche de Nicolas Sarkozy, « mais son entreprise prime pour lui sur le pavillon national. De ce point de vue, s’allier à Hermès serait sans doute plus excitant que d’arrimer L’Oréal en France ».
Faute de combattants, Liliane et sa fille Françoise ont ainsi pu se réconcilier.
L’ex-majordome des Bettencourt Pascal Bonnefoy est l’homme de l’année de Bakchich Hebdo. A découvrir dans notre numéro spécial de 32 pages, en vente jusqu’au 13 janvier.
Je suis extrêmement étonnée que personne, je dis bien personne, n’ait encore fait le rapport entre l’entrée de Mme Woerth au conseil d’administration d’Hermès, après avoir quitté l’Oréal, et les actions menées par le groupe LVMH.
Sarkozy-Woerth-Arnault : une équipe qui gagne !!! Les paris en ligne - L’Oréal - Hermès - et tout ce qui viendra…