On n’obtient pas un bénéfice record de 14 milliards d’euros par hasard. Grâce à une jolie manoeuvre, le pétrolier Total négocie son impôt – et ses ristournes – directement avec le ministère du Budget.
Ce vendredi, chez Total, c’est philanthropie. Ou plus communément, assemblée générale des actionnaires. Au menu, une belle année. Une de plus. Et des chiffres qui font plaisir. 14 milliards d’euros de bénéfices net. Un record. C’est que le cinquième pétrolier mondial bénéficie depuis des années d’un bouclier fiscal taillé sur mesure : le BMC, Bénéfice Mondial Consolidé. Un dispositif peu connu, mais sans lequel l’entreprise française la plus bénéficiaire aurait versé à la collectivité plus de 3,5 milliards d’euros…
Le BMC repose sur un principe limpide : éviter à l’entreprise une pénalisante double imposition. Comme toute industrie extractive, Total est taxé sur ses lieux de production, c’est-à-dire dans les pays détenteurs des gisements d’hydrocarbure qu’il exploite. Et le pétrolier d’expliquer à Bakchich que ses activités en amont – l’extraction du pétrole et du gaz – sont en moyenne taxées à 54% dans les pays de production, là où est généré plus de 80% de ses profits, la France n’en représentant que 6%. Misère…
Tous les trois ans est négociée entre Total et le ministère du Budget une convention de BMC. Contacté, le dit ministère précise à Bakchich que seules une dizaine d’entreprises y ont encore recours. Dans le cas de Total, les données de taxation à l’étranger sont fournies par le pétrolier. Il n’appartient pas au ministère d’en évaluer la sincérité. Il n’en a d’ailleurs pas les moyens et n’a donc pas à s’interroger sur la crédibilité de données fiscales émanant de pays situés tout en bas du classement sur la corruption de Transparency International. Au hasard le Congo-Brazzaville, le Gabon ou encore la délicieuse Birmanie.
Total souligne que ses contrats avec les pays producteurs sont soumis à une clause de confidentialité, ce qui lui interdit de préciser, même par zone géographique, le montant de ses profits, impôts etc. Aux campagnes d’ONG anti-corruption axées sur « publiez ce que vous payez » (à chaque gouvernement), Total préfère les nobles idéaux de l’EITI (Extractive Industry Transparency Initiative) qui attend benoîtement que les gouvernements daignent publier les vrais chiffres.
Selon un porte-parole de Total, cette omerta a été transgressée, une fois, par l’actuel PDG, Christophe de Margerie. Dans une interview au Monde, le 6 octobre 2007, le grand patron a annoncé que Total, opérateur du gisement yadana, avait versé cette année 350 millions d’euros à la junte birmane.
En cette saison de déclaration de revenus, quoi de plus plaisant que de constater que le plus gros bénéfice enregistré en France n’y paie pas d’impôts car il en règle déjà beaucoup à des régimes sanguinaires et tyranniques. Le vendredi, chez Total, c’est philanthropie.
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@Daniel
Il est quand même stupéfiant de constater l’opacité totale qui entoure la destination de Plus d’une dizaine de milliards d’euros émanant d’une grande société du CAC 40. Nos dirigeants au G 20 prétendent faire la chasse aux paradis fiscaux. Ils prétendent faire oeuvre de transparence financière. Le ministre français du budget, Eric Woerth, Madame Lagarde et notre hyperprésident ont-ils la moindre credibilité dans cette louable démarche, en se satisfaisant de l’opacité carricaturale de TOTAL ?.
La réponse est connue : Si Total ne payait pas d’impôt, son bénéfice oscillerait entre 26 et 29 milliards d’€. Mais les clauses de confidentialité ne permettent pas d’en savoir plus… Donc on ignore aussi ce qui est payé en France.
Une seule certitude, le montant est nécessairement nettement inférieur à 6 % de l’impôt théorique global, 6 % étant la part de chiffre d’affaires du groupe en France. Cette opacité alimente les pires soupçons. Dans bien des pays producteurs d’hydrocarbures - ou pas, il existe un fort différentiel entre impôt déclaré et impôt payé -et à qui ?
L’affaire Elf n’ a levé qu’un tout petit coin du voile masquant les noirs circuits qu’empruntent de gras flux de pétro $ €.