L’un des collaborateurs de « Bakchich » est allé se balader en Birmanie. L’occasion de partager ses impressions… En prime, les préparatifs du référendum d’approbation de la constitution organisé par la junte.
En Birmanie, la pauvreté urbaine se transforme en misère dans les zones rurales. Une agriculture archaïque ne permet pas de nourrir convenablement les 50 millions de Birmans qui portent sur leur visage les stigmates d’une sous-alimentation de naissance. La charrue à boeufs, unique moyen de production d’un autre âge, ne côtoie que de manière épisodique les tracteurs d’État cinquantenaires et cantonnés dans leurs hangars. En pleine période pré-industrielle, la Birmanie attend sa révolution.
Pendant ce temps, l’économie survit grâce au gaz et à l’opium. En Birmanie, l’étalon-opium dicte les taux de change. Chaque année, pendant les saisons de récolte du pavot (janvier-février et août-septembre), l’afflux de devises étrangères, dollars en-tête, provoque la chute libre du kyatt, la monnaie nationale. Fin février, elle avait perdu un tiers de sa valeur.
La question du travail entraîne des polémiques et attise les controverses. Malgré l’abrogation de lois entérinées sous la colonisation britannique et légalisant le recours à la corvée administrative, la reconnaissance du travail forcé comme illicite en 1999 n’est guère suivie d’effet. Les réquisitions administratives et militaires de main d’oeuvre villageoise, majoritairement féminine, se poursuivent. Les infrastructures routières, lorsqu’elles ne sont pas construites dans l’intérêt direct de groupes étrangers pour l’exportation des richesses, sont le fruit archaïque de la pioche et du marteau.
Une agriculture pré-moderne, une pré-industrialisation, une sous-électrification du pays, l’eau non potable, une déforestation intensive pour le bien de l’exportation d’agrumes, une population disparate unie dans la pauvreté, une jeunesse rêvant d’une expatriation salvatrice, un narco-gazo-État entre les mains d’une poignée de galonnés… Tous les éléments sont réunis pour maintenir la Birmanie dans un non-développement chronique sans que personne ne s’en soucie.
Junte échaudée craint le scrutin. En 1990, la junte birmane avait organisé des élections législatives remportées à plus de 80 % des sièges et des suffrages par son opposante, déjà incarcérée, Mme Aung San Suu Kyi. Pour conserver leur pouvoir absolu, les généraux s’étaient contentés d’arrêter les nouveaux élus, et de prétendre qu’ils s’étaient engagés à organiser des élections libres, mais pas à en suivre les résultats …
Pour qu’un tel échec ne se reproduise pas le 10 mai prochain, les généraux préparent avec un soin très militaire le référendum d’approbation de la constitution, élaborée par leurs soins exclusifs au cours des 10 dernières années, et qui leur garantit de conserver en toutes circonstances les leviers du pouvoir.
Toute la hiérarchie administrativo-militaro-policière du pays est mobilisée pour expliquer à la population toutes les sortes de représailles auxquelles elle s’expose si elle prend le risque de voter non, c’est-à-dire de suivre l’avis de tous les démocrates, moines et autres opposants. Chaque chef de district organise des séances d’apprentissage de tenue de bureau de vote pour les chefs de village de son ressort. Cela consiste à expliquer que le vote est, bien sûr, secret, mais que le cochage des bulletins, « oui » ou « non », se fait sous supervision, pour éviter les erreurs… le tout assorti de cadeaux pour voter oui et de menaces, allant jusqu’à l’arrestation, pour tous ceux qui seraient tentés par le non, ou même par le doute sur les vertus de la nouvelle constitution. Quant aux prisonniers, il leur est généreusement proposé des remises de peine pour le oui. Les moines sont, quant à eux, exclus du vote.