Cette année, la Banque de Suède a joué son rôle à plein : s’inscrivant dans le politiquement correct ambiant, elle a jugé bon de choisir une femme, Elinor Ostrom.
Tous les commentateurs avertis de la saison des prix Nobel mettent un point d’honneur à rappeler que celui d’économie n’en est pas vraiment un. C’est un prix de la banque de Suède, un prix blabla… Nobel qui n’aimait pas les mathématiciens soi-disant parce que sa femme les aimait trop, avait décidé de les écarter. Quant aux économistes, il n’y avait même pas pensé. C’est seulement il y a quarante ans, à l’issue d’un coup de force qu’ils ont pu obtenir d’être récompensés comme les physiciens (couronnés eux depuis 1901) ; ces physiciens qui sont leur modèle, leur envie, leur frustration.
Cette année, la Banque de Suède a joué son rôle à plein : s’inscrivant dans le politiquement correct ambiant, elle a jugé bon de choisir une femme, Elinor Ostrom. Une première. Que la femme en question ne soit pas économiste et ait enseigné toute sa vie la politique et la sociologie n’a guère d’importance.
En outre, elle offre l’avantage d’avoir remis à l’ordre du jour des théories qui courent depuis le XVIIIe siècle sur la possibilité de substituer des modes coopératifs aux échanges fondés sur le droit de propriété.
Bref, en donnant une version plus ou moins mathématisée d’un cocktail de défense de la nature et de dénonciation du marché, elle a construit un remake moins sentimental et plus formalisé du rousseauisme qui est très dans l’air du temps.
Dans les couloirs de la Banque de Suède, il y a encore un mois, tout le monde misait sur un nom : Eugène Fama, un théoricien de la finance, qui a popularisé dans le monde universitaire américain les idées et les théories mathématiques du français Mandelbrot.
Comme le commun des mortels n’est guère sensible aux charmes de la géométrie fractale et de son application à la détermination de la valeur financière d’une entreprise, il paraissait assez neutre de faire de Fama, son théoricien moderne, un prix Nobel. Qui ne comprend vénère pourvu que l’onction mathématique recouvre le mystère.
Mais rapidement, il est apparu que le mot « finance » était devenu comme une sorte de grossièreté et que mieux valait s’abstenir. Fama attendra. L’économie cognitive, l’application de la psychologie à l’économie, les nouvelles théories du commerce international fournissaient des stocks de professeurs américains présentables aux yeux du grand public et identifiables par le jury de la Banque de Suède dont la connaissance du monde des économistes ne dépasse guère l’organigramme de cinq ou six universités américaines.
Mais un nouveau un nouveau courant est apparu au début du mois : le choix d’Obama comme prix Nobel de la paix a fait comprendre aux Suédois qu’il fallait changer leur fusil d’épaule, quitte à prendre de front le petit monde des économistes.
L’opinion publique compte plus que les susceptibilités de quelques divas des colloques qui enfilent équations sur équations. Et puisque l’opinion publique, depuis la crise, semble considérer les économistes comme de modernes Diafoirus incapables de maîtriser ce qui se passe, autant donner le prix Nobel à quelqu’un que personne ne pourra franchement critiquer.
A ceux qui s’interrogent sur les limites de l’exercice, le gouverneur de la Banque de Suède a répondu que le choix de cette année est particulièrement pertinent. A ceux qui réclamaient des précisions, il a opposé un mutisme sans concession. Nous en resterons donc là, en laissant aux économistes le soin de théoriser les raisons pour lesquelles leur prix Nobel a été attribué à quelqu’un qui n’est pas des leurs.
Il y a une grave confusion dans cet article : "Eugène Fama, un théoricien de la finance, qui a popularisé dans le monde universitaire américain les idées et les théories mathématiques du français Mandelbrot."
> c’est totalement faux, c’est même l’opposé comme approches puisque la théorie de l’efficience de Fama suppose que les cours de bourse suivent une "marche au hasard", alors que la mise en évidence d’une dimension fractale dans les cours de bourse par Mandelbrot contredit frontalement cette marche au hasard et met au contraire en évidence des phénomènes de mémoire longue. Ce sont deux visions opposées de la finance. Fama a été l’élève en thèse de Mandelbrot, mais ensuite leurs voies ont divergé !
Cordialement
Philippe Herlin, chercheur en finance, philippeherlin.com