A côté des 100 millions d’euros américains, l’aide chinoise de 3 millions pour Haïti paraît bien dérisoire. C’est pourtant oublier le conflit larvé qui oppose l’île sinistrée à l’empire du Milieu…
Des médicaments, des tentes, des lampes de secours, des équipements pour purifier l’eau, de la nourriture, des vêtements, une équipe de secouristes arrivée sur place dans les 24h, un million de dollars d’aide de la Croix Rouge, 4 millions de l’Etat et 8 casques bleus de l’ONU ensevelis.
La Chine est, avec le séisme haïtien, sur le devant de la scène humanitaire, politique et médiatique. A y regarder de plus près, l’aide chinoise, comparée à celle des autres puissances mondiales, fait pourtant pâle allure : 100 millions déployés par les Etats-Unis, 429 promis par l’UE, 20 par la France et 15 par le Brésil. Comment comprendre ces deux visages du Janus chinois ?
Haïti, qui est à la frontière de plusieurs plaques tectoniques, l’est aussi en matière géopolitique sur le continent asiatique. L’île, indépendante depuis 1804, compte parmi les vingt-trois derniers Etats de la planète qui ne reconnaissent pas Pékin et entretiennent, en revanche, des relations diplomatiques avec Taïwan. Cela depuis 1956. Pourquoi une telle incongruité ? Selon Pierre Picquart, spécialiste de la Chine et professeur à l’université Paris VIII, « Haïti a toujours fait partie de la sphère géopolitique américaine ». Manière courtoise d’affirmer que le soutien indéfectible d’Haïti à Taïwan fut, pendant la guerre froide, un moyen aisé de conserver l’île dans le giron anti-communiste contre l’ennemi maoïste.
Le rideau de fer devenu rideau de soie, les rivaux idéologiques ont depuis fait preuve de pragmatisme : la Chine n’a, par exemple, pas exigé d’Haïti qu’elle rompe ses relations avec la capitale Taipei pour le déploiement de la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti). Tout comme en 1994, elle avait acceptée de ne pas faire obstacle au retour d’exil du président Jean-Bertrand Aristide, soutenu par les Américains. En échange duquel Haïti s’est opposé depuis à toute visite officielle de responsables taïwanais à Port-au-Prince.
Il n’empêche que Taïwan ne souhaite pas se faire marcher sur ses plates-bandes et l’annonce d’une aide de 5 millions de dollars aux victimes du séisme y répond. Dans le passé proche, les manifestations d’amicalité réciproque entre les deux Etats ont été sciemment entretenues. Comme l’aide de 100 mille dollars pour assister les personnes touchées en Haïti par le passage de l’ouragan Gustav. Ou récemment, au sommet de Copenhague, la requête du ministre de l’Environnement haïtien de « la participation de tous sans exclusive [contre le réchauffement climatique], incluant notamment Taïwan ».
Cette aide de 3 millions d’euros de la Chine, si peu conséquente qu’elle soit, ainsi que la présence de casques bleus en Haïti, est un moyen de pression habile pour distendre les liens de l’île avec Taiwan et d’y assurer sa visibilité internationale. Peu étonnant par exemple que « des drapeaux chinois étaient en vue ces derniers jours dans les rues de la capitale Port-au-Prince » comme l’assure AlterPresse, réseau d’information haïtien. Realpolitik ? A n’en pas douter, l’épine Taïwanaise est toujours dans le pied du timonier chinois.
Il n’y a pour cela qu’à se souvenir de la loi du 14 mars 2005 autorisant Pékin, pour la première fois, à « faire usage de moyens non pacifiques » contre Taiwan « par quelque moyen que ce soit », si elle souhaite accélérer son statut d’indépendance. Et des déclarations de l’actuel Président chinois, Hu Jintao, qui avait appelé à se « préparer à un conflit armé ». Avant de menacer en 2007 de brandir son veto sur le renouvellement de la MINUSTAH. Sauf que l’empire du milieu entretient des relations commerciales avec la république d’Haïti depuis 1996. Si 60% des importations de l’île proviennent des Etats-Unis et uniquement 2,5% de la Chine, la reconstruction du pays dans les prochains mois sera un moyen de revoir ces tendances. Pour, peut être, jeter les ponts d’une nouvelle route de la soie.
Lire ou relire sur Bakchich.info :
A l’auteur,
Cet article est bien informé et très subtilement rédigé, notamment sur le jeu des rapports entre les autorités chinoises, taïwanaises et haïtiennes.
Pour information, l’aide taïwanaise est découplée entre celle apportée par l’Etat taïwanais et celle donnée par les organisations caritatives bouddhistes très puissantes en termes financiers et humains, telles que la Fondation Tzu Chi.
Il convient, afin de mieux cerner les relations assez complexes étudiées ici, de rappeler l’aide massive taïwanaise, publique et privée, lors des séismes en Chine ou lors de certaines grosses inondations.
Enfin, une vue plus générale, au-delà des rodomontades politiques à destination interne de Hu Jin Tao, montre que les relations sino-taïwanaises sont, depuis plus de 25 ans, marquées par les liens du commerce, des investissements et des affaires profitables aux deux parties, les capitaux taïwanais étant très influents dans l’économie chinoise.
Les imbrications d’intérêts croisés et multiples expliquent beaucoup de choses quant aux aides chinoise et taïwanaise au peuple haïtien. Sachant que l’organisation Tzu Chi a déjà un passé d’activités assez importantes en Haïti depuis longtemps…..
Enfin, Haïti est aujourd’hui, de facto, "occupée" par des milliers de soldats américains, appuyés par un déploiement de forces militaires impressionnant.
Cela présage mal d’une véritable indépendance politique future de la République haïtienne ravagée par les séismes, la misère, la corruption et les mafias locales qui essaient de profiter des fonds qui affluent ou sont promis.
Mais, cela est un autre aspect du problème haïtien.
Bien cordialement depuis Taipei,
Encore un article qui me fait bondir.
Comment peut-on se réjouir d’une aide de 100 millions d’euros américains !
C’est méconnaitre totalement la situation de ce pays qui est exploité par ces mêmes américains et maintenu dans une misère totale sous prétexte du remboursement d’une dette contractée par d’anciens dictateurs soutenus par les américains et les français.
Ce n’est pourtant pas compliqué de surfer sur internet pour comprendre le contexte et perdre ce sourire béat devant les infos de la télé.
http://www.cadtm.org/Haiti-au-dela-des-effets-d-annonce
Il serait bien que Bakchich prenne exemple sur "Arrêt sur Image" , voici un petit extrait :
"Le saviez-vous ? Les Américains, avec leurs avions, leur porte-avions, leurs jeeps, et leurs cargaisons de machines à faire des glaçons, n’ont pas encore opéré un seul blessé en Haïti. C’est Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, qui a lancé cette petite bombe sur notre plateau."
Pour avoir vécu 4 ans là-bas, la situation est bien plus complexe qu’il n’y paraît, et je ne suis pas persuadé qu’Internet nous soit d’une grande aide !! 4 ans, des kilomètres avalés, la maîtrise du créole, des contacts avec le petit peuple comme la haute bourgeoisie, et je ne suis toujours pas sûr d’avoir tout saisi !
Manu