Au lieu d’aller directement aux sinistrés de Port-au-Prince, une partie de l’aide française acheminée a été détournée vers un camp de réfugiés, en dépit du bon sens.
Le 29 janvier dernier, les 2000 tonnes de fret du Siroco parties de Martinique quelques jours plus tôt à destination d’Haïti, étaient toujours immobilisées à l’aéroport de Port-au-Prince, faute de moyens pour les acheminer… Plus d’un million de personnes campait encore dans les ruines de la capitale et n’avait pas les moyens de manger tous les jours. Pendant ce temps, en présence de madame Préval, Première dame du pays, monsieur Le Bret, ambassadeur de France en Haïti, inaugure le camp de Hinches. Deux mille réfugiés y seront logés, avec pendant deux ans un programme de professionnalisation en vue de les aider a s’implanter dans la nouvelle province. Projet fort louable en soit, s’il ne mobilisait pas des moyens disproportionnés au regard de la situation, et s’il n’était pas dicté par des considérations autres que strictement humanitaires. Un projet qui mobilise toute l’énergie de l’une des plus importantes ambassades du pays, à l’heure ou la situation est critique. On estime a plus de 300 000 le nombre de réfugiés qui ont fuit la capitale haïtienne. 300 000 personnes qu’il faudra loger, nourrir, scolariser. Sans compter celles qui restent à camper au milieu des ruines de Port-au-Prince ; elles sont un million.
Malgré l’urgence et l’ampleur de la tache, il semble que l’ambassade de France ait décidé, deux semaines après le séisme qui a secoué la capitale haïtienne, de se concentrer sur un seul et unique coup médiatique en inaugurant ce camp de réfugiés, à Hinches. La plupart des ressources de l’ambassade – logistiques, militaires diplomatiques – étaient mises à disposition de l’ « opération Hinches ». Jusqu’aux camions du contingent de l’armée française qui devaient initialement assurer la distribution des vivres débarqués du Siroco. Plus encore, dans les premières heures, l’ambassadeur, soucieux d’afficher sa générosité, a demandé à disposer d’une partie de ces vivres (destinés à la Croix-Rouge, entre autres) pour les acheminer vers le camp modèle de Hinches sous les yeux de la presse internationale. Or ces boites de conserve sont destinées aux habitants de Port-au-Prince, dont certains n’avaient presque rien mangé depuis huit jours. Dans le plateau central (région considérée comme le grenier d’Haïti), en revanche, où se situe le camp, il serait possible d’acheter sur place de quoi nourrir les réfugiés, ce qui aurait également l’avantage de soutenir l’économie locale. Curieuse démarche, donc, pour les services de coopération de l’ambassade de France, qui répètent à qui veut bien l’entendre que l’aide doit parvenir en priorité « aux populations qui en ont besoin ».
Pourquoi, alors, ce projet pharaonique ? Il faut savoir que la région de Hinches est primordiale dans la communication de la coopération française en Haïti. La France finance un tronçon de la route qui doit relier la capitale Port-au-Prince au Cap Haïtien, dans le nord du pays… et qui passe par Hinches. En septembre 2009, lors de son passage en Haïti, Michel Barnier avait fait de grandes promesses pour le développement de la région… restées sans suite. C’est également le fief du MPP (Mouvement des paysans de papaye), préside par Chavannes Jean-Baptiste, leader charismatique plusieurs fois pressenti pour l’élection présidentielle. Outre l’excellent travail qu’il fournit dans la région auprès des agriculteurs, le MPP est connu pour ses positions anti-américaines et anti-impérialistes (notamment au sein du réseau Via Camp. Or il se trouve que le MPP est également partenaire du camp de réfugiés de Hinches.
Interrogé sur la situation et la nécessité de mettre en œuvre rapidement les moyens logistiques permettant de distribuer les vivres du Siroco, le responsable de la cellule de crise du Quai d’Orsay répond par une boutade que « tout va bien », en dépit des témoignages directs affirmant que le fret est bloqué et qu’une réunion des ONG avec les représentants du contingent français n’a pas été en mesure de proposer une solution pour le déstockage avant le 2 février, soit une semaine après l’arrivée du Siroco. De même, les conseillers de monsieur Duquesne, diplomate chargé de la coordination interministérielle pour la reconstruction en Haïti, avertis sur les besoins urgents de l’ambassade de France en moyens de communication interne et externe et de matériel logistique ont affirmé que celle-ci ne manquait de rien, quand elle manque de tout.
Une fois l’« opération Hinches » terminée, l’ambassade s’est finalement résolue, après de longues négociations, à transporter une partie du stock du Siroco vers les entrepôts d’organisations humanitaires. Mais une portion de ce stock alimentaire a malgré tout été « prélevé » sans autorisation par les services de l’ambassade, pour être envoyé vers Hinches. « Le Siroco, plus jamais ça ! » tempête une responsable d’ONG sur place. Quand donc le gouvernement se décidera-t-il à se doter de moyens à la hauteur de l’élan massif de solidarité national et international, pour coordonner et soutenir l’aide française aux Haïtiens ? En attendant, réunies par l’ambassadeur Duquesne au ministère de la Coopération ce même vendredi 29 janvier, Alstom, GDF-Suez, Orange et Veolia sont d’ores et déjà sur les rangs pour « participer à la reconstruction du pays »…
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